Le récent conflit à Gaza, loin d’être clos, pourrait bien augurer d’un nouveau type de guerre adéquate à l’époque: la guerre postmoderne. Elle oppose un Etat normatif, à un ennemi qui n’a pas de visage, à un Etat qui ne fonctionne en rien comme un Etat mais qui dispose pourtant d’un territoire: un mouvement terroriste territorialisé. Ses soldats ne sont pas des soldats, la guerre qu’ils mènent, retranchés parmi des civils, n’est pas une guerre, les lance missiles avec lequel ils arrosent les civils de l’Etat agressé sont protégés sous un parapluie humanitaire, non seulement parce qu’ils sont positionnés dans des écoles, des mosquées, des hôpitaux, mais encore parce qu’il n’y a formellement pas d’armée puisqu’il n’y a pas d’Etat. Comme la population, sous la dictature du mouvement terroriste, est censée être civile, le pays attaqué doit non seulement nourrir son ennemi en vivres et essence,  parfois  sous les tirs des bénéficiaires eux mêmes mais aussi consentir au paiement de ce qui ressemble à une rançon quoique à finalité « humanitaire » mais qui l’aide en vérité à renouveler son arsenal, une rançon payée par le Qatar, avec, en sous main, le soutien de l’Iran et de la Turquie, tous très préoccupés d’ »humanitaire. » 

Dans le même temps l’organisation terroriste développe une veritable fabrique de Fake news, que d’aucuns ont appelé « Pallywood », pour interpeller, au nom de l’humanisme,  la conscience morale de l’univers, en l’occurence l’Occident démocratique,  qu’elle cible avec adresse en son point faible: la  sensibilité exacerbée aux droits de l’homme  postmodernistes. La scène « humanitaire » est en fait le véritable théâtre d’affrontement de cette guerre: l’opinion occidentale. Ici l’ennemi n’est même plus visé, c’est son entourage, ses alliés traditionnels qui le sont, non par les armes mais par la manipulation mentale, par des images écran, c’est à dire par ce qu’on appelait auparavant la propagande, de façon telle (« crime contre l’humanité oblige!) qu’ils soient poussés à lier les mains de leur allié, l’Etat attaqué, soudain campé en agresseur. Sous le scandale, l’Etat agressé doit alors cesser son action, condamné de toutes parts. La « morale » au secours d’un mouvement terroriste! Il a fallu qu’on annonce (sans vérification) que deux enfants étaient morts dans l’attaque de la tour d’Al Jaazira et de CNN (les « intouchables!) pour que l’univers s’enflamme, jusqu’à la Corée du Nord (aujourd’hui on sait que plusieurs étages étaient occupés par le Hamas et consacrés à la guerre électronique).

Voici  ce que fut la réception  de la énième guerre de Gaza par l’Occident démocratique et ses Media. Elle tend un miroir de son échec à venir dans les guerres qui s’annoncent et se produisent déjà dans son pré carré.

C’est l’Occident qui est à genoux

Il est à remarquer, en effet, un indice significatif dans la réception des fake news du Hamas en Europe et aux Etats Unis. Elles ont été relayées par des manifestants comprenant non seulement des Palestiniens et des musulmans, vestimentairement très visibles, mais aussi leurs alliés habituels qui frappent le pavé depuis la mort de Georges Floyd, en un mot les nouveaux radicaux du mouvement Woke, Cancel culture, Me Two, autant de mouvements réputés « progressistes ». J’ai pu voir ainsi un appel à manifester dans une université américaine qui en appelait aux « Palestiniens, juifs, noirs, indigènes, Me Two, trans, homo, racialisés »… C’est la doctrine de l’intersectionnalité, qui établit une correspondance entre toutes les conditions supposées victimes de l’injustice, qui rend possible une telle confusion. Le  Palestinien devient ainsi la figure absolue  et universelle de la victime. Il y là en fait autant d’acteurs qui sont des minorités  et qui, ensemble, font cause commune, au point de se croire une majorité, une majorité de minorités, ou, pour les islamistes, selon Tarik Ramadan qui définit ainsi le statut de l’islam en Europe, une « minorité » (démographique) « majoritaire » (par ses valeurs).

Ces mouvements d’ »effacement » (cancel), d’annulation de l’Occident, portent le ferment d’une guerre de chacun contre tous. Le « citoyen » devient la cible de l’ »homme », au nom des droits de ce dernier. Cette guerre-non guerre a gagné les rues, les lieux symboliques, le discours public, les réseaux sociaux et même le langage: une guerre identitaire qui « déconstruit » l’Occident, l’Etat et la nation au profit d’identités et de pouvoirs qui sont, eux, sanctuarisés dans le cadre d’une confrontation allant du symbolique au policier et au militaire: des zones de non droit au terrorisme et au « djihad d’ambiance », sur le font intérieur ou à la guerre classique en Afrique centrale.

Pourquoi, confronté à de telles menaces, l’Occident démocratique reste-il inerte?

C’est surtout qu’il est sous le coup d’une doctrine des droits de l’homme qui consacre l’eclipse du citoyen. Pour comprendre comment les droits de l’homme sont devenus  l’arme principale de cette guerre, il faut tout d’abord se souvenir que le post modernisme s’est livré depuis 30 à un travail de démantèlement de la nation et de l’Etat. En « déconstruisant » l’Etat on a cassé l’idée qu’il y avait un dehors et un dedans de la nation démocratique, comme l’exprime bien Rousseau, qui statue que, face aux autres autres nations, dans l’arène internationale, la « République » devient une « Puissance » et n’a plus le même type d’action. En supprimant la nation, ce partage entre nationaux et étrangers a ébranlé en retour la distinction de l’homme et du citoyen et son sens. Les ex-nationaux  ne sont plus inscrits dans un Etat dont ils sont les citoyens privilégiés mais deviennent interchangeables, substituables  à l’infini aux « hommes » de la planète qui sont  susceptibles de pouvoir émarger aux droits des ex-citoyens de tous les pays. L’étranger objectif ou celui, quel qu’il soit, qui se met en dehors de la collectivité  émarge aujourd’hui aux mêmes droits que le citoyen qui n’a plus d’avantage propre à la citoyenneté conférée par la République mais sur qui pèsent encore les devoirs qu’elle implique. C’est comme si l’homme de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen s’était retourné contre le citoyen auquel il a été formellement lié par la Déclaration. Mais attention cet homme n’est plus le sujet de droit universel mais le particulier, essentialisé, mythifié, incarné, sexué, racisé, finalité pour lui même, essentialisée. Toute action de l’Etat dans cette guerre devient ainsi passible de « crime contre l’humanité » car elle touche aux hommes et non aux citoyens responsables de la guerre qu’ils ont déclarée au nom de l’ »homme », désormais de supposés « civils ». La guerre n’est plus ce qu’elle était! 

Une remarque: le fait qu’un tel scénario ne se produit pas quand il s’agit de voler au secours de l’Arménie ou des assassinats de masse chrétiens en Afrique, etc, montre qu’Israël constitue un cas à part de la guerre post moderne, indexé aux Juifs et à la recomposition de l’antisémitisme qui caresse depuis toujours l’idée que « les Juifs tuent des enfants ». Que l’on se souvienne de l’histoire (très douteuse) de l’Enfant Al Dura, une histoire montée de toutes pièces, qui donna à la deuxième intifada une ampleur mondiale… 

Professeur émérite des universités, directeur de Dialogia, fondateur de l’Université populaire du judaïsme et de la revue d’études juives Pardès. Derniers livres parus Le nouvel État juif, Berg international, 2015, L’Odyssée de l’Etre, Hermann Philosophie, 2020; en hébreu HaMedina Hayehudit, Editions Carmel 2020, Haideologia Hashaletet Hahadasha, Hapostmodernizm, Editions Carmel, 2020.

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