Les chrétiens ont abandonné le Liban, le Liban les abandonne Après des départs massifs ils sont devenus minoritaires face aux chiites, qui n’ont que les sunnites en face d’eux avec l’apport de 1.800.000 réfugiés de Syrie en majorité sunnites.

Le Hezbollah se prépare à l’éventualité d’un changement de système au Liban

S’il se positionne comme le parrain du statu quo, le parti chiite ne serait pas opposé au fait de tourner la page de Taëf et renforcer ainsi l’intégration institutionnelle des chiites.

Est-il possible de trouver une issue à la crise libanaise sans revoir le système qui a été déréglé avant de s’effondrer de fond en comble ? Cette question alimente aujourd’hui de nombreux débats au sein de la classe politique traditionnelle, mais aussi dans les rangs de l’opposition, qui espère que l’effondrement total permettra de donner naissance à un nouveau projet politique et économique. Les partis politiques traditionnels étant intrinsèquement liés au système en place, ces derniers le défendront a priori bec et ongles tant qu’ils le peuvent. Pas seulement pour une question d’intérêts, mais aussi de peur que les autres forces en profitent, au premier rang desquelles le Hezbollah.

N’en déplaise à ceux qui misent sur la mort de l’ancien monde pour voir le nouveau apparaître, la déliquescence du pays risque plutôt de renforcer le chaos ambiant sans pour autant faire émerger une véritable alternative. C’est pour éviter ce scénario que les Occidentaux ont décidé de soutenir l’armée libanaise et de renforcer leurs actions humanitaires dans le pays. Pour eux, l’objectif est de créer les conditions de la transition, qui doit commencer à prendre forme avec les élections législatives prévues pour 2022. Le président français Emmanuel Macron avait même évoqué le besoin de penser un nouveau contrat social au Liban, lors de sa visite à Beyrouth au lendemain de l’explosion au port le 4 août 2020.

Le Hezbollah est le parti qui en parle le plus ouvertement. Lors de son dernier discours début juillet, Hassan Nasrallah avait considéré que le Liban souffrait d’une « crise de régime ». Le secrétaire général du parti chiite s’était déjà exprimé en ces termes en 2012. A l’époque, il avait appelé à une conférence pour discuter de la Constitution, alors que le Hezbollah sentait le danger des répercussions des « printemps arabes » sur la réalité politique libanaise, notamment la révolution syrienne, qui était à son apogée. Si la proposition du parti pro-iranien avait été accueillie par de nombreuses critiques sur le plan local, c’est plutôt l’évolution de la scène régionale qui l’a poussé à ranger cette idée dans le tiroir. L’échec de la révolution syrienne d’une part, et l’accord sur le nucléaire iranien de l’autre, lui ont donné un sentiment de toute-puissance. Et le compromis présidentiel de 2016 entre Michel Aoun et Saad Hariri l’a promulgué maître incontesté du jeu, toutes les parties entretenant des liens directs avec lui.

La situation actuelle, marquée par une aggravation de la crise de gouvernance – le Liban n’étant même pas parvenu à former un gouvernement – fait naître d’autres calculs au sein du Hezbollah. D’un côté, il se positionne comme le principal défenseur du statu quo, qui lui permet de contrôler les grandes décisions politiques et stratégiques. De l’autre, il se prépare à un éventuel changement qui devrait se faire dans son intérêt. Dans les coulisses, on évoque de plus en plus la perspective d’une Constituante, d’un changement de régime, d’une modification de la Constitution ou d’un nouveau contrat social. Toutes ces terminologies abondent dans le même sens, à savoir la sortie de l’accord de Taëf, qui a lui-même été complètement déréglé par les accords de Doha de 2008, pour aboutir à une nouvelle formule constitutionnelle qui redistribuerait l’équilibre des forces politiques.

Déficit de représentation institutionnelle

« Le Hezbollah veut changer la Constitution à son profit », accuse un homme politique, sous couvert d’anonymