Il y a 90 ans, le « transfert » négocié de juifs allemands vers la Palestine

En cette année de soixante-quinzième anniversaire de l’État d’Israël, il est une commémoration qui n’aura certainement pas lieu. Cela fait pourtant quatre-vingt-dix ans que, le 7 août 1933, le mouvement sioniste a conclu avec l’Allemagne hitlérienne un accord de « transfert », désigné sous son terme hébreu de « haavara ».

Le régime nazi y gagnait un précieux moyen de contourner la campagne de boycott international que sa politique antisémite avait suscité. L’Agence juive supervisait un « transfert », à la fois de personnes et de capitaux, vers la Palestine sous mandat britannique, où les immigrants juifs récupéraient la valeur de leurs biens placés en Allemagne sur un compte séquestre et réalisés en contrepartie de produits allemands d’exportation.

Le mouvement sioniste, devenu la seule organisation juive autorisée en Allemagne nazie, put ainsi « transférer » environ 53 000 juifs vers la Palestine, les soustrayant de ce fait aux persécutions.

Un accord très contesté

Le mouvement sioniste avait enregistré sa première victoire historique, en 1917, lorsque la Grande-Bretagne avait apporté son soutien à « l’établissement d’un foyer national juif en Palestine ». Cet engagement, connu sous le nom de « déclaration Balfour », avait été, cinq ans plus tard, intégré à la charte du mandat confié par la Société des nations au Royaume-Uni sur la Palestine anciennement ottomane.

Alors que les Juifs ne représentaient alors qu’un habitant sur dix de la Palestine, cette proportion avait, du fait du volontarisme sioniste encouragé par les autorités britanniques, plus que doublé en 1933. La Palestine comptait désormais environ 235 000 Juifs pour 900 000 Arabes. L’immigration juive était supervisée, au nom de l’Organisation sioniste mondiale, par l’Agence juive, installée en Palestine et mandatée pour délivrer les visas de résidence.

L’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir à Berlin, le 30 janvier 1933, est bientôt suivie par une vague de mesures antisémites, qui suscitent, entre autres de la part d’organisations juives, une campagne de boycott international. Mais Haïm Arlosoroff, le « directeur politique » de l’Agence juive, chargé donc des relations internationales, prône au contraire des négociations avec les nazis, en vue du « transfert » du plus grand nombre possible de juifs allemands vers la Palestine.

Haïm Arlosoroff, chef du département politique de l’Agence juive.

Haïm Arlosoroff, chef du département politique de l’Agence juive.

 

Après une mission secrète à Berlin, ce dirigeant travailliste élabore, le 19 mai, un plan tout aussi secret en ce sens. Alors que la gauche travailliste, menée par David Ben Gourion, est majoritaire dans le mouvement sioniste, ses rivaux de la droite révisionniste condamnent le principe même de pourparlers avec Berlin. Arlosoroff est assassiné le 16 juin, à Tel-Aviv, un meurtre à ce jour non élucidé, qui suscite une profonde émotion (avec des dizaines de milliers de personnes à ses funérailles), mais également de nombreux incidents entre militants travaillistes et révisionnistes.

Six années de « transfert »

C’est sur la base du projet d’Arlosoroff qu’une délégation sioniste, reçue le 7 août 1933 au ministère de l’Économie allemand, conclut un accord de « transfert » de juifs allemands vers la Palestine.

Les échanges de lettres qui suivent entre les deux parties, ainsi que les circulaires internes à l’administration allemande, sont regroupés par celle-ci, le 14 septembre, dans un dossier sur les « arrangements financiers entre le gouvernement allemand et certaines organisations en Palestine ». Les fuites organisées par le régime nazi jettent le trouble au sein du mouvement sioniste, et plus généralement dans la diaspora. Mais l’accord entre Berlin et l’Agence juive est assez solide pour demeurer en vigueur jusqu’à l’éclatement, six ans plus tard, de la Seconde Guerre mondiale.

La Palestine étant saturée en 1935 de biens allemands, la direction sioniste développe même un réseau pour les commercialiser dans le reste du Moyen-Orient. Alors que seulement 3 000 juifs avaient émigré d’Allemagne vers la Palestine de 1920 à 1932, ils sont environ 53 000 à le faire de 1933 à 1939.

