Il s’agit sans doute de la première attaque djihadiste élaborée et exécutée dans une prison française. Le fait qu’elle se soit déroulée dans l’unité de prévention de la radicalisation de la prison d’Osny (Val-d’Oise) – une des cinq structures du genre accueillant des détenus radicalisés – ne manquera pas de raviver les sérieux doutes qui avaient accompagné le lancement de ces établissements.
Dimanche 4 septembre à 14 h 53, Bilal Taghi, 24 ans, condamné à cinq ans de prison en mars pour avoir tenté de gagner la Syrie, est invité à sortir de sa cellule par un surveillant pour rejoindre la promenade. Les caméras de vidéosurveillance ont immortalisé la scène. Le jeune homme traverse le couloir sur une dizaine de mètres, une serviette à la main et s’apprête à descendre l’escalier quand le fonctionnaire – toujours posté devant la cellule – le rappelle, sans doute pour lui demander d’y laisser son linge de toilette.
Bilal Taghi rebrousse chemin, fait mine de rentrer dans sa cellule, sort une lame de sa serviette et agresse violemment le fonctionnaire. Il expliquera, en garde à vue, avoir confectionné cette arme blanche d’une trentaine de centimètres à partir d’une tige métallique extraite de la fenêtre de sa cellule.
La scène qui suit est d’une rare violence. En quatorze secondes, Bilal Taghi assène neuf coups au surveillant, visant ostensiblement la tête pour tuer. Il le poursuit dans le couloir, jusqu’à ce que ce dernier parvienne à s’enfuir en prenant l’escalier, où un second surveillant sera blessé au bras et au visage. Les jours des deux fonctionnaires ne sont pas en danger. Au vu du caractère inédit de cette attaque – la première commise dans une unité spécialisée – la section antiterroriste du parquet de Paris s’est saisie de l’enquête.
Bris de miroir
Bilal Taghi ne sera interpellé que trois heures après l’agression, à 17 h 45, fonçant arme à la main sur une équipe régionale d’intervention et de sécurité (ERIS) appelée en renfort avant d’être immobilisé d’un tir de balle en caoutchouc. Durant cet intervalle – étonnamment long –, il aura le temps de multiplier les allées et venues entre les deux étages, de dessiner un cœur sur un muret avec le sang d’une de ses victimes et d’entamer une prière.
De toute évidence, le projet initial de l’agresseur n’était pas de passer à l’acte à son étage, mais de descendre à la promenade muni de son arme. Le rappel à l’ordre du surveillant lui intimant de déposer sa serviette a, semble-t-il, fait échouer son plan. Une exécution concertée avec des complices durant la promenade était-elle prévue ?
Les caméras de surveillance ont enregistré les agissements de Bilal Taghi et de ses codétenus durant les trois heures qui ont précédé son interpellation. Trois d’entre eux, descendus pour la promenade, sont remontés à l’étage après l’agression. Bilal Taghi, arme à la main, semble alors très énervé. Ses codétenus, plus calmes, lui parlent. Ils sont seuls dans le couloir. L’unité n’étant pas sonorisée, il est impossible de connaître la nature de leurs échanges.
L’un d’entre eux, Abdelhakim A., intéresse particulièrement les enquêteurs. On le voit faire les cent pas dans le couloir où a eu lieu l’agression. Il parle à certains détenus toujours encellulés, puis sort des objets de sa poche pour les glisser sous leur porte. Parmi ces objets, des débris de miroir. Quelle était l’utilisation prévue de ces morceaux de verre que le détenu avait prévu d’emporter en promenade ?
Abdelhakim A. a été placé en garde à vue, ainsi que les deux détenus à qui il a transmis ces objets. Mais Bilal Taghi étant passé à l’acte seul, les conjectures sur un éventuel projet coordonné durant la promenade pourraient ne pas se traduire judiciairement : leur garde à vue pourrait être levée, tous trois demeurant à la disposition de la justice en détention.
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« Il est trop tôt pour évoquer une concertation, décrypte un employé de l’administration pénitentiaire. Mais la réaction de ces détenus après une tentative de meurtre interroge. Dans le régime général de détention, certains auraient tenté de raisonner l’agresseur, voire de l’immobiliser. Ici, on constate à tout le moins une bienveillance troublante : personne ne lui retire son arme. Ils se contentent de parler tranquillement, de se passer des objets. Ces gens ne se connaissaient pas avant qu’on les enferme ensemble : ils se considèrent désormais comme des frères. Ces unités ont créé un effet de groupe. »
La fouille des cellules des dix-huit pensionnaires de l’unité a permis de découvrir trois téléphones portables, une carte SIM, ainsi que des objets tranchants, telle une paire de petits ciseaux – ce qui est autorisé en détention – et les fameux débris de miroir déposés par Abdelhakim A. L’enquête devra désormais s’attacher à déterminer si une attaque concertée durant la promenade était prévue, ce qui ne manquerait pas de soulever de graves questions sur le bien-fondé de ces unités.
Durant sa garde à vue, Bilal Taghi a revendiqué le caractère djihadiste de son acte et a précisé que, faute de pouvoir rejoindre la Syrie, il cherchait le moyen de tuer des mécréants sans attendre sa sortie de prison. Il affirme avoir agi seul, inspiré seulement par la propagande de l’organisation Etat islamique (EI). Une propagande à laquelle son histoire familiale l’a accoutumé depuis de longues années.
Une histoire de famille
Chez les Taghi, la radicalisation est une histoire de fratrie. Trois frères de Bilal sont impliqués à différents titres dans la thématique djihadiste. En juin 2014, son cadet, âgé alors de 14 ans, a été frappé par une interdiction de quitter le territoire au motif qu’il pratiquait sa religion de « manière extrême » et s’informait sur les départs pour la Syrie.
Deux de ses aînés, Abdelhafid et Khalid, ont rejoint les rangs de l’EI, respectivement courant 2012 et en août 2014. Khalid y aurait trouvé la mort en novembre 2014, à l’âge de 25 ans. Abdelhafid aurait également été tué en Syrie, sans que sa mort ait pu être confirmée. Il a par ailleurs été poursuivi par la justice belge après le démantèlement, le 15 janvier 2015, de la cellule de Verviers, pilotée par Abdelhamid Abaaoud, futur coordinateur des attentats du 13 novembre.
Précédé en Syrie par ses deux frères aînés, Bilal Taghi a tenté de rejoindre l’EI avec femme et enfant, le 17 janvier 2015, soit deux jours après le coup de filet de Verviers, et dix jours après l’attentat contre Charlie Hebdo. Son voyage, auquel s’étaient joints deux autres jeunes de Trappes (Yvelines), s’est interrompu en Turquie après plusieurs tonneaux lors d’un accident de voiture, à 400 kilomètres de la frontière syrienne.
Pour cette équipée avortée, Bilal Taghi a donc été condamné en mars. Lors de son procès, il avait affirmé, les yeux embués, que la mort de son frère Khalid l’avait convaincu de partir pour tenter de persuader son autre frère, Abdelhafid, de rentrer en France. « Et aujourd’hui, que pensez-vous de l’Etat islamique ? », avait insisté le président. « On pourrait leur donner raison mais (…) je ne partage plus leurs idées, avait assuré Bilal Taghi. Même pour exécuter un homme, il y a des façons de faire. »
Tour de vis dans les prison s !
A entendre le Premier ministre, ce matin, sur Europe, il semble bien qu’un tour de vis, pour ne pas dire la disparition des quartiers de « radicalisés » dans nos prisons sera rendue public par la Chancellerie, dans quelques jours…
Les Djihadistes ont même réussi à pourrir les prisons. Il est emps, en effet, que cela change…
Marc Guedj