Philippe-Joseph Salazar, Suprémacistes
Enquête mondiale chez les gourous de la droite identitaire (Plon)

Maurice-Ruben Hayoun le 09.10.2020

Le sous titre est plus éclairant que le titre en soi: il s’agit d’une défense identitaire de la race blanche en ces temps d’immigration massive et contenue à partir de l’Afrique Noire ou du Nord, sans oublier quelques pays du Moyen Orient, ravagés par la guerre.

Or, les états démocratiques que nous sommes ont les mains liées par des législations nationales et internationales qu’elles respectent quoi qu’il arrive.

Même au risque de voir leur identité culturelle se dissoudre dans ce vaste mouvement de grandes invasions. C’est l’essentiel du concept de grand remplacement, si cher au Français Renaud Camus.

Il est intéressant de relever la fluidité terminologique en français et en allemand, pour désigner ces grands mouvements migratoires.

En français, ce sont les grandes invasions, et en allemand ce sont les grands déplacements (Völkerwanderungen) ou migrations
Je ne me souviens pas avoir demandé cet ouvrage mais je ne cache pas ma satisfaction de le lire.

On entend souvent parler de ces groupes identitaires, très minoritaires pour l’instant, sans connaître vraiment le contenu de leurs programmes respectifs.

Dès l’abord de ces premiers chapitres, bien écrits et vivants, je me suis rendu compte que les notions sommaires que j’en avais n’étaient pas suffisantes.

Leur critique de la société, notamment américaine, met directement en cause ce qu’ils nomment la race blanche qui ne représenterait plus due 11% de la population mondiale.

Ces adeptes de la suprématie blanche entendent conjurer un grave danger menaçant la civilisation occidentale, y compris les USA.

Ce qui est déjà en soi surprenant puisque les USA sont une terre d’émigration. La nation américaine s’est toujours considérée comme un patchwork dont le ciment est l’attachement à ce pays et à sa constitution, loin des intrigues et des guerres du vieux continent.

Leur essence même n’est autre que l’émigration et l’adhésion à un esprit nouveau, celui des Américains.

Or, ils sont contre l’immigration de populations de couleur ou non-européenne qui menacerait les équilibres sociaux au pays de l’oncle Sam.

Ils n’aiment ni les Noirs, ni les Latinos, ni les catholiques, ni surtout les juifs : ils considèrent que ces derniers ont surreprésentés en comparaison de leur nombre réel.

Ils exerceraient une trop grande influence dans des secteurs importants comme la presse, le cinéma et la banque. Et pire encore, ces adeptes de la droite identitaire considèrent que les juifs en sont pas des Européens.

Cette dernière remarque, absolument infondée, rappelle de douloureux souvenirs. Que serait donc l’identité juive sans la culture européenne ?

Le présent ouvrage repose sur des interviews d’auteurs qui ont fait connaître leur pensée dans des livres, des conférences ou des entretiens, comme ceux qu’on peut lire ici même.

J’ai retenu une critique de ces identitaires qui me paraît relativement fondée : celle qui porte sur ce que l’adepte suprémaciste nomme le marxisme culturel, ce n’est pas la même chose que la culture marxiste.

C’est tout autre chose. C’est l’infusion silencieuse de certaines données marxistes au sein de la pensée sociologique, comme les différends sociaux qui ont donné lieu à des violences, semblables à celles qui se sont produites récemment à Charlottesville : les minorités ethniques ou religieuses, cultivant les séquelles de la critique des sciences sociales ne cessent de s’attaquer aux acquis de la race blanche.

On voit dans ces apports là l’action dissolvante, destructrice, d’une gauche résiduelle. Lorsque les minorités se révoltent, elles le font prétendument contre l’œuvre réputée civilisatrice de la race blanche.

Certains en sont même venus à parler du fardeau de cette même race blanche qui s’estime fondée à tirer les Noirs et les Latinos, tous les non européens, de leur triste état.

Mais voilà, ce sont ces gens de basse extraction qui commencent à être majoritaires. D’où un panorama totalement différent de ce qu’il fut à l’origine…

L’auteur, Ph-J. Salazar reconnaît que ces maîtres à penser de la suprématie blanche refusent de se dire racistes, sans autre forme de procès.

Mais ils préfèrent avoir pour voisins des gens comme eux et on les comprend. Ils évoquent aussi la colère des Noirs éduqués qui se révoltent contre les injustices subies par le passé.

Ces idées ont favorisé des concepts comme le terme de communauté qui n’a pas du tout le même sens qu’en Europe ou en France où l’on parle à peine de communauté nationale ou de nation tout court..

Surprenante, déroutante Amérique ! Tous les apports extérieurs sont censés former une mosaïque qui se reconnaît dans la nation. Eh bien, cette idée de la supériorité blanche va à l’encontre de cet idéal qui est souvent battu en brèche. ; ce n’est pas pour rien que l’on parle de cette abréviation célèbre WASP (white anglo-saxon Protestant) : anglo-saxon, blanc et protestant.

Cela laisse beaucoup de monde dehors. Et c’est justement cette population qui perd de son influence et surtout perd la majorité.

Même au plan linguistique , dans quelques années l’espagnol détrônera l’anglais, de quoi donner des cauchemars à certains… L’homogénéité des temps anciens s’est évanouie et cette situation nouvelle est difficile à accepter. D’où les troubles actuels aux USA.

