Ce que nous savons de la Shoah, c’est aussi grâce à Noah Klieger.

En cette journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, souvenons-nous de celui qui a disparu le 13 décembre et qui a tant transmis.

Il y a presque deux ans, lorsque Noah Klieger, rescapé de la Shoah, écrivain et journaliste israélien, fut invité à témoigner devant l’Assemblée Générale de l’ONU, à l’occasion du jour international de la Shoah, le 27 janvier, il rappela qu’il avait pris trois engagements lorsqu’il s’était retrouvé à l’âge de 16 ans au cœur des ténèbres, dans le camp d’Auschwitz-Birkenau.

Son premier souhait était de tout faire pour survivre à l’enfer sur terre où il s’était retrouvé.

Le deuxième vœu était que s’il s’en sortait, il témoignerait de ce qui s’était passé, notamment au nom de toutes les victimes qui ne pourraient pas le faire.

Le troisième engagement était que lorsqu’il sortirait du camp, il contribuerait à la création d’un état indépendant juif, afin que le Peuple juif redevienne maître de son destin.

Car c’est à Auschwitz que Noah Klieger était devenu sioniste. Face aux ambassadeurs à l’ONU de l’ensemble des pays du monde, il ajouta: « je peux dire aujourd’hui avec fierté que j’ai tenu mes trois promesses ».

Noah Klieger, qui est décédé le 13 décembre 2018 à Tel-Aviv, a eu un destin riche en événements qui se confond avec le destin du peuple juif au 20e siècle, entre volonté de destruction nazie et renaissance d’un état après 2000 ans.

Rappelons quelques éléments de cette étrange et passionnante biographie: né en 1925 à Strasbourg, Norbert (Noah) Klieger se retrouve au début de la seconde guerre mondiale en Belgique, car son père croit, à tort, qu’Hitler respectera la neutralité belge.

Très jeune, il fait partie à la fois de la résistance belge, dans laquelle son père milite, et d’un organisme de jeunesse sioniste, qui fait passer en Suisse clandestinement des jeunes juifs.

Le jour où lui-même doit partir, il est arrêté et, via le camp de Maline, arrive le 15 janvier 1943 à Auschwitz. Là se produit l’un des premiers et nombreux « miracle » qui lui permettront de survivre. Un SS demande s’il se trouve des boxeurs parmi les nouveaux prisonniers.

Pour une raison qu’il n’a jamais pu s’expliquer, Noah Klieger lève la main. Cela lui vaudra d’être intégré dans l’équipe des boxeurs qui se trouve à la Buna, le camp d’Auschwitz-III.

Bien que très jeune, il s’en sortira grâce à la complicité de ses camarades, qui truqueront les matchs lorsque Noah sera sur le ring et bénéficiera d’une ration supplémentaire de soupe, comme les autres boxeurs. C’était une ration supplémentaire de vie, dira-t-il.

Bien d’autres « hasards » lui permettront d’échapper à la mort promise a priori à tous les déportés juifs.

Libéré par les Soviétiques en avril 1945 à Ravensbrück, en compagnie d’autres français, dont Marie-Paule Vaillant-Couturier, la grande résistante, il revient en août 1945 à Bruxelles, où il a la chance de retrouver ses deux parents, eux aussi rescapés d’Auschwitz.

Noah milite alors dans le réseau clandestin mis en place par l’Agence juive à travers l’Europe pour faire partir les rescapés qui le désirent vers Israël, encore alors territoire britannique.

En juillet 1947, il se retrouve près de Marseille, pour embarquer en compagnie de plus de 4000 personnes sur un bateau dont l’épopée restera fameuse dans l’histoire: l’Exodus.

Signe de sa personnalité particulière, Noah Klieger est le seul survivant de la Shoah qui est coopté dans l’équipage de ce bateau, aux côtés de volontaires américains et de militants de l’Agence juive.

Là encore, les anecdotes incroyables se succèdent, comme lorsque après l’arraisonnage de l’Exodus, il saute dans la mer, en plein cœur de la Méditerranée, de l’un des trois vaisseaux de guerre britanniques qui les ramènent vers l’Europe, pour tenter de contacter les autres refoulés et les dissuader d’accepter de débarquer en France.

En 1948, il participe à la guerre d’indépendance d’Israël, puis tente d’apprendre l’hébreu pour devenir ce qu’il a toujours rêvé de faire: être journaliste.

Les débuts ne sont pas simples, mais il finit par rentrer dans un journal sportif, tout en devenant correspondant de « L’Équipe ».

En 1959, alors qu’il « pige » pour le grand quotidien israélien « Yédiot Aharonot », il est envoyé en Pologne pour couvrir le premier match de football entre l’équipe d’Israël et un pays du bloc de l’Est.

Au lendemain du match, l’ambassadeur d’Israël l’emmène en visite à Auschwitz. C’est un choc pour lui, lorsqu’il s’aperçoit que ce lieu de souffrance est devenu un lieu de tourisme.

Il écrit trois articles de compte-rendu du premier survivant israélien à retourner à Auschwitz et Birkenau, qui sont publiés par le quotidien israélien: deux ans avant le procès Eichmann, c’est un premier choc pour les lecteurs israéliens.

C’est grâce à cela qu’il devient journaliste, puis plus tard membre du comité de rédaction du Yediot. Noah était très fier d’être le journaliste le plus âgé encore en activité dans le monde: son dernier article a été publié deux jours avant sa mort. Trop fatigué pour écrire, il l’avait dicté à sa fille Iris, elle-même journaliste au Yédiot.

Mais c’est surtout de ce voyage de 1959 que date le militantisme permanent de la mémoire que Noah Klieger a accompli pendant des dizaines d’années, aussi bien par des centaines, peut-être des milliers, de conférences en Israël comme à travers le monde, que par l’accompagnement de nombreux groupes en Pologne, et notamment à Auschwitz-Birkenau.

Pédagogue instinctif, parlant une dizaine de langues et doué d’une mémoire sans faille, il avait une capacité de conteur qui lui permettait de captiver son auditoire, mais également une humanité profonde, qui amenait chaque auditeur à se retrouver interpellé par ce que Noah livrait de son passé. Un petit exemple, pour terminer cet hommage trop bref d’un géant du XXe siècle.

Il y a deux ans, je l’ai emmené témoigner devant un groupe de jeunes en vacances à Tel-Aviv. Quatre-vingts adolescents de 16 ans, enfermés dans une salle un matin du mois d’août alors que l’air conditionné marchait très mal, ne rêvant que d’aller à la plage et se retrouvant devant un vieux petit bonhomme qui était dans un fauteuil roulant: le scénario idéal pour un fiasco éducatif.

Noah a parlé une heure et demie, dans un silence et une écoute incroyable, puis a répondu aux nombreuses questions que ces jeunes lui ont posé. Nous n’entendrons plus cette voix, mais il nous reste le livre de mémoire[1] qu’il a écrit en écho à cette vie exceptionnelle.

Alain Michel Historien à Jérusalem et guide en Pologne

huffpost.fr

[1] Noah Klieger, Plus d’un tour dans ma vie, Editions Elkana, distribution en France Biblieurope.

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