Renaud Revel, Les visiteurs du soir. Ce qu’ils disent à l’oreille du président. Plon, 2020

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Il arrive parfois que les travaux, les enquêtes menés par des journalistes connaissent les honneurs de l’impression, sur des sujets aussi inaccessibles que celui-ci :; l’intimité politique, si j’ose dire, des chefs d’Etat et de gouvernement. Chacun d’entre nous a déjà entendu parler de ces silhouettes discrètes qui se glissent après le crépuscule dans le palais présidentiel ou dans l’embrasure dorée des officines ministérielles. Qui sont ces hommes (pour la plupart) ? On les appelle les visiteurs du soir auxquels la vox populi prête parfois un pouvoir imaginaire et qu’elle rend responsable de tout ce qui ne va pas. Pourquoi du soir ? parce qu’ils ne veulent pas qu’on garde trace de leur passage, d’où leur arrivée à la nuit tombée, lorsque le palais est pratiquement désert, vidé de ses occupants qui sont rentrés chez eux après une dure journée de travail.
Le présent ouvrage apporte une contribution non négligeable à cette institution non écrite qui permet aux différents présidents surtout de la Ve république de rencontrer d’autres gens que les membres de leur cabinet. Cela ressemble à une tradition bien française et Renaud Revel a eu raison de faire précéder ses développements de quelques sagaces réflexions sur la solitude du pouvoir. A preuve cette remarque de Georges Pompidou, déjà connue grâce à un reportage de télévision, sur la transformation d’un homme qui vient de devenir président de la république: je ne suis plus le même… Il ajoute qu’on ne le laisse même pas appuyer sur bouton d’ascenseur.
Ce sont là des séquelles de l’étiquette royale de Versailles, du temps de la monarchie ; et d’ailleurs, on dit souvent du président qu’il est une sorte de monarque républicain. Ce qui n’est pas peu dire… Et puis il y a le luxe du pouvoir et de sa puissance : j’en veux pour preuve le témoignage d’un champion olympique du journalisme, l’octogénaire Jean-Pierre Elkabbach qui relate sa première audience à l’Elysée ; il est suffoqué par tant de dorures et de majesté, lui, le gamin d’Oran. Et il en existe bien d’autres… Nos amis allemands le remarquent souvent et nous reprochent de cultiver ces paradoxes bien français : vivre en république suivant un régime royal (Sie leben wie die Fürsten), ce que disait le chancelier Helmut Kohl, pourtant peu suspect de francophobie
Le profil de ces visiteurs du soir est divers et varié : des acteurs importants de la vie sociale, économique et culturelle du pays. Des gens généralement désintéressés par rapport à tout, sinon friands d’exercer une certaine influence sur les nominations, les inflexions de la politique, l’application des réformes (par exemple la suppression de la publicité à la télévision à telle ou telle autre heure. Le majorité à 18 ans, l’avortement, etc…
Il me faut dire un mot du dilemme insoutenable au cours duquel le président devait accorder ou refuser sa grâce à des condamnés à mort… Ce fut un crève-cœur pour Valéry Giscard d’Estaing qui recevait souvent le curé de l’église de la Madeleine… Un homme d’église est nécessairement mieux inspiré qu’un homme politique qui souvent varie alors que les règles spirituelles ont fait la preuve de leur solidité… Mais dans le cas des deux criminels Buffet et Bontemps, l’issue était prévisible. Le crime avait révulsé la France entière. Voici encore une marque indiscutable de la solitude du pouvoir : une fois que vous avez signé, c’est désormais vous et votre conscience que cela concerne ? Vous seul et personne d’autre…
Quelques grands noms de la presse nationale française reviennent comme des Leitmotive , Jean-Pierre Elkabbach, l’insubmersible qui a repris du service à C-News et Alain Duhamel, inusable octogénaire qui a repris du service sur BFM-TV. Comme quoi le journalisme mène à tout. Lecteur occasionnel de Lucrèce après avoir sombré immédiatement après l’élection présidentielle de 1981, cet homme a joué un rôle inimaginable dans la vie politique de notre pays, et bien au-delà des questions relatives à la presse et à l’information.
Il faut bien comprendre que vu la complexité des situations et les difficultés de plus en plus lourdes à gouverner, les puissants ont besoin, un besoin vital, de la presse : si les grands organes de presse vous boudent ou vous sont défavorables, vous êtes perdus, d’où l’urgente nécessité d’amadouer la presse avant les grandes consultations électorales, notamment l’élection présidentielle. Du coup, on découvre des dessous assez inhabituels, comme par exemple Giscard d’Estaing, défait et en crise, qui demande à Elkabbach, entre deux portes, s’il est vraiment un journaliste de gauche… A quoi l’intéressé aurait répondu qu’il s’efforçait de bien faire son travail.
Contrairement aux pays de tradition anglo-saxonne, les différents régimes au pouvoir en France ont entretenu des relations, pas toujours saines, voire incestueuses (unheilig) avec la presse. D’où la surreprésentation de cette corporation parmi les fameux visiteurs du soir… Cela va de Patrick Poivre d’Arvor qui s’est fait détester par Nucolas Sarkozy après avoir été choyé par Giscard d’Estaing, jusqu’à Alain Minc qui semble s’en être fait une spécialité, presque au même niveau qu’Alain Duhamel qui a défié toutes les barrières de l’espèce, enjambant allégrement toutes les frontières idéologiques : Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy etc… Cette échine particulièrement souple lui fut reproché par certains mais au fond, avait il vraiment tort ? Je ne le crois pas, cependant cela accrédite l’idée que la presse est un contre pouvoir et doit le rester au lieu de se muer en pouvoir tout court, avec ses propres intérêts et ses proches objectifs. Enfin, personne ne pourrait contester la grande expertise du personnage qui, aujourd’hui encore, à plus de quatre-vingts ans, continue d’enthousiasmer les téléspectateurs dont je suis.
Je recommande particulièrement quelques pages stupéfiantes où JPE a joué un rôle de premier plan dans la nomination d’Edouard Balladur à Matignon durant la cohabitation… JPE que Mitterrand a accepté de remettre en selle après son humiliante éviction de responsable télévisuel et son pointage régulier à l’ANPE…
Mais JPE a opéré un redressement spectaculaire puisqu’il devint le président de tout l’édifice télévisuel français. Ceci allait bien l’aider lorsque Pierre Péan lança son brulot Une jeunesse française : Mitterrand ne voulait personne d’autre que lui pour sa propre réplique lors d’une interview menée par JPE. Ce dernier chercha à se dérober mais le chef de l’Etat ne voulut rien savoir : ce qui prouve, si besoin est, une incroyable proximité entre le pouvoir et les faiseurs d’opinion…
Mais il n’y a pas que les journalistes et les grands patrons de presse. On trouve aussi un homme dont l’influence excède et de très loin, les capacités réelles, Michel Drucker qui avait su s’introduire dans les cercles du pouvoir au point de faire une très longue carrière.
Sur un tout autre plan et avec un talent absolument incontestable, il y avait le tandem inséparable de Marcel Bleustein-Blanchet et de son fidèle successeur Maurice Lévy , ce dernier avait su séduire un Mitterrand en quête d’arguments électoraux de choc. Mais ces deux grands patrons étaient souvent consultés et l’on appréciait les frontières qu’ils s’étaient imposées dans leurs démarches : ne jamais mêler la publicité à des jeux politiques qui finissent toujours par se retourner contre leurs utilisateurs. .
Dans le suite de ce volumineux ouvrage, l’auteur passe en revue la quasi totalité de celles et de ceux qui ont eu l’oreille du président et de ses courtisans. Il n’est pas inintéressant d’y revenir ou de s’y attarder dans le prochain papier, car on y découvre des rapprochements et des compagnonnages assez surprenants, tant l’attrait du pouvoir reste grand. Mais cela ne suffit pas à faire oublier l’adage latin selon lequel sic transit gloria mundi… Le monde est une ombre où rien, à part la mort, ne dure vraiment longtemps…
(A suivre)

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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