Edith Ochs. Varian Fry, un Américain dans la France de Pétain

Varian Fry à Marseille. —Bibliothèque de livres et de manuscrits rares de l’Université de Colombie

Fry, Lisa Littko, Walter Benjamin, et d’autres : Varian Fry, un Américain dans la France de Pétain

En 1940-1941, Varian Fry du Centre américain de secours a sauvé près de 2000 personnes, intellectuels, artistes, syndicalistes, et Juifs, leur permettant d’échapper à la police de Pétain et aux nazis, et il en a aidé des milliers d’autres.

Il reçut la médaille des Justes en 1996. Lisa et Hans Fittko, qui aidèrent près de 300 personnes à traverser les Pyrénées, faisaient partie de son réseau. Ils furent décorés à Yad Vashem en 2002, de même qu’il reçut une aide précieuse du vice-consul américain de Marseille Harry Bingham, honoré lui aussi en mars 2005.

Dès décembre 1942, Varian Fry parlait de l’extermination des Juifs

Varian Fry n’avait pas 35 ans quand il écrivit ses Mémoires. Il était rentré à New York en septembre 1941 après 13 mois passés à Marseille à se battre contre la police de Pétain et son propre consulat.

Les mémorialistes sont souvent d’un âge respectable. Ils attendent d’avoir traversé leur siècle pour se retourner sur leurs pas. Varian Fry n’attendit pas. Il était journaliste, il observait, il analysait, et il voulait témoigner dans l’urgence. Il voulait réveiller l’opinion publique, convaincu que personne ne pouvait supporter l’idée qu’en Europe, on tuait en masse des hommes et des femmes, certains pour leurs idées, et d’autres, des familles entières, parce qu’ils étaient juifs. Comment pouvait-on tolérer cela ?

Témoigner pour se faire entendre

Il se disait que les gens doutaient parce qu’en temps de guerre, on raconte les pires choses sur l’ennemi — cela était arrivé pendant la Première Guerre mondiale. Lui-même, d’ailleurs… Un an après la Nuit des longs couteaux, en 1935, il était à Berlin, et interviewait « Putzi » Hanfstängl, le « pianiste » de Hitler qui était chargé des contacts avec la presse étrangère en raison de sa maîtrise de l’anglais. Et quand celui-ci lui avait affirmé, avec son accent raffiné de Harvard, que le parti nazi entendait régler une fois pour toutes le « problème juif », Fry ne l’avait pas cru. Mais trois ans plus tard, au moment de la Nuit de Cristal, en novembre 1938, il avait compris son erreur.

Fry était convaincu que s’il racontait ce qu’il avait vu et vécu dans la France de Pétain, le doute céderait. Mais personne ne voulait l’entendre à Washington, dans le monde d’affairistes qui entourait le président Franklin D. Roosevelt. Alors, le 21 décembre 1942, peu après son retour à New York, il publia dans The New Republic un article intitulé « Le massacre des Juifs ».

Dans cet article, il détaillait avec une remarquable précision compte tenu de l’époque : « Près de deux millions de Juifs européens ont déjà été massacrés depuis le début de la guerre et les cinq millions restants qui vivent sous la botte nazie sont destinés à être exterminés, écrit-il. (…) Sur les 275 000 Juifs qui vivaient en Allemagne et en Autriche au moment d l’Anschluss, poursuit-il, il  n’en reste plus que 52 000 à 55 000 […] » 

Décrire, témoigner

Puis il énumère les chiffres pour la Tchécoslovaquie et la Pologne, la Lettonie, les Pays-Bas, la Norvège… les 85 000 juifs de Belgique et les 340 000 Juifs de France.  Il additionne avec minutie ces chiffres recueillis par les organisations juives américaines. Parmi « les méthodes utilisées par les nazis », il commence par la plus courante, la plus banale : la mort lente par la famine. Il décrit la déportation, avec « les Juifs entassés par centaines de milliers dans des wagons à bestiaux » et dont un tiers sont morts à l’arrivée.

Il dénonce les « centres d’extermination, où les juifs sont tués par un gaz toxique ou par l’électricité. Des camions spécialement construits, dans lesquels les Juifs sont asphyxiés par le monoxyde de carbone des gaz d’échappement (…) » Il parle des mines, où ils meurent d’épuisement ou du fait des émanations, et des « fours crématoires », et des exécutions sommaires, avec les victimes nues, debout au bord des fosses qu’elles ont elles-mêmes creusé.

Ceux qui se trouvaient dans l’angle mort

Et pour finir, il évoque une lettre qui vient de lui parvenir de Paris, et qui lui apprend la rafle du Vél’ d’Hiv du mois de juillet. 15 000, femmes et enfants qu’on a parqués là pendant une semaine avec, pour tout lit, de la paille une nourriture insuffisante et aucun équipement sanitaire. Puis on les a entassés dans des wagons à bestiaux et expédiés vers une destination inconnue en Europe orientale. Fry précise que son informateur, un employé de la SNCF a ramassé un bout de papier sur la voie ferrée : « Il y a plus de cinquante femmes dans ce wagon à bestiaux, dont certaines sont malades, et ça fait des jours qu’on nous refuse même les commodités les plus élémentaires. »

Quand on évacue le camp des Milles, près d’Aix-en-Provence, qu’il connaît bien (il a aidé plusieurs internés à s’évader, dont Lion Feuchtwangler, l’auteur du Juif Süss), « le spectacle et insoutenable », lui écrit un Français « qui n’est pas juif », précise l’auteur. « La plupart étaient en haillons, pâles, amaigris, épuisés par l’angoisse (…) Beaucoup sanglotaient en silence (…) Ces gens étaient brisés. »

Il décrit les rafles et la panique qui s’empare des réfugiés : un couple de s’est jeté par la fenêtre, sur le cours Belsunce, au moment où la police est venue les arrêter. D’autres s’enfuient et disparaissent dans la nature.

Comme ses articles n’avaient pas d’écho, il écrivit un livre qui décrit son expérience et sa propre prise de conscience, en espérant que, devant ces preuves, l’opinion publique ferait pression sur le politique. Mais dans la guerre que menèrent les Américains après Pearl Harbor, les Juifs européens occupaient l’angle mort. Ils ne reviendront dans le regard des vivants qu’avec la libération des camps de la mort.

© Edith Ochs

Edith est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) “Les Falasha, la tribu retrouvée” ( Payot, et en Poche) et “Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan” (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduit de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.

Blog Ops&Blog 10 février 2021

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