Pierre-Yves Quiviger, Une philosophie du vin. Albin Michel.
Il ne faut pas se tromper sur le compte de cet ouvrage, il est l’un des plus sérieux que j‘ai jamais eu la joie de lire. C’est un livre très recherché, écrit par un spécialiste de la question, et de surcroît professeur de droit et de philosophie. Ce qui est une vraie rareté. Je savais que notre pays avait une quantité impressionnante de vins et même de très grands vins, mais j’ignorais que ces vieilles vignes, comme on les appelle, étaient si nombreuses et prisées des connaisseurs uniquement.
Le vin est une affaire sérieuse, qu’on se le dise ! L’auteur commence par traiter d’un chapitre où il évoque de manière détaillée, l’épreuve que nous traversons tous, lors de dîners chez des amis, lesquels vous demandent si vous reconnaissez tel ou tel grand vin, son millésime, son âpreté ou au contraire son onctuosité… Bref, un véritable examen, un contrôle exigeant démontrant que le vin fait partie de la culture des gens raffinés. Au fond, qu’est ce que le vin ? L’auteur en donne une excellente définition à la fin de son second chapitre dont je citerai quelques phrases: c’est un liquide, ce n’est pas une marmelade (sic) on peut faire du vin avec différents types de raisins mais aussi avec des pommes, des pommes de terre, des figues, des dattes, et tant d’autres fruits poussant dans de lointains pays (Japon, Chine, etc…)
Pour «entrer» dans le vin et en retirer tout le plaisir qu’il peut donner, il faut connaître à force d’expériences et de lectures, le cépage chardonnay – et connaître une de ses mutations jurassiennes, le melon à queue rouge…
Au début de ce livre, l’auteur se demande s’il faut chercher à savoir ce que l’on boit. Il parle même de buvabilité. Si l’on en juge d’après la longueur du chapitre, ce serait presque une obligation. Et si l’on est patient ou bien armé pour cela, on découvre que le métier du vin est divers et varié : on part du sol, de l’ensoleillement, De la teneur en toutes sortes de matières qui donnent au vin une sorte de carte d’identité. Il y a la dégustation anonyme, à l’aveugle, et la dégustation informée ; à chacun de découvrir l’origine du breuvage qu’il déguste. Et pour les nocives que nous sommes pour la plupart, ce n’est pas un exercice facile. L’auteur est si sérieux qu’il cite le père de la phénoménologie Edmund Husserl quand il s’agit de nommer l’essence la plus intime de l’objet, et il s’agit ici évidemment de vin… D’autres auteurs sont cités comme Kant, Cervantès, David Hume : j’ai regardé avec jubilation les développements sur une expression apparemment simple : qu’est-ce qu’un bon vin ? Le faible philosophe médiéviste et germaniste que je suis découvre avec étonnement ce qui peut se cacher derrière une expression aussi simple… en apparence.
Peut)-on avancer que l’une des principales caractéristiques du vin, est d’être une boisson alcoolisée ? Et au niveau de la couleur, de la robe du vin qu’elle ne peut pas être verte ni bleue, par exemple ? Or, l’alcool doit être consommé avec modération. Mais ce livre est si bien renseigné qu’il aborde un détail qui a retenu toute mon attention ; lors de la fête extra biblique de Pourim, la tradition rapporte qu’il faut forcer le dose au point de ne plus savoir qui est qui. En l’occurrence, confondre le bienfaiteur (Mardochée) avec le malfaiteur (Haman) qui poursuivait les juifs de Perse de sa haine. C’est un détail qui est curieux et à ma connaissance c’est la seule fois où les rabbins, esprits chagrins par définition, commandent de boire jusqu’à l’abolition (momentanée) de nos qualités cognitives… Il est vrai qu’il s’en est fallu de peu qu’on disparaisse à tout jamais ; cela se fête !
Pour finit, sans toutefois épuiser la grande richesse de l’ouvrage, disons un mot du rapport étroit entre le sacré, le religieux et le vin. Les libations dans la Bible assurent que la divinité apprécie l’odeur des sacrifices et du vin. Les Psaumes ajoutent que le vin réjouit le cœur de l’homme. La littérature biblique souligne que les arbres favoris des Hébreux sont la vigne, le figuier et l’olivier. Mais la vigne figure en très bonne place, surtout si l’on tient compte des bénédictions récitées sur le vin et le pain. Dans toutes les fêtes juives, le vin occupe une place de choix. Et je ne parle même pas du christianisme où le vin de messe symbolise le corps du Christ.
Voici un ouvrage qui nous a appris bien des choses. A lire absolument car vous y trouverez aussi les tribulations alcoolisées de l’auteur à Moscou où les Russes boivent abondamment. Et pas seulement de l’eau minérale.
Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à l’université de Genève. Son dernier ouvrage:
CYCLE DE CONFÉRENCES 2023-2024 à la mairie du 16e arrondissement
Aux racines de la culture européenne
Après le pénible épisode de la Covid 19 et ses incontournables conséquences, les conférences mensuelles existant depuis plus d’un quart de siècle, reprennent à la mairie de notre arrondissement. Nous nous en réjouissons largement. Elles débiteront dès cet automne, à raison d’une conférence tous les deux mois.
Leur objet reste le même : réfléchir sur l’identité culturelle de l’Europe, son histoire et son avenir. On s’occupera des influences, de la diversité des apports et des changements, voire des bouleversements qui ont affecté notre continent. Plus qu’un site géographique, l’Europe est une culture.
Pourtant, il semble que les élites, appelées à défendre les couleurs de l’Europe, doutent de plus en plus de l’honorabilité de notre patrimoine culturel. Toutes les civilisations ont connu des doutes, à un moment ou à un autre de leur histoire. La civilisation judéo-chrétienne a tout de même réalisé des choses exceptionnelles. Elle a fait à l’humanité l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme, deux valeurs indémodables qui ont irrigué, dans leur forme laïcisée et sécularisée, la plupart des cultures : le caractère sacré de toute vie humaine, la relation apaisée aux autres civilisations et aux autres cultures.
Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)
CYCLE DE CONFÉRENCES *
Jeudi 12 octobre à 19 heures
Philosophie , laïcité et religion dans l’Europe contemporaine
Jeudi 14 décembre
Existe-t-il une vérité religieuse ?
Jeudi 1er février 2024
L’idée religieuse du sacrifice : un plaidoyer en faveur du martyr ?
Jeudi. 19 mai
Sören Kierkegaard et la «suspension de l’éthique»
Jeudi 13 juin
Un champion du dialogue interreligieux : André Chouraqui
Entrée libre. Salle
![]() |
![]() |