Le malaise qui entoure la discussion sur cet accord, loin de s’estomper avec le temps, n’a fait que s’accentuer, par l’invocation de ce « transfert », hors de son contexte, dans des polémiques très contemporaines. Afin de mettre cet événement dans sa perspective historique, il n’est peut-être pas inutile de rappeler la réponse de Ben Gourion, le futur fondateur d’Israël, à ses camarades travaillistes tentés, en septembre 1939, de s’engager aux côtés des alliés contre l’Allemagne nazie : « Même si ma sensibilité de juif m’enjoint d’aller en France, je ne le ferai pas. Alors que, je le répète, je le devrais en tant que juif. Le sionisme est ce qu’il y a de plus profond dans le judaïsme. Aussi est-il nécessaire de faire un calcul sioniste, et non un calcul vaguement juif. »

C’est bien une forme de « calcul sioniste » qui a prévalu, il y a quatre-vingt-dix ans, dans un tel accord de « transfert ».

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L’accord Haavara (en hébreu הסכם העברהHeskem Haavara, littéralement « accord de transfert ») est un accord signé le  après trois mois de négociations entre la Fédération sioniste d’Allemagne, la Banque Leumi (sous les ordres de l’Agence juive, structure de liaison entre les sionistes établis en Palestine et les autorités britanniques, ayant conquis la Palestine dès fin 1917 et ayant ensuite reçu mandat en 1922 de la Société des Nations de l’administrer et de la gérer) et les autorités nazies, avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler et de ses partisans le , faisant suite aux élections allemandes de novembre 1932, où le parti nazi était devenu le premier parti politique allemand, avec environ 33,1 % des voix.

L’accord a été conçu pour faciliter l’émigration des Juifs allemands vers la Palestine, alors territoire sous mandat britannique. Aidant les Juifs à émigrer, il les force à abandonner la plupart de leurs possessions à l’État allemand avant le départ. Ces actifs, selon l’accord, pouvaient être obtenus plus tard, en les transférant en Palestine partiellement et comme contrepartie, des achats de biens d’exportation allemands devaient être faits. Les accords fonctionneront jusqu’en septembre 1939, au moment du début de la Seconde Guerre Mondiale. Environ 60 000 Juifs allemands ont pu émigrer en Palestine du fait de cet accord.

L’accord fait l’objet de controverses à l’époque et est critiqué par de nombreuses personnalités juives, au sein du mouvement sioniste (comme le leader sioniste révisionniste Vladimir Jabotinsky) et à l’extérieur de celui-ci. L’accord est aussi critiqué par des membres du parti nazi et par une partie de l’opinion publique allemande. Pour les Juifs allemands, l’accord donne l’espoir de pouvoir fuir les persécutions dont ils sont de plus en plus victimes en Allemagne, avec notamment les interdictions d’exercer leur profession dès 1935.

Hanotea

Hanotea (en hébreu : הנוטע), une société sioniste de plantation d’agrumes, fit la demande en  de transfert de capitaux en provenance de l’Allemagne nazie vers la Palestine. Hanotea, faisant partie du mouvement sioniste, servit ainsi à aider l’immigration des juifs allemands en Palestine. Selon un accord négocié avec le gouvernement allemand, Hanotea devait prendre l’argent des immigrants potentiels et le transférer dans un compte bloqué afin de l’utiliser pour acheter des marchandises allemandes (bois de construction, automobiles, machines agricoles). Ces biens étaient alors livrés à la Palestine, en même temps que des Juifs allemands pouvaient y émigrer. En Palestine, des importateurs juifs devaient alors acheter les biens des immigrés, afin de liquider leurs investissements, en contrepartie, le régime nazi, grâce à cet accord, pouvait contourner l’embargo britannique. Cet arrangement fonctionna avec succès et ouvrit ainsi la voie à l’accord Haavara. Le promoteur de l’accord Hanotea était un sioniste polonais, Sam Cohen. Celui-ci représenta les intérêts sionistes dans la négociation directe avec l’État allemand à partir de  ; toutefois, la même année, le congrès juif mondial se déclara en lutte totale contre le système nazi.

L’accord Haavara

L’accord Haavara (de Transfert) a été accepté par le gouvernement allemand de Hitler en 1933 pour permettre au mouvement sioniste, sous la forme de la société Hanotea, de transférer des biens d’Allemagne vers la Palestine, dans le seul but d’encourager l’émigration juive d’Allemagne. La société Haavara travailla sous un régime semblable à celui de l’entreprise Hanotea. Elle exigea que les immigrants paient, pour émigrer en Palestine, au moins 1 000 livres sterling, gérés par la banque Leumi qui était un des co-signataires de l’accord. Cet argent était alors utilisé pour acheter des biens d’exportation allemands qui étaient destinés à des sociétés juives déjà établies en Palestine, à des moshavs et à des kibboutz.