Mais voilà, la gauche libérale américaine, et tout ce qui se dit de gauche, sont en train de miner les fondements mêmes de cette société américaine qui croyait reposer sur 1776, l’année où fleurirent les idéaux de liberté et d’humanisme.

Les Etats Unis étaient alors en train de se libérer de la tutelle anglaise. Ils incarnaient le bien, l’équité et la générosité.

La nouvelle historiographie US trouve que ce rapport à l’histoire du pays est erroné : ce n’est pas cette année 1776 qui compte, ce n’est pas l’idéal de liberté qui était à l’œuvre. Tout au contraire, les choses se sont passées un siècle et demi auparavant lorsque le premier convoi d’esclaves noirs touchèrent en 1619 les rivages du Nouveau Monde…

On ne parle plus des mêmes choses. Et on peut deviner l’émoi des partisans de cette contre- histoire qui s’en prend aux racines mêmes de l’aventure US sur le continent.

Au lieu d’avoir affaire à des héros de la liberté on découvre l’existence sordide du commerce triangulaire qui aurait largement contribué à la prospérité des USA. Et les récentes bavures policières (sic) qui ont fait des victimes dans la communauté afro-américaine n’arrangent pas les choses…

On change de continent pour arriver en Europe, tant du nord que du sud, puisque, c’est bien connu, les événements qui se déroulent en Amérique finissent toujours par arriver sur le vieux continent.

L’auteur a rendez-vous à Vienne avec un personnage assez évasif mais qui exerce une certaine influence dans le domaine qui nous occupe.

L’auteur poursuit donc sa passionnante enquête dans différentes métropoles européennes où il découvre les réalités locales de la question, à savoir le déclin de la race blanche. Et la nécessité d’affronter l’islam politique.

Le souci est partout le même : comment freiner cette évolution qui semble inéluctable ? Comment s’assurer que ses enfants vivront dans les mêmes conditions que leurs parents ?

Ces changements sont à la mesure d’une ou deux générations. Cela relève de l’histoire immédiate ; Il ne s’agit pas d’une éternité, en raison, notamment, de la pression démographique des pays du sud…

Une angoisse se niche dans l’évocation du nom d’une ville qui domina le monde connu durant l’Antiquité : Rome. Sommes nous Rome ? C’est-à-dire allons nous faire naufrage comme cette immense civilisation qui avait conquis l’univers avant de sombrer à son tour sous les coups de boutoir des barbares ? Pourtant, le génie assimilateur des Romains avait quelques réussites à son actif.

Le problème qui se pose aujourd’hui est que certaines religions, certains us et coutumes ne se laissent pas absorber par la culture préexistante qui est de nature judéo-chrétienne.

Cette clause n’existait pas en ces temps anciens. Le paganisme s’est laissé absorber par le christianisme naissant, après quelques dures crises.

Nombre d’auteurs de cette mouvance suprémaciste travaillent à la création d’une sorte de socle, de nationalisme blanc, c’est-à-dire un ensemble de mesures pouvant préserver les intérêts vitaux de la race blanche, aux yeux de ses promoteurs.

Certes, en France, cette opposition entre Blancs et non-Blancs n’est pas encore très tranchée. Mais les dernières émeutes aux USA portent nettement la marque d’un affrontement racial puisque les victimes, dans tous les cas, sont des Afro-américains…

Certains en viennent même à pronostiquer une nouvelle guerre de sécession où les Blancs, désormais minoritaires, prendraient les armes pour défendre leur statut majoritaire.

Les dernières manifestations à l’occasion de la mort de jeunes franco-africains des banlieues ont fait craindre une contamination des événements de même nature outre-Atlantique. On assiste à l’émergence de mouvements désireux d’exploiter les réactions américaines afin de les installer en France et planter le décor de tensions raciales.

Mais c’est l’auteur d’un mot fétiche qui remet la France ou plutôt la langue française au centre de tous ces enjeux : le grand remplacement de Renaud Camus.

Cette expression, somme toute banale, fut une trouvaille extraordinaire, un peu, comme il y a quelques décennies (en 1977 je crois-, la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist.

Je recommande ce chapitre pour une lecture très attentive, ce qui montrera comment les princes qui nous gouvernent peuvent faciliter ou au contraire entraver la circulation de certaines idées.

Cette expression, résultant d’une mutation terminologique (la grande peur des…) , le grand remplacement a même eu l’honneur d’être traduite en anglais (the great replacement) et en allemand (Bevölkerungsaustausch).

Les identitaires américains s’écriaient : you will not replace us, d’autres allant jusqu’à dire jews will not replace us… Quand les choses se gâtent, les juifs ont bon dos, ils ne sont jamais très loin…

On sent ici une profonde nostalgie de la France d’avant, la France éternelle, comme vers 1900, par exemple.

En conclusion de ce livre un peu original mais très enrichissant, son auteur ne nous promet pas des lendemains qui chantent : c’est le durcissement de cette opposition qui va nous accompagner au cours des prochaines décennies.

Nous ne pourrons y échapper que si on instaurait enfin la paix des cultures et des religions qui banniraient la haine de l’Autre.

On n’en prend pas le chemin…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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