Mathilde Philip-Gay, Peut-on juger Poutine ? Albin Michel, 2023.

Peut-on juger Poutine ? Mathilde Philip-gay - les Prix en précommande

Avec ce livre écrit pas une juriste compétente nous revenons -pour notre bonheur- à l’incontournable débat autour du droit et de la force : la force du droit ou le droit de la force. Cela fait penser à Pascal qui se rappelle à notre bon souvenir dans cette problématique d’une actualité brûlante avec cette guerre d’Ukraine déclenchée de manière unilatérale par Vladimir Poutine.

Nous sommes en présence d’une guerre d’agression. La Russie qui envahit l’un de ses voisins au mépris de toutes les règles du droit international. Mais la question qui se pose dans ce livre est de déterminer si les instances internationales, émanations d’autres états belligérants ou non belligérants, ont le droit de s’ériger en juges, de citer à comparaitre des chefs d’état responsables de l’ouverture des hostilités. D’où la question posée : qui a le droit, je dis bien le droit, c’est-à-dire les fondements juridiques, aptes à déclencher une procédure judiciaire, comme celle du Tribunal Pénal International (TPI), contre Poutine, considéré comme un fauteur de guerre, accusé de crimes contre l’humanité ?
L’auteure parle de l’invasion de l’Irak décidée par le président Georges Walker Bush : en avait-il le droit, surtout quand on considère que cette intervention militaire a infligé au pays en question des blessures dont il ne s’est toujours pas entièrement remis.

A nouveau on se trouve confronté au même débat : la force peut-elle servir de fondement juridique, surtout face à la souveraineté des états agissant comme bon leur semble ? Pour le dire de manière plus tranchante : avait-on le droit ou les instruments juridiques pour juger et condamner à mort un tyran de l’envergure de Saddam Hussein ? Mais on peut remonter plus loin et s’interroger sur le bien-fondé de tribunal de Nuremberg ? Était-ce la justice des vainqueurs, capables d’imposer leur loi et de dicter leur volonté au vaincu ?

En tant que non-juriste, je m’empresse de dire que dans les cas envisagés, il existe des obligations morales qui transcendent le juridisme : en comparaison des actes commis par les uns et par les autres, la Shoah, d’une part, et l’invasion du Koweït par Saddam, d’autre part, l’action des alliés et l’intervention de la coalition étaient pleinement justifiées.. Mais à nouveau, le plus médiocre des avocats vous objectera que dire le droit n’est pas dire ni faire la morale. Ce sont deux sphères très distinctes, sans interférence possible.

Mais on peut répondre que la vie politique internationale n’est pas une thébaïde ni les hommes politiques des enfants de chœurs et qu’à un moment donné, il convient d’agir le plus fortement possible afin de mettre fin à des massacres, voire des exterminations. On se souvient, tant du procès de Nuremberg que du procès Eichmann, du système de dé défense des accusés lesquels n’étaient pas des criminels ordinaires… Tous ont affirmé avoir obéi aux ordres, personne n’a voulu assumer personnellement ses actes, sa cachant derrière une hiérarchie insaisissable et accusée de tous les maux. Les simples exécutants n’avaient donc de rendre des comptes à personne.

Tant les criminels de guerre nazis que Saddam affirmaient ne pas reconnaître la légitimité des instances judiciaires qui entendaient prouver leur culpabilité pénale et entraînant leurs condamnations à la peine capitale.

Revenons au cas qui nous occupe, Vladimir Poutine qui fait fi de toutes les accusations et de toutes les mises en garde et poursuit sa politique de destruction systématique de l’Ukraine. Et je ne parle pas des missiles russes tirés contre des cibles civiles portant atteinte aux besoins vitaux de la population ukrainienne.
L’auteure qui enseigne le droit fait état d’opinions, notamment de ses étudiants, qui optent résolument pour l’assassinat de Poutine s’il s’avérait très difficile, voire impossible, de le juger… Est-ce vraiment une alternative à sa comparution devant une juridiction pénale internationale ? Selon les partisans de cette justice sommaire, cela mettrait un terme à toutes les atrocités de la guerre ; et on épèle ici tous les malheurs, toutes les souffrances qui seraient alors épargnés aux populations (torture, meurtres, Viols, famine, etc…)
Mais comment se décide l’imputation de telle responsabilité ou de telle autre ? Ou devons nous croire que les chefs-d ’états portent exclusivement la responsabilité des guerres et des infractions aux juridictions pénales internationales ?

Dans le cas de Poutine sur lequel on se concentre (en effet, l’auteure élargit parfois un peu trop le focus, rallongeant ainsi les développements), la question ne se pose même pas, tant il incarne toutes les décisions prises. Et il tient à le faire savoir. Témoin la diffusion d’une réunion gouvernementale au plus haut niveau, où il humilie volontairement son chef des renseignements extérieurs…

Cette séquence fut publiée dans les réseaux sociaux et même diffusée en différé à la télévision. La valse des nominations militaires l’atteste aussi sans le moindre doute. Les nominations et les disgrâces se succèdent sans qu’on comprenne comment cela se passe. La seule personne réellement inamovible dans toute cette affaire est bien Vladimir Poutine : c’est de lui que tout part et c’est vers lui que tout remonte.

Et comme tous les dictateurs qui ont tant de méfaits sur la conscience, leur désobéir n’est pas une option ; ce serait s’attirer les foudres d’un monstre qui ne connait aucune émotion ni aucune faiblesse.
Au fond, nous sommes d’un acte ou d’une réaction absolument imprévisible émanant vraisemblablement de l’intérieur : un général ou un proche du pouvoir, voire un groupe de patriotes prenant soudainement conscience qu’on ne peut plus mener la politique du chef décidant seul de tout et compromettant l’avenir du pays. N’oublions que les sanctions commencent à produire leur effet délétère… Il subsiste aussi une grande inconnue, l’opinion publique russe face aux morts sur le front ukrainien, qui se comptent désormais par centaines de milliers.

Le réveil de cette opinion russe plongée dans une étrange léthargie conduira à un dénouement tant espéré. Ou alors si le FSB qui a soutenu Poutine jusqu’ici décidait de changer de joker au vu de la catastrophe militaire, de la chute du rouble, et de la débâcle économique. Il est inimaginable que les élites russes assistent sans bouger à la ruine de leur pays.

Le dictateur est là depuis plus de vingt ans ; il a profité de ce long bail pour investir les coins et les recoins du pouvoir dans son pays, placer partout des hommes qui lui doivent tout Un proverbe arabe dit ceci : la patience est la clé du paradis. Patience…

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

 

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