L’accord Haavara a été pensé par quelques membres des milieux diplomatiques allemands comme un moyen possible de débarrasser le pays de sa supposée « question juive ». Le chef de la division Moyen-Orient du ministère des Affaires étrangères, Werner Otto von Hentig (en), a soutenu la politique d’émigration des Juifs allemands vers la Palestine et la constitution d’un foyer national juif en Palestine. W.O. von Hentig croyait que si la population juive était concentrée dans une seule entité étrangère, alors la politique étrangère diplomatique et de confinement des Juifs deviendrait plus facile. Le soutien d’Hitler à l’Accord Haavara varia après l’année de sa conclusion, au long des années 1930. Initialement, il critiqua l’accord ; mais, peu après, il changea d’avis et le soutiendra, en dépit d’oppositions jusqu’en .

Après l’invasion de la Pologne et le commencement de la Seconde Guerre mondiale en , la poursuite pratique de l’accord Haavara devint très difficile. Au cours de l’année 1940, il fut quasiment impossible pour les Juifs restés en Allemagne et en Autriche d’obtenir encore des laissez-passer pour franchir les frontières du Reich allemand et les visas pour se rendre dans un pays étranger furent très peu nombreux.

En 1940, des représentants du groupe sioniste droitier Lehi rencontrèrent toutefois Werner Otto von Hentig afin de proposer directement une coopération militaire avec les nazis et accélérer le transfert des juifs d’Europe vers la Palestine. Cette proposition, cependant, ne produisit pas de résultats.

Sur quelques 500 000 Juifs allemands en 1933 et environ 200 000 Juifs autrichiens en 1938, environ 60 000 ont pu émigrer en Palestine du fait de cet accord. Environ autres 300 000 Juifs allemands entre 1933 et 1939 ont pu échapper aux arrestations puis aux camps de la mort, en émigrant dans différents pays européens ou aux États-Unis. Sur les restants (soit 200 000), la quasi-totalité fut ensuite arrêtée puis envoyée dans les camps d’extermination en Pologne occupée où l’immense majorité mourut par gazage. En juillet 1945, les autorités américaines établies à Berlin ont recensé approximativement 5000 Juifs alors que la communauté juive de Berlin en 1933 comptait approximativement 175 000 personnes.

Les Juifs d’Europe furent exterminés par les nazis et leurs alliés, pendant la Seconde Guerre mondiale. La décision d’une liquidation totale a été prise par les dirigeants en septembre 1941, car c’est à partir de cette date que les nazis commencent à rafler et déporter les Juifs de l’Europe entière. La conférence de Berlin-Wannsee en janvier 1942 tenue par environ 15 hauts cadres de l’Etat allemand et du parti nazi décide notamment de l’extermination physique des Juifs sous occupation allemande, par tous moyens : c’est la mise en place de l’Holocauste ou Shoah, qui fait environ 6 millions de morts, jusqu’à la fin du conflit.

Polémiques

En , le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déclaré à la tribune du 37e congrès de l’Organisation sioniste mondiale qu’Hitler « ne voulait pas exterminer les Juifs à l’époque, seulement les expulser », en se fondant probablement sur les accords de Haavara. Son propos a suscité un grand émoi, notamment la seconde partie de sa phrase où il pointait la prétendue responsabilité du grand Mufti de Jérusalem au sujet de l’idée d’exterminer les juifs d’Europe.

En , l’ancien maire de Londres Ken Livingstone crée une polémique en affirmant qu’Hitler avait soutenu le sionisme, décrivant de façon erronée et déformée le cadre de l’accord Haavara. Il est critiqué par la plupart des historiens. Par exemple, pour l’historien Roger Moorhouse, dire qu’Hitler a soutenu le sionisme « est non seulement historiquement inexact, mais c’est également historiquement inculte ».

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Asher Cohen

Il faut noter combien Ben Gourion n’était pas à une contradiction près. En 1939, il soutient qu’il n’ira pas combattre sur le front de France, parce que le sionisme importe plus. Dans ce raisonnement, en 1914, mon grand-père, en tant que Juif d’Algérie, n’avait pas à aller combattre sur le front de la France, mais pour la libération de la Palestine des impérialistes Ottomans. Or, sauf erreur, Jérusalem fut libérée par Allemby et Beer Sheva par les Australiens, et non par les Juifs. Le sionisme passait avant tout pour Ben Gourion en 1939? Alors pourquoi, 22 ans après, en décembre 1961, a-t-il donné 120.000 Juifs d’Algérie à De Gaulle ? Ne s’est-il pas contredit ?

Maintenant, on peut constater que ce qui décide les Juifs à quitter un pays pour Israël c’est moins le sionisme que les persécutions, violences et pogroms. Après l’antisémitisme allemand déchaîné de 1914-18, l’assassinat de Rosa Luxemburg, puis de Walter Rathenau, seulement 3000 Juifs Allemands ont fait leur alyah. Les autres s’illusionnaient, peut-être, que le libéralisme de la République de Weimar, dont un Juif en avait rédigé la Constitution, leur permettrait de vivre en paix. Ce n’est qu’après 1933, que les Juifs ont quitté l’Allemagne, admettant alors qu’ils n’avaient rien à y faire.

yacotito

c’est simple: A début, Hitler a voulu se debarrasser des juifs puis a changé d’avis et a voulu les exterminer. Qu’y a t-il de compliqué à comprendre ?

joseph

Si les Rouaume Uni n’avait pas instauré , le Livre Blanc, qui limitait l’immigration juive en Palestine mandataire, ces discussions entra l’Agence Juive et l’Allemagne nazie n’auraient peut etre jamais eu lieu, mais au moins l’Agence Juive a tenté de sauvé des Juifs, par contre le Royaume Uni par sa politique infame du ‘Livre Blanc’ en a certainement envoyé à la mort , il n e faut pas l’oublier.

meller danielle

je suis d accord

Asher Cohen

@yacotito
L’histoire a été écrite après la guerre, par les vainqueurs. J’ai ignoré l’accord ha-avéra durant des décennies, manipulé par l’histoire mensongère, avant de le découvrir au début des années 2000. Cet accord prouve qu’en 1933, les nazis n’avaient pas décidé l’extermination des Juifs, mais seulement leur expulsion d’Allemagne, voire de l’Europe conquise, comme de nombreux souverains en avaient procédé au cours des siècles précédents. Maintenant, pour savoir ce qui a mené les nazis à décider l’extermination, la question est ouverte.

Si les Anglais n’avaient pas quasiment fermé l’émigration juive en Palestine avec leur livre blanc, des millions de Juifs d’Europe de l’est s’y seraient réfugiés, et les arabes présents auraient été submergés. En ayant ainsi facilité le massacre de millions de Juifs d’Europe, pour maintenir leur politique pro-arabe dans le cadre de leur impérialisme colonial, les anglais ont été clairement complices de l’Holocauste nazi.

Ratfucker

Comment est venue aux Nazis l’idée d’exterminer les Juifs au lieu de les dépouiller et de les expulser? Le 2 octobre 1937, les SS Eichmann et Hagen ont fait escale à Haïfa pour examiner avec le Mufti Husseini les modalités de la répartition des tâches pour éliminer les Juifs. Ils comptaient sur les maladies tropicales et la vaillance des guerriers de l’Islam des pogroms. Le Mufti, recherché par les Britanniques, envoya un représentant pour dire aux nazis de se charger eux-mêmes de la Solution Finale au lieu de se décharger sur les Arabes. Les Livres Blancs des Anglais ne sont pas sortis de nulle part: ils ont bien été inspirés par les Arabes qui ne peuvent nier leur responsabilté écrasante dans la Shoa.

Asher Cohen

@Ratfucker
Pouvez-vous préciser les sources dont vous tirez cette entrevue du 2 octobre 1937 à Haïfa entre Eichmann, Hagen et Haj Amin Husseinites le mufti?

Le Plan Peel de juillet 1937 prévoyait la partition entre un état Juif et un état arabe. Le Ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne nazie, Konstantin Von Neurath, considérait que la formation d’un état Juif augmenterait le pouvoir de la juiverie internationale, et les nazis se sont donc opposés à ce plan de partition. l’amiral Canaris a fait verser des subventions et des armes de la Suhl und Erfurter Gevehrfabrik aux squatters arabes de Palestine. Il y avait aussi la Confrérie des Templiers, membres du parti nazi, et vivant à Haïfa, Sarona, Waldheim et Jérusalem. Les arabes sortaient constamment les drapeaux nazis en Palestine.

Après l’assassinat du commissionnaire anglais de Galilée et Acco, à Nazareth, le 26 septembre 1937, le mufti Haj Amin s’est réfugié dans le sanctuaire de la mosquée d’Omar, et il ne s’en est échappé que le 15 octobre, en trompant le cordon policier britannique. Je ne vois pas comment, dans ces conditions, il aurait pu voir Eichmann et Hagen le 2 octobre 1937, à Haïfa ou ailleurs ? Donc, avez-vous des éléments de preuves de ce que vous avancez ?

Maintenant, il est clair qu’en 1937, les nazis prévoyaient la destruction du Yishuv de Palestine, et probablement déjà le génocide des Juifs au moins de l’Europe et du Monde musulman.