L’Ukraine, les Cosaques et les Juifs : cher « Historia », est-il nécessaire de réécrire l’histoire ?

Le dernier numéro du magazine « Historia », titré « Les Cosaques, guerriers de la liberté », a fâcheusement surpris notre journaliste Martine Gozlan. Retour sur quelques épisodes sanglants de cette saga ambiguë, qui s’est traduit par la mort, selon les historiens de l’époque, de 80 000 Juifs lorsque ces combattants se sont révoltés contre les Polonais au XVIIe siècle.
Je me retiens d’écrire ces lignes depuis une semaine tant le malheur qui s’est abattu sur l’Ukraine depuis son invasion sanglante par le tsar du Kremlin paralyse réflexes et réflexion. J’ai sursauté en effet l’autre matin en découvrant au flanc de tous les kiosques l’affiche du numéro d’Historia titrée « Les Cosaques, guerriers de la liberté ». Un frisson m’a parcouru l’échine car si les Cosaques ont traversé le temps dans ma mémoire historique et familiale, du côté de la branche ashkénaze, c’est effectivement comme guerriers mais avec un juif sous les sabots de leurs chevaux. Ces valeureux combattants, sous la conduite de leur ataman (« chef ») Bogdan Khmelnitski, se sont en effet illustrés entre 1648 et 1650, lors de leur révolte contre les Polonais, par des massacres d’une telle ampleur et d’une telle férocité que le monde juif en est resté ébranlé bien au-delà du théâtre des atrocités : la nouvelle parvenue jusqu’en Orient aura déclenché une vague de désespoir absolu, de Smyrne à Jérusalem.

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On retrouve la chronique de cette Shoah version cosaque dans les témoignages réunis par Nathan Hannover, un contemporain de l’horreur : Le fond de l’abîme, « Yeven Mezulah » en hébreu, a été traduit en anglais en 1950 puis en français aux éditions du Cerf en 1991. Il est hélas épuisé depuis. Nathan Hannover, mort en 1663, évoque 80 000 victimes, un chiffre énorme pour l’époque. Le détail des supplices inventés par les héros de la steppe – comme les chats cousus dans les femmes enceintes éventrées – a été repris dans toutes les lamentations, à l’égal de la destruction du Temple de Jérusalem et de l’expulsion d’Espagne.

La littérature yiddish palpite de ces douleurs, de La charrue de feu d’Eli Chekhtman, à La corne du bélier (1933) d’Isaac Bashevis Singer où l’écrivain retrace le vertige messianique des hérésies de Sabbatai Tsevi puis de Jacob Frank qui s’empara des communautés juives, en réaction aux massacres des Cosaques. La chasse continua durant les siècles suivants et jusqu’à la guerre civile des années 1917. Dans La garde blanche (1925) l’écrivain ukrainien Mikhaïl Boulgakov décrit sa nausée devant l’assassinat d’un passant juif par un cavalier cosaque.

Est-ce vraiment le bon moment pour faire remonter cette boue sanglante à la surface d’une histoire immédiate, elle aussi jalonnée de cauchemars infligés au peuple ukrainien, où le despote russe se sert de l’insulte « nazi » pour justifier son agression ? Mon hésitation devant l’affiche d’Historia rejoint ma fatigue, sur cette grande place de Kiev, quelques jours avant la guerre, quand j’ai vu sur son socle la statue de Bogdan Khmelnitski, « le » héros national. Je savais depuis longtemps et, par ailleurs, comme me le répétaient mes amis, « c’est du passé et nous avons un président juif ! »

Honneur, donc, à Volodymyr Zelensky, le descendant de siècles de survie acharnée aux incendies et aux cavalcades, ce petit juif à qui revient la charge paradoxale d’incarner l’Ukraine, légende cosaque comprise ! Cela doit faire partie du « Tikkoun », la réparation du monde, cette aspiration mystique chantée sur toutes les lèvres juives des terres de sang. Le grondement de l’histoire est plus fort que nous. Pour autant, chers confrères d’Historia, est-il nécessaire de la réécrire ?

Par Martine Gozlan

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Moshé

Merci pour cet article éclairant et documenté