Les Juifs de Strasbourg témoignent d’une qualité de vie que beaucoup pourraient envier. Le Grand Rabbin de la ville, le Rav Avraham Weil, nous explique pourquoi et nous livre son sentiment sur l’avenir de sa communauté.

 

Le P’tit Hebdo: Comment expliquer le climat propice pour les Juifs à Strasbourg?

Rav Avraham Weil: Je suis membre du comité des Rabbins d’Europe et j’échange aussi beaucoup avec ceux de France. En effet, on peut assimiler Strasbourg à un petit coin de paradis en termes de vie juive. Nous savons qu’il existe une menace terroriste et le SPCJ (Service de Protection de la Communauté Juive) reste vigilant. Mais les Juifs ici vivent dans une forme d’insouciance et de sérénité.

A cela je vois deux raison majeures. La première est géographique. Depuis très longtemps, maintenant, les Juifs de Strasbourg se sont regroupés dans les quartiers autour de la Grande Synagogue. Appelé communément ”le ghetto”, cette zone est une sorte de Petite Jérusalem. Les restaurants, les écoles, les synagogues, tout s’y trouve. Situés en plein cœur de Strasbourg et non en périphérie, ces quartiers où vivent la majorité des Juifs sont éloignés de ceux où sont concentrées les populations touchées par l’islamisme. En effet, Strasbourg n’est pas épargnée par ce phénomène mais les contacts entre les populations sont réduits, ce qui contribue à limiter les incidents.

La deuxième région est le Concordat, en vigueur en Alsace-Lorraine. Dans cette région, la loi de 1905 ne s’applique pas comme dans le reste de la France. Ainsi, vous avez à l’école publique, des cours de religion. Les Juifs peuvent étudier le judaïsme dans ces établissements, mais tout élève qui le souhaite aussi. L’interaction entre les autorités publiques et la communauté juive est importante. Les mentalités sont différentes au regard des religions, en Alsace-Lorraine, ce qui limite aussi les tensions autour de ces sujets. Ici, les gens sont habitués à voir des garçons avec une kippa, la grande synagogue est un édifice imposant de 30 mètres de haut, la population strasbourgeoise vit avec cela, et n’y trouve rien d’anormal.

Lph: Quels sont les rapports que vous entretenez avec la communauté musulmane?

Rav A.W.: Le judaïsme strasbourgeois a toujours été à la pointe du dialogue interreligieux depuis André Neher ou Benno Gross z”l mais aussi avec les Grands Rabbins qui m’ont précédé. Notre communauté est capable de s’ouvrir et nous cherchons à créer des ponts. Il faut reconnaitre qu’il est plus difficile de trouver un interlocuteur au sein de la communauté musulmane que chrétienne. Les Chrétiens aussi rencontrent ce problème lorsqu’ils veulent discuter avec un responsable de la communauté musulmane. On ne sait pas trop comment ils sont organisés.

Lph: La communauté de Strasbourg est-elle de ce fait un peu déconnectée des réalités que vivent les autres Juifs de France?

Rav A.W.: Je pense, en effet, qu’au vu des spécificités que je décris, nous sommes déconnectés de ce qui se passe ailleurs en France. Nous suivons néanmoins de près les évolutions, nous regardons avec inquiétude la montée d’un antisémitisme islamiste mais aussi le réveil de l’antisémitisme primaire d’extrême-droite, comme en témoignent certaines caricatures, associant les Juifs à la finance. Nous savons que certains Juifs vivent dans des situations très difficiles en France.

Lph: Vous n’êtes donc pas inquiet pour l’avenir de votre communauté?

Rav A.W.: Les Juifs ici profitent d’un confort de vie unique. Chaque mois nous accueillons de nouvelles familles, le nombre de naissances dépassent celui des décès. Strasbourg a toujours été réputée pour son niveau d’étude de la Torah. C’est plus que jamais justifié: nous avons beaucoup de kolellim, de baté midrachim, c’est une des villes où les gens investissent le plus dans l’étude.

La communauté doit se préparer à accueillir plus de familles encore, à adapter ses structures, notamment éducatives pour répondre à la forte démographie. Nous devons aussi réfléchir sur le plan social, certaines familles présentes ou qui arriveront dans le futur auront besoin d’aide à ce niveau. Le défi de notre communauté est d’élargir notre réflexion.

Mais je ne peux conclure cet entretien, sans affirmer que même si nous vivons très bien à Strasbourg, notre cœur est en Israël. Nous avons tous une aspiration à moyen ou long terme de nous installer en Eretz Israël. D’ici là, nous œuvrons pour vivre le mieux possible en France.    

Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay

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