Aude Walker, Cavales. Fayard

Quand on parle d’un roman, on doit privilégier la forme sur le fond… Il s’agit d’arracher le lecteur à une réflexion conceptuelle trop poussée, de l’envoûter aussi, littéralement. C’est bien ce que je vais tenter de faire, sans être sûr d’y parvenir. La forme d’abord : il s’agit de narrations, d’échanges de lettres, de voyages à travers les routes montagneuses et sinueuses de Californie. Bref, c’est un récit à plusieurs voix, même si l’affaire se passe surtout entre un homme et une femme, à qui vient s’ajouter un enfant dont on semble prendre le plus grand soin. Et les rapports mère / fille…

C’est aussi une évocation de souvenirs, de liaisons et de ruptures amoureuses qui nous valent des morceaux empreints de grâce lorsque l’un ou l’une des protagonistes se confie ou fait des confidences sur sa vie intime. En voici un bel exemple :

Normalement, c’est ce que j’entends chez les couples qui collapsent, c’est aussi ce que j’ai vécu avant elle, notamment, après quinze ans de vie commune, à force de vivre collés l’un sur l’autre, face contre face, sale gueule contre sale gueule, on dit toujours, on ne se voit pas, on a oublié l’émerveillement  des débuts de l’histoire. J’aimerais la revoir avec les yeux du commencement.  Mais elle reste la même ...

On passe d’un personnage à l’autre. On lit les vicissitudes de la vie quotidienne de chacun d’entre nous. Certains passages nous émeuvent, d’autres nous surprennent, d’autres enfin, nous laissent indifférents. 

Je pense à cet acteur de séries médiocres à la télévision qui se plaint de la vacuité de son existence, de sa lourde dépendance économique à l’égard d’une direction qui lui impose les choses les plus humiliantes. Au point même de lui annoncer le plus calmement du monde que sa création arrive à expiration, puisque le personnage qu’il incarne à l’écran, finit par mourir. Mais voilà, comme tout un chacun, il rêvait de parvenir à une aisance relative et se fait construire une maison afin d’avoir un toit au-dessus de la tête.

On lit aussi des réflexions désabusées sur une pseudo célébrité qui vire au cauchemar quand on est remercié du jour au lendemain et qu’on ne peut plus assumer le statut social qu’on avait jadis… IL y a une scène où des employés d’une agence de location de voitures se retrouvent en compagnie de l’acteur déchu, incapable de vivre sur un grand pied. Et ces anciens admirateurs vivent en direct le déclassement cruel de l’ancienne star…

Je vais m’habituer forcément, je vais tout faire pour. Parce que je voulais en venant à Topaganga. C’était ça le projet depuis le début, même avant, ce n’était pas le cinéma. Pas Hollywood , pas cette vie de merde en dépendance ombilicale, ce que la grande vie oblige chez les uns et les autres., personne ne le voit jamais venir . Rien que pour ça. Quinze ans à faire l’acteur comme on est serveur sans conviction dans une série de  merde, comme on servirait des burgers… Alors quand ils ont tué Max, mon personnage… Comme tous les soirs, on m’a remis le script du lendemain. J’ai lu de loin en dînant d’un plat réchauffé, et puis à la fin de l’épisode, noir sur blanc :  Max, aveuglé par les larmes, rate un virage et se tue à moto.

Mais il y a plus grave. Je fais allusion à la personne qui a décidé de bénéficier d’une aide au suicide et qui doit se rendre dans une institution proche de la ville de Bâle. On a même droit à une description détaillée du dernier repas. Rien n’est oublié, la qualité des ingrédients, le degré de cuisson de tel ou tel condiment, etc… Et lorsque le suicide est achevé par l’injection d’une dose de barbituriques, en mesure de venir à bout d’un éléphant (sic), la narratrice promet d’écrire à la disparue…

Je n’ai pas encore dit que ce jeune enfant placé à l’arrière du véhicule s’appelle Shimon, prénom hébraïque présent dans le corpus biblique et  connotant la notion d’entendre, d’exaucement. Shim’on vient de léishmo’a. La narratrice commence à nous parler de son ascendance juive.

Mais il convient aussi de signaler la critique sociale de ce roman qui parle longuement des mobil-homes d’acteurs au chômage qui ne peuvent plus vivre sur le même pied que du temps de leur splendeur et qui s’installent au fond du canyon, face à la mer, car ainsi ils peuvent fréquenter les paysages qu’ils connaissaient er fréquentaient  avant que le déclassement social ne les en éjecte.

Au fond, c’est une critique du mode de vie, de l’American way of life avec ses petitesses et ses grandeurs, ses bassesses et ses exaltations…, Les addictions au sexe, à l’alcool et à la drogue jalonnent la vie des personnages présentés dans ce roman. Une vie faite de paraitre, de préjugés, mais l’auteur est plus direct en parlant d’une vie de m… !

Mais, à moins que tout ne trompe, c’est le suicide organisé de sa mère qui hante la narratrice. Qu’on en juge : Tout ça pour ne pas penser à toi. Mais je me mêle de quoi ? Ce ne sont pas mes affairesMes affaires, c’était toi, ta mort, ton choix. Et je n’ai pas trouvé la ressource pour répondre à ton besoin. Alors, en quoi une fille même pas capable d’affronter le suicide de sa mère aurait quelque chose de bon à offrir à un enfant de sept ans, doux et profond comme une nuit de pluie ? 

Quand on dépose ce roman après l’avoir presque entièrement lu, on ressent une atmosphère un peu étrange… et je ne pensais pas que je pourrais aller jusqu’au bout. Je ne dis pas la conclusion puisqu’il n’y en a pas. Certes, le regard du philosophe n’est peut-être pas le plus indiqué, le plus approprié pour en parler. Mais j’ai essayé de faire de mon mieux. 

 

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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