Le 19 février 2019, en présence du Premier ministre, Édouard Philippe, 20.000 personnes se sont réunies place de la République à Paris. // © Xavier POPY/REA

Face à la recrudescence des actes antisémites et racistes, les établissements du supérieur s’organisent. Mise en place de référents, formation des membres du personnel, sensibilisation des étudiants… Les initiatives se multiplient pour enrayer un phénomène dont on mesure encore mal l’ampleur.

Locaux saccagés, tags antisémites, inscriptions de croix gammées, insultes… Ces dernières années, et plus encore ces derniers mois, des actes racistes et antisémites ont troublé la vie de certains établissements d’enseignement supérieur.

Des inscriptions antisémites ont été ainsi été découvertes dans une salle de classe à HEC le 12 octobre 2018. Plus récemment, les 21 et 22 février 2019, des propos antisémites ont été tenus lors d’un colloque international portant sur « la nouvelle école polonaise d’histoire de la Shoah » organisé à l’EHESS.

Ces incidents s’inscrivent dans un contexte particulier : le nombre d’actes antisémites a augmenté de 74 % en France entre 2017 et 2018, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.

La Conférence des doyens des facs de médecine a ainsi publié, le 11 février 2019, un communiqué dans lequel elle s’indigne de la recrudescence  » d’actes racistes et antisémites perpétrés à l’encontre des enseignants, des autorités et des étudiants de confession juive et/ou d’origine étrangère ».

Le même jour, la section disciplinaire à l’égard des usagers de l’université Paris 13 annonçait avoir condamné un étudiant à un an d’exclusion, dont deux mois ferme, pour « antisémitisme et harcèlement ». Dix jours plus tard, le 21 février 2019, la CPU (Conférence des présidents d’université) invitait les universités à « prendre des initiatives ».

120 référents racisme et antisémitisme

Pourtant, dès janvier 2015, à la suite des attentats visant la rédaction de « Charlie Hebdo » et l’Hyper-Cacher de la Porte de Vincennes, le gouvernement a incité les établissements du supérieur à mettre en place des référents « RA » (racisme et antisémitisme).

Cette initiative était l’un des volets du grand plan de mobilisation initié par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Le 19 mars 2018, la rue Descartes et la Licra signaient une convention afin de former les référents. Trois sessions doivent avoir lieu courant mars 2019.

Il existe aujourd’hui 120 référents « RA » – 45 dans des universités, et 75 dans des écoles de commerce, ingénieurs, IEP, etc. –, selon Samuel Ghilès-Meilhac, chargé de mission au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Leur rôle ? Traiter les problèmes et faire remonter les informations en cas d’incident, tout en formant les membres du personnel et les étudiants, afin de libérer la parole des victimes.

Encore faut-il que les référents soient connus de tous, ce qui n’est pas toujours le cas. Isabelle de Mecquenem est référente à l’université de Reims Champagne-Ardenne depuis 2015, mais ses coordonnées n’ont été communiquées sur le site web de l’établissement qu’à la rentrée 2018.

Pour accroître leur visibilité et favoriser l’échange d’expérience, certains référents ont décidé de s’organiser en créant un réseau.

À l’université Grenoble-Alpes, syndicats, associations, villes et universités se sont regroupés pour « mutualiser tout ce qui touche à l’enseignement supérieur et la recherche sur les discriminations », indique Samuel Ghilès-Meilhac.

Une convention entre la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) et le Défenseur des droits devrait d’ailleurs bientôt être signée. Et un vade-mecum, à l’image de celui produit sur le harcèlement sexuel, serait également en cours d’élaboration.

Des statistiques encore imprécises

Malgré la présence de référents, le nombre de remontées d’informations ne reflète pas toujours la réalité. Depuis septembre 2018, Isabelle de Mecquenem a été informée « de deux cas d’insultes », alors que son établissement accueille 40.000 étudiants.

Idem pour Daniel Verba, référent RA à l’université Paris 13, qui a été saisi de six cas en un an, « allant du graffiti raciste, antisémite ou homophobe jusqu’à des cas de harcèlement », précise-t-il.

Difficile, dans ces circonstances, de mesurer précisément l’ampleur du phénomène. Pour affiner leur perception de la situation, certains établissements ont lancé leurs propres enquêtes. Comme l’université de Lorraine qui, par le biais d’un questionnaire diffusé auprès de 2.000 étudiants, a recensé pas moins de 470 témoignages de discrimination religieuse et 740 cas de discrimination racistes. L’université Paris 13 a également prévu sa propre enquête, qui sera réalisée par le CNRS.

Sensibiliser les étudiants, former les membres du personnel

En attendant que les résultats des enquêtes offrent une photographie plus nette de la situation, des actions de sensibilisation sont organisées un peu partout en France, durant la « semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme », du 18 au 24 mars 2019.

À travers des événements organisés par les établissements – conférences, expos, débats… – des sessions de formation pour les membres du personnel et des actions de sensibilisation auprès des étudiants sont prévues. « L’objectif n’est pas de s’attaquer aux individus racistes, mais à la socialisation raciste. Il faut chercher à comprendre ce qui se joue », souligne Daniel Verba.

Parallèlement, des actions plus pérennes sont mises en place dans de nombreuses universités. À l’université de Lille, dans le cadre d’une unité d’enseignement transversale, un module d’une heure et demie sur l’antisémitisme sera proposé aux étudiants.

Dans l’enseignement secondaire, on ne parle des Juifs en France qu’au sujet de la Shoah et de l’affaire Dreyfus. Il n’est jamais question d’histoire juive, de la présence des Juifs dans la culture.
(M. Benoit)

Une nécessité pour Martine Benoit, la référente RA de l’établissement : « Dans l’enseignement secondaire, on ne parle des Juifs en France qu’au sujet de la Shoah et de l’affaire Dreyfus. Il n’est jamais question d’histoire juive, de la présence des Juifs dans la culture. Ils sont toujours montrés comme des victimes », argumente-t-elle.

L’UPJV (université de Picardie-Jules-Verne) a ainsi développé un projet original de Mooc, soutenu par la Dilcrah :« Déconstruire les préjugés racistes antisémites », quand des cours sur l’histoire de la médecine nazie sont dispensés à l’université de Strasbourg.

Le doyen de la faculté de médecine, Jean Sibilia, aimerait aussi y organiser une reconstitution théâtrale du procès de Nuremberg.

Au-delà des cours, la sensibilisation des étudiants peut aussi passer par la recherche sur le terrain. À l’INU (Institut national universitaire) Champollion d’Albi, les enseignants emmènent leurs étudiants en Ukraine, afin d’y étudier la Shoah par balles. Ceux-ci doivent ensuite restituer leurs connaissances dans des conférences.

« Les bonnes intentions ne suffisent plus »

Les mesures en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme à l’université sont récentes, et les référents tâtonnent encore, se questionnent, essaient d’innover. « Faut-il une formation spécifique pour les community managers des universités, en prise directe avec la haine en ligne? » se demande Daniel Verba.

« Ces responsabilités-là sont relativement nouvelles pour un certain nombre d’établissements, il faut un temps d’adaptation », rappelle Samuel Ghilès-Meilhac.

Cependant, les universités doivent parfois prendre des sanctions. Qu’est-il prévu dans ces cas-là? Le référent de l’université Paris 13 est justement en train d’élaborer, avec le ministère, un protocole de signalement, allant du simple rappel à l’ordre à des sanctions plus sévères : « Il existe des procédures en cas d’attaques terroristes, pourquoi ne pas faire de même pour sanctionner les actes de racisme ? »

Si les faits sont graves, répétés, ou qu’il ne semble pas y avoir de prise de conscience de la part des intéressés, l’intervention de la commission disciplinaire est envisagée. À l’étape suivante, l’établissement peut choisir de déposer plainte conjointement avec la victime.

« La tolérance et les bons principes ne suffisent plus. Pour arriver à extraire ce poison du corps social, il ne faut pas hésiter à être volontariste dans la manière d’opérer. Ce qui s’est passé avec #balancetonporc a été relativement efficace pour cette raison, observe Daniel Verba. À l’université, ce n’est pas la tradition, mais il est nécessaire aujourd’hui d’inventer de nouvelles formes de lutte, plus radicales. »

Aude Lorriaux 

www.letudiant.fr

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