Les défis auxquels est confrontée la Communauté juive américaine

Interview de Steven Bayme 

« Il y a plus de six millions de Juifs aux Etats-Unis. Ces chiffres seraient considérablement plus élevés, mais plus de deux autres millions d’adultes ayant un parent juif ne se définissent plus comme Juifs. Dans la mesure où on peut parler d’un collectif appelé communauté juive, elle demeure  une communauté juive forte et prospère, qui, de bien des manières, suscite l’envie de tant d’autres regroupements ethniques et religieux américains.

« Aucune société dans toute l’histoire de la diaspora juive ne s’est montrée aussi accueillante envers la participation des Juifs, excepté les Etats-Unis. Les années sous l’égide de l’Administration Clinton a marqué l’effondrement des derniers obstacles subsistants à la participation juive, dans virtuellement tous les secteurs de la société américaine. L’Administration a cessé de compter combien de Juifs elle employait ».

 

Dr. Steven Bayme serves as the American Jewish Committee’s Director of Contemporary Jewish Life. He currently holds the rank of Visiting Professor at Yeshivat Chovevei Torah. His published volumes include Understanding Jewish History: Texts and CommentaryJewish Arguments and Counter-Arguments; and American Jewry’s Comfort Level.

Le Dr. Steven Bayme occupe la fonction de Directeur de la Vie Juive Contemporaine du Comité Juif Américain. Il détient aussi actuellement le rang de Professeur Invité à la Yeshivat Chovevei Torah. Les volumes qu’il a publiés comprennent : Understanding Jewish History: Texts and CommentaryJewish Arguments and Counter-Arguments; et American Jewry’s Comfort Level. [Comprendre l’histoire juive : textes et commentaires ; Argumentaires Juifs et Contre-argumentaires ; et le Niveau aisé (le bonheur) des Juifs Américains].

« Le nombre de mariages mixtes est le principal baromètre de l’assimilation. C’est tout-à-fait la cause primordiale, qui implique une faible éducation juive et une attractivité prédominante des valeurs et normes culturelles américaines. Construire une identité juive distincte par nécessité entraînerait, sinon, une dissonance considérable avec les normes attrayantes américaines

« La non-appartenance et les mariages mixtes se situent à des sommets historiques. Au sein du Judaïsme réformé, plus de 80% de ceux qui se sont mariés depuis 2000 ont choisi des épouses non-juives. Alors que les conversions au Judaïsme constitue le seul meilleur résultat apporté par le mariage mixte, leur indice s’est stabilisé. Le défi que posent les mariages mixtes affecte les deuxièmes et troisièmes générations. Les mariages mixtes en eux-mêmes provoquent rarement qu’on cesserait de s’identifier en tant que Juifs. Mais la transmission réussie de l’identité juive à des enfants ou petits-enfants demeure tout au plus une proposition interrogative.

« Le deuxième grand défi concerne le maintien et le développement des bonnes relations américano-israéliennes. La cause de la défense d’Israël demeure très largement populaire en Amérique. Cependant, le soutien à Israël s’est atténué parmi les élites : l’université, les médias et les principaux regroupements ethniques et religieux. De façon plus déterminante, la cause d’Israël, par le passé, a toujours triomphé sur une base bipartisane. Ce partenariat bipartisan est aujourd’hui en péril. Si la défense et le militantisme pro-israélien finit par s’identifier foncièrement avec les Républicains, les relations américano-israéliennes vont, à nouveau, probablement souffrir quand lkes Démocrates reviendront au pouvoir.

« Troisième défi : les Juifs Américains ont éprouvé un franc déclin en matière d’antisémitisme depuis des décennies. Au cours de ces dernières années, cependant, ont a assisté à un pic dans l’activité antisémite. A droite, les groupes extrémistes ressentent une plus grande liberté d’exprimer leurs points de vue antisémites, et parfois même, ils passent à l’action. A gauche, l’antisionisme se transforme trop fréquemment en antisémitisme.

« Les Juifs américains sont vigilants en ce qui concerne l’antisémitisme. Si un point devait être soulevé, le danger prend forme à trop souvent crier au loup. Nous devons distinguer entre la critique légitime et les expressions de préjugés et de fanatisme. L’essentiel de ce qui passe pour de la critique vigoureuse d’Israël, en particulier au sien de l’université, est formulé par des gens qui se sentent parfaitement chez eux et à l’aise parmi les Juifs. Pour eux, l’Etat d’Israël serait, tragiquement, devenus Goliath plutôt que David.

« Le mouvement BDS est la source d’énormément de bruit sur les campus, même s’il n’obtient pas de victoires tangibles. Les étudiants pro-israéliens peuvent souvent se sentir intimidés par des manifestations bruyantes et à forte résonance, qui mettent sur le même plan Israël et l’Apartheid en Afrique du Sud. D’autres peuvent tout simplement préférer opter pour le silence. L’enseignement dans les collèges et universités est censé défier toute forme de pensée unique. Le débat sur les campus concernant Israël, cependant, est devenu beaucoup trop strident et facteur de divisions, de sectarisme, provoquant en retour bien trop de malaise, parmi les étudiants juifs-américains les plus engagés.

« Le nombre de Juifs qui prennent pour agent comptant les arguments de BDS et d’autres groupements antisionistes reste relativement faible. Ils fournissent cependant une caution de complaisance pour les détracteurs non-Juifs bien plus nombreux. Pour la plupart des Juifs sur les campus, le défi crucial, concernant Israël, relève plus de l’indifférence que de l’hostilité.

« En ce qui concerne le comportement politique des Juifs, depuis 1928, la règle général a été que les Juifs voteront pour le candidat le plus libéral, pour autant qu’il ou qu’elle n’est pas considéré(e) comme hostile à Israël.

L’impopularité du Président Donald Trump émane, en partie, de ses décisions politiques les plus conservatrices et en partie de l’image de soi qu’il projette. Les Juifs voteront pour le candidat qui sera considéré comme le plus courtois et le plus bourgeois, libéral, intellectuel et à l’esprit large. Trump projette souvent les traits les plus antithétiques avec ces caractéristiques (qualités).

« Quoi qu’il en soit des débats permanents parmi les experts en sciences sociales, la prise de distance avec Israël est assez perceptible dans certaines parties de la communauté juive. On s’en aperçoit parmi la génération du millénium, du fait de l’assimilation. Se distancier des sujets liés à la condition juive connote généralement une prise de distance à l’égard d’Israël.

Cependant, même au sein de secteurs hautement engagés et actifs dans la vie juive, on peut aussi détecter de la prise de distance. Ces Juifs élaborent des identités juives positives. Cependant, Israël demeure un sujet de discussion hautement explosif et presque toxique, pour eux.

« Le Judaïsme réformé demeure l’unique confession la plus vaste et elle affiche l’allégeance de plus d’un tiers des Juifs Américains adultes. Le Judaïsme conservateur revendique 18% et l’orthodoxie 10%. Ces chiffres représentent l’auto-identification confessionnelle, plutôt que l’appartenance formelle à des institutions et à des synagogues.

L’orthodoxie et les secteurs « neutres » ou non-pratiquants augmentent, alors que les « intermédiaires » s’effondrent. Pourtant, ce sont ces intermédiaires, les Juifs conservateurs (traditionalistes) et réformés actifs qui servent de colonne vertébrale architecturales aux institutions juives communautaires.

« A ce jour, le mouvement réformiste s’est maintenu par lui-même sur le plan numérique, parce qu’il s’est avéré plus accueillant envers les mariages mixtes. Savoir si cela tiendra toujours à la prochaine génération est une question bien plus ouverte, puisque les enfnats et les petits-enfants de mariages mixtes se marient à l’extérieur à des niveaux bien plus élevés.

« Au sein du judaïsme traditionaliste (conservative), cet effondrement est devenu évident sur le plan institutionnel, avec la fermeture de certaines synagogues et d’écoles de la fondation Solomon Schechter. A ce jour, le réseau d’institutions bâties tout au long du 20ème siècle a fait de la communauté juive des Etats-Unis la communauté la mieux organisée et disposant du plus de ressources de toute l’histoire du Judaïsme. Savoir si cela va pouvoir se poursuivre, alors que les nombres chutent et que les institutions déclarent forfait, pour une partie de leurs qualités distinctives est, plus que tout, un réel défi pour l’avenir.

« La résurgence de l’orthodoxie est l’une des plus grandes histoires à succès (sucess stories) de la communauté juive américaine. Plutôt que de subir les tendances lourdes de l’histoires, les dirigeants orthodoxes se sont engagés à rebâtir leurs communautés.

Ils ont réussi au-delà de leurs espérances et transformeront le visage de la communauté juive à l’avenir. Alors que l’orthodoxie ne constitue guère plus de 10% des adultes juifs, 35% des enfants  en-dessous de cinq ans sont élevés selon le rite orthodoxe. Mais si la défense d’Israël devient uniquement une cause défendue par les Orthodoxes, le danger sera qu’il sera bien plus facile de réfuter les voix juives comme ne représentant pas la communauté juive américaine dans son ensemble.

« Les distinctions entre l’Orthodoxie moderne et l’Ultra-Orthodoxie sont nuancées et souvent floues. Les Ultra-Orthodoxes deviennent plus modernes, dans le sens où l’économie implique l’acquisition des bases de l’éducation laïque. Inversement, l’orthodoxie moderne vire à droite en termes d’observance religieuse plus intense, d’idéologie politique plus conservatrice, et en limitant l’éducation laïque essentiellement aux objectifs utilitaires.

Il y a des secteurs au sein de l’orthodoxie moderne qui ont résisté à ce virage. La plupart se sont fondus autour de nouvelles institutions et séminaires rabbiniques ; les autres se sont installés au sien de « l’orthodoxie sociale », qui maintient de hauts niveaux d’observance sans souscrire à toutes les croyances et normes orthodoxes.

« Les études nationales en Population Juive des années 1990 et 2000 et le rapport Pew de 2013 démontrent que l’histoire du renouvellement des générations juives coexiste parallèlement à l’histoire de l’assimilation. Notre défi face à l’avenir raffermi les forces du renouveau – et elles surgissent au sein de tous les secteurs de la vie juive américaine- tout en minimisant l’importance des forces d’érosion et de dissolution ».

Interview par Manfred Gerstenfeld

 

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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rachel

L’assimilation ou plutôt la disparition des juifs (c’est plus précis) par des mariages avec des non-juifs n’existe pas qu’aux EU. En France et en Europe, le même phénomène se produit; allez étudier la famille de Simone Veil : les fils se sont mariés avec des non-juives (à l’exception d’Agnès Buzyn) et les enfants des fils ont reproduit le même schéma et se sont mariés avec des non-juifs.
Comme je le dis, la grande dilution vaincra là où la Shoah a échoué. Seule maigre récompense : quand il n’y aura plus de juifs dans la diaspora, il n’y aura plus de persécutions anti-juives.