Marie-Françoise Stefani, Une famille dans la mafia.
Corse, au cœur d’une violence sans fin (Plon)

Maurice-Ruben Hayoun le 26.10.2020

Cet ouvrage, rédigé par une journaliste de France3 Corse, est une véritable enquête sur des faits réels que cette femme a suivis de près, au jour le jour.

Le livre se lit comme un roman policier (c’est le cas de le dire) sauf que ce n’est pas un roman, mais un insoutenable calvaire qu’a subi une simple famille corse…

Il n’ y a pas si longtemps que cela. La Corse, dite l’île de beauté, suit un cours qui est unique…

J’ai relevé, lors de la lecture de ce passionnant ouvrage, deux citations, l’une anonyme (ou issue de la plume de l’auteur), et l’autre émise par un avocat général appelé à requérir contre des voyous, des assassins ou des élus corrompus.: un pays de cocagne et de soleil, béni des dieux…

Et la seconde, moins optimiste: La Corse est déjà une terre de violences, elle ne doit pas devenir aussi une terre d’impunité. Et ce haut magistrat n’a pas tort, car quand on voir certaines choses, quand on lit certaines pages, on se pince les joues pour s’assurer qu’on ne rêve pas.

Pour aller plus vite, je recommande la lecture attentive de la lettre du fils adressée au président de la cour, et qui résume, de son point de vue, l’ensemble de l’affaire. Lecture émouvante, mais modérée et d’où toute haine est absente.

Je me contenterai, pour ma part, de résumer les faits à grands traits. L’histoire est structurée par une alliance ou une association de malfaiteurs: des politiques, des industriels et des voyous qui viennent soit de milieux autonomistes soit de petits délinquants qui prennent du galon, selon le risque qu’ils encourent en défiant les autorités et les lois.

Deux adultes corses décident de sortir de leur milieu, de s’élever socialement ; ils se connaissent depuis l’école primaire, habitent les mêmes cités et partagent les mêmes traditions.

Et sur l’île, ce dernier terme prend tout son sens car même les parrains caractérisés mettent un point d’honneur à respecter certaines règles, pas toujours conformes aux lois démocratique, mais qui ont une certaine validité dans leur milieu.

Les deux compères s’entendent bien au début, leurs affaires sont florissantes, surtout depuis qu’avec leurs amis, il sont mis la main sur la chambre de commerce et que l’argent coule à flot.

Mais voilà, tout le monde sait ce qu’est le clientélisme ou le clanisme sur cette île où l’insularité a confectionné une certaine âme corse avec ses codes de l’honneur et de la vengeance.

L’un des deux associés confond l’argent public et sa propre tirelire. Les dettes s’accumulent, le torchon brûle entre les associés d’hier, les divergences s’enveniment et l’on finit par se séparer.

Un mot sur cette âme corse, qui remonte au temps de M. Valéry Giscard d’Estaing ; il avait en tant que chef de l’Etat reçu Alice Saunié-Séité pour la nommer recteur de l’académie de Corse.

Mais conquis par l’énergie et le dynamisme de cette femme, il finira par la nommer secrétaire d’Etat aux universités… Mais le problème corse était déjà posé depuis de nombreuses années.

Dans toute autre partie de l’Hexagone, on s’en serait tenu à cela, au respect de la loi ou à des contestations suivant des formes démocratiques, mais pas en Corse où la loi des clans dicte un autre processus.

Celui qui a provoqué le scandale, mettant en danger non seulement la position de son ancien ami mais aussi celle de tous ses affidés qui vivent grâce aux subsides de leur généreux protecteur.

Les menaces ne tardent pas à pleuvoir sur celui qui a dénoncé le scandale sur la place publique ; il a rompu la loi du silence, de l’omerta…

J’ai relevé un dicton corse : garde le silence et le silence te gardera. Très juste, mais dans ce cas, comment voulez vois maintenir l’ordre et au moins un semblant de vie juste et démocratique ? Comment poursuivre les criminels si personne ne veut témoigner contre eux ?

Le conflit s’envenime, à tel point que les tentatives d’assassinat se succèdent et que l’un des protagonistes est mitraillé dans son véhicule avec son épouse et sa fille qui n’a pas dix ans ; toutes deux seront grièvement blessées. On entrevoit le genre de guerre qui se profile avec de plus en plus d’insistance.

L’intrusion de la violence armée en plein centre ville d’Ajaccio ou dans les villages, sans considération aucune pour des innocents n’ayant aucun lien avec les questions ardemment disputées.

A présent, examinons les différentes questions d’un point de vue philosophique: je disais plus haut que la loi du silence est une véritable calamité sur place puisque la plupart des crimes demeurent non élucidés en raison du mutisme des gens : personne n’a rien vu, personne ne sait rien, donc personne ne veut témoigner…

Mais voilà, le cas qui nous est présenté ici marque un tournant : la petite fille, grièvement blessée lors de l’attentat qui a failli coûter la vie à ses parents, a reconnu l’un des agresseurs et se dît prête à témoigner contre lui.

Elle fait ce que personne ne faisait précédemment, elle accepte d’être sous protection policière jusqu’au jour du procès des meurtriers.

Il faut savoir ce que cela représente : aller à l’école en voiture blindée, ne jamais sortir seule dans la rue sans ses anges gardiens, observer une multitude de règles de sécurité qui vous changent la vie…

On l’a dit et redit maintes fois ; la société corse a une organisation qui lui est propre, elle se veut traditionnelle et patriarcale, avec un code de l’honneur qui ne plaisante pas. Les liens familiaux sont parfois de nature clanique, comme dans les sociétés non encore converties aux règles judiciaires normales .

Ce n’est pas une critique, c’est un constat. Et je me demande comment le discours religieux de l’église catholique n’a pas, à ce jour, réussi, à éloigner cette charge de violence criminelle. L’article le plus politique du Décalogue stipule bien : Tu ne tueras point…

Au fond, cette société corse pourrait se résumer en une dizaine de mots qui fixent son essence profonde. Mais ce n’est pas le lieu ici pour en parler en détail.

La question que l’on se pose est la suivante : pourquoi cette violence atavique, surtout dans les années 1980/90 au cours desquelles les nationalistes s’entretuaient sans pitié, où les amis d’hier devenaient les ennemis d’aujourd’hui et où, l’autre camp ne se privait pas d’attiser les rivalités, parfois même en corrompant tout ce petit monde ou en infiltrant des informateurs dans ses rangs.

L’Etat, français en l’occurrence, est censé avoir le monopole de la violence légitime, ses agents sont les seuls habilités à porter les armes… Or, dans cette île de beauté, ce n’est pas le cas.

J’étais sidéré de lire un passage où le chef de famille, qui vient d’échapper à l’attentat qui a blessé les siens, demande à l’un de ses amis, venus le soutenir et le protéger : Trouve moi, je te prie, un lance-flamme, je vais aller brûler la maison de ceux qui nous ont attaqués !

A Paris, une telle arme de guerre n’est pas disponible en magasin, pas même chez les armuriers qui ont pignon sur eue…

Mais dans les grandes villes de l’île, certains portent des armes dans des discothèques. Imaginez les dégâts lorsqu’il y a des bagarres…

D’où vient donc cette violence, cette tendance à se faire justice soi-même et à mépriser la police et la justice? Les Corses ne font pas partie d’une humanité plus cruelle que la moyenne nationale.

Mais leur développement insulaire, depuis que Gênes les a cédés à la France, n’a pas favorisé leur alignement sur les autres systèmes judiciaires.

Il y aussi le problème des frontières terrestres qui sont plus fiables que les frontières maritimes. Enfin, il y a les dangers de l’invasion ; quand on n’est pas suffisamment protégé par un centralisme jacobin, on a tendance de se défendre soi-même.

D’où cette propension à avoir des armes et à régler les conflits à la manière corse. Les Corses veulent préserver leur identité propre et refusent de se laisser envahir, même par d’autres Français, dits du continent !

J’aime bien la Corse et pendant au moins trois années consécutives, nous y avons passé les vacances d’été, près de Porticcio.

Je me souviens avoir relevé que dans la halle aux poissons, j’avais été frappé à la fois par le digne maintien des vendeuses mais aussi par leurs robes noires.

Pas une seule ne portait un vêtement d’une autre couleur. On me chuchota à l’oreille que la vendetta était passée par là et que les morts violentes expliquaient cet état de faits.

Enfin, l’insulaire se veut libre comme le vent ou comme les flots. Difficile de lui imposer une loi.

Voyez ce qui se passait avec les somptueuses villas le long du littoral, construites avec des permis contestés par la population ou par des parrains exigeant une taxe: le plastiquage n’était pas un risque théorique…

Et quand vous discutez avec un insulaire pour contester de tels agissements, certains vous répondent qu’ils refusent que leur île connaisse le bétonnage de la Côte d’Azur…

Voici un livre écrit dans un beau style, sans message idéologique orienté mais qui se désole de voir une si belle région, frappée par une telle violence.

Seule une politique socio-économique équilibrée, réconciliera cette région de France avec elle-même.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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