Boualem Sansal : «Il faut combattre l’islamisme dans toutes ses dimensions»

Par Vincent Tremolet de Villers

Source : FigaroVox

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le grand écrivain algérien livre son analyse sur l’attentat de Manchester. Le djihadisme n’est qu’un visage de l’islamisme, qui se déploie aussi sans bruit ni fumée, par la conquête des mœurs et des territoires, estime-t-il.Boualem Sansal.

Boualem Sansal est un écrivain algérien censuré dans son pays d’origine à cause de sa position très critique envers le pouvoir en place. Son dernier livre 2084, la fin du monde est paruen 2015 aux éditions Gallimard.


LE FIGARO. – Que vous inspire l’attentat de Manchester?

Boualem SANSAL. – On se demandait si l’islamisme était affaibli par ses déboires avec Daech, voilà la réponse.

L’islamisme gagne à tous les coups. L’échec de Daech n’est pas le sien. Il est celui d’un homme, Baghdadi: un autre, plus dur, mieux inspiré par Allah, lui succédera. L’islamisme se fiche de ses échecs comme de ses victoires. Ce qu’il voit, c’est que partout dans le monde il s’impose sur nos reculs, nos lâchetés, notre ignorance, nos incompétences, notre distraction, en se présentant à nous selon le cas avec le visage transparent de la démocratie, le visage benoît de l’islam, celui souriant de l’islamisme modéré, renfrogné de l’islamisme radical, joyeux de l’islamisme coopératif. Aujourd’hui on pleure Manchester et demain on fera des concessions aux prédicateurs masqués qui viendront nous présenter leurs condoléances.


L’islamisme gagne à tous les coups. L’échec de Daech n’est pas le sien. Il est celui d’un homme, Baghdadi: un autre, plus dur, mieux inspiré par Allah, lui succédera.
L’islamisme se fiche de ses échecs comme de ses victoires. Ce qu’il voit, c’est que partout dans le monde il s’impose sur nos reculs, nos lâchetés, notre ignorance, nos incompétences, notre distraction, en se présentant à nous selon le cas avec le visage transparent de la démocratie, le visage benoît de l’islam, celui souriant de l’islamisme modéré, renfrogné de l’islamisme radical, joyeux de l’islamisme coopératif.
Aujourd’hui on pleure Manchester et demain on fera des concessions aux prédicateurs masqués qui viendront nous présenter leurs condoléances.

Plusieurs de vos ouvrages décrivent la volonté de conquête de l’islam politique en France et en Europe. Avez-vous l’impression d’une prise de conscience collective?

La France et l’Europe sont dans une situation qui se complique horriblement de mois en mois. Trois phénomènes plus ou moins liés sont à l’œuvre. Le premier est l’islamisme, ou l’islam politique, qui a un volet radical et un volet modéré. Il est clairement dans une démarche de conquête, non pas des États contre lesquels il ne peut rien, mais des territoires: des quartiers devenant terres de charia dès lors que leur population est majoritairement musulmane, des places dans l’administration et la politique, des instruments symboliques visibles (signes religieux, label hallal, utilisation de l’arabe au détriment du français). Il suffit de voir l’évolution de carrière des responsables de ce courant (l’UOIF par exemple) et de leur patrimoine pour mesurer combien la conquête est rentable.

Le deuxième est l’islamisme djihadiste, qui a pour vocation de «punir». Les raisons de cette rage contre la France sont abondamment explicitées dans la littérature djihadiste. La conquête n’est pas vraiment son but, mais la destruction d’une civilisation honnie et l’implantation de têtes de pont.

Le troisième est l’expansion sans bruit ni fumée de l’islam. C’est le moins connu des phénomènes. Il est puissamment soutenu par les pays musulmans et les grandes organisations islamiques (OCI, LMI). Le but est l’enracinement de l’islam sunnite en Europe. Le résultat est remarquable: l’islam progresse dans tous ses segments, plus vite qu’il ne le fait dans les pays arabes, où l’islamisme dominant empêche son déploiement, ou en Afrique noire et en Amérique, où les évangélistes font barrage.

En France, la prise de conscience dûment étayée n’existe qu’au sein des services de sécurité et des spécialistes, mais, à ce que l’on sait, ils n’arrivent pas à convaincre le pouvoir politique de la nécessité de prendre le problème en charge dans toutes ses dimensions. Macron a montré au cours de la campagne présidentielle qu’il ne connaissait pas le problème numéro un de la France. Au Mali, il a fait quelques déclarations qui montrent qu’il a été bien briefé. Il ne reste qu’à le convaincre que le problème est le même en France et on évitera un «quinquennat pour rien». Au sein de la population, on est toujours au premier stade, celui de la peur. On ne lui parle que du terrorisme et seulement au moment des attentats. On craint les dérapages et autres amalgames.

L’État islamique est en passe d’être vaincu. N’est-ce pas la preuve que l’islamisme radical est en recul?

On peut le penser mais la réalité est autre: les talibans ont été chassés de Kaboul, les GIA ont été éradiqués, l’association des Frères musulmans a été dissoute, al-Qaida bat de l’aile, en quoi cela a-t-il affaibli l’islamisme? Il renaît de ses cendres dans le champ voisin, voilà tout.

La fin de l’EI, c’est aussi la dissémination de la terreur. Les islamistes aiment bien changer de monture et repartir à l’assaut avec de nouvelles structures sur lesquelles l’ennemi ne sait rien. Restons sur l’idée que l’islamisme est invincible et que la mort des siens le renforce.

Certains y voient la nouvelle discrimination de notre temps, d’autres un «un racisme imaginaire» (Pascal Bruckner)… Que vous inspire la notion d’islamophobie?

L’islamophobie vient de quelque part, de la peur de l’islam rétrograde et intolérant qui se diffuse dans la société. Elle se développe en France comme dans les pays musulmans où ceux qui ne sont pas dans la doxa islamiste vivent la terreur au quotidien. Combattre l’islamophobie ne passe pas par la dénonciation de l’islamophobie, qui est une réaction instinctive, mais par la victoire sur l’islamisme et le communautarisme, et par la pacification de l’islam dans le cadre des lois de la République.


Le multiculturalisme est la panacée, il guérirait tout. Pour les islamistes, c’est une insulte à l’islam: rien ne saurait lui être égal, rien ne doit venir polluer son environnement.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que les sociétés multiculturelles comme le Canada sont le meilleur moyen de contenir les poussées radicales de l’islam?

Le multiculturalisme est la panacée, il guérirait tout. Pour les islamistes, c’est une insulte à l’islam: rien ne saurait lui être égal, rien ne doit venir polluer son environnement. C’est ainsi que dans les pays arabes et dans maints quartiers en France on a si bien fait qu’il ne reste pas un chrétien vaillant, pas l’ombre d’un juif, pas un présumé homosexuel, pas un artiste, pas un libre-penseur, pas une femme en pantalon.

J’espère que le gouvernement du Canada peut comprendre ceci: même en Arabie où règne l’islam le plus fermé, fleurissent des poussées radicales. La répression au sabre n’y faisant rien, les autorités donnent beaucoup d’argent aux ultras pour qu’ils aillent purifier l’islam ailleurs, chez Daech, en Europe (l’Eldorado pour les fous d’Allah) et, pourquoi pas, au Canada un jour.

Une récente étude de l’Institut Montaigne décrit l’attraction qu’exerce la loi coranique pour les jeunes Français musulmans. Comment expliquer ce retour du religieux?

Le problème n’est pas tant le retour du religieux, c’est un mouvement de balancier vieux comme les religions. Les jeunes sont volontiers moutonniers. Dans l’univers gris des banlieues, l’islam leur conte une histoire lumineuse et leur offre pouvoir, martyre et paradis sans contrepartie. C’est excitant en diable. En tout cas, ça ne coûte rien d’essayer.

Le problème est la conjonction des trois phénomènes que j’ai essayé de décrire plus haut. Ces jeunes peuvent devenir la proie des prédicateurs de la guerre sainte qui savent enclencher sur ces esprits faibles une chaîne de soumission qui fait passer l’impétrant naïf de l’islam à l’islamisme, de l’islamisme au djihadisme et du djihadisme au crime de masse.

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Silvio Molenaar

Plus que la description des faits, suite au énième attentat commis par des nihilistes musulmans à Londres, c’est la sémantique de rigueur qui semble non moins intéressante et porteuse d’enseignements. Nous passerons le cortège des « tweets » « nos pensées vont à », « solidarité », etc, l’illumination de bâtiments publics aux couleurs du pays touché, la quinzaine de la bougie, de la fleur et de la larme (et non de l’alarme) à peu de frais pour des politiques ayant leur part de responsabilité, pour nous intéresser à leurs déclarations officielles suivant immédiatement les faits. Le premier ministre néerlandais Rutte par exemple a parlé « d’attentat lâche ». Il est vrai que nous avions eu le cas de figure de certains « attentats courageux ». Le maire de Londres, parle quant-à lui d’une « attaque délibérée et lâche » : idem, il est vrai que nous eûmes par le passé à faire à des « attaques involontaires et courageuses ». Le pote à Macron, Trudeau, parle de « terrible nouvelle de Londres ». Macron, le pote de Trudeau, parle d’une « nouvelle tragédie ». « Un terrible évènement », continue Theresa May, la première britannique, et « une nouvelle tragédie » pour Charles Michel, le premier Belge. La petite caste de dirigeants européens se retrouve ainsi à commenter les fruits de ses propres erreurs, et l’air de rien, fait furieusement penser à ces gangsters dissimulés parmi les otages sortant de la banque qu’ils viennent de braquer, en profitant ainsi pour prendre la poudre d’escampette, le cul confortablement calé dans leur insupportable sémantique. Vous me direz qu’on ne voit ça que dans les films : le sang des européens maculant de plus en plus souvent les trottoirs des capitales du « vieux » continent atteste que nous sommes pourtant dans le réel. Et voici ce réel, relaté par un témoin, dans le Telegraaf : « ils couraient en criant c’est pour allah ! c’est pour allah ! ils ont poignardé une fille en la tailladant peut-être à dix, quinze reprises, elle appelait au secours mais je n’ai rien pu faire » (…) Ceci n’explique pas entièrement cette langue de bois, aux proportions psychiatriques, manifestée par nos politiques, consistant à éviter certains mots pour en favoriser d’autres, mais enfin entre « tragédie », terrible évènement » ou « terrible nouvelle » nous pourrions aussi bien être en proie à une série de catastrophes naturelles… Certes, de ci de là il est question « d’attaque » ou « d’attentat lâche ». Attentat de qui, de quoi, pourquoi ? De nouveau le fameux « horizon psychiatrique », (à l’image de l’horizon cosmologique des astrophysiciens) ce mur sémantique empêchant le citoyen-astronome de voir plus loin… Le moindre être humain porteur de bon sens soupçonne là ce flirt sémantique avec la psychiatrie, et il s’en inquiète, car il signifie peut-être tout bêtement que la situation est infiniment plus grave que les politiques nous le font croire. Ce sang européen qui coule de plus en plus régulièrement, c’est peut-être le premier signe de la métastase du cancer fondamentaliste rongeant un islam importé sur le continent. Si le rôle du politique est celui du médecin en face d’un malade, à savoir établir un diagnostic, et en corolaire un traitement, nous sommes perdus : Theresa May vient en effet de déclarer : (…) « on doit s’attaquer à la destruction d’une idéologie qui n’a rien à voir avec
l’islam ». Autrement dit, un médecin constatant le cancer de son patient, lui dit : « cette maladie n’a rien à voir avec vous ». Et il précise : « tout individu prétendant le contraire ne serait qu’un islamophobe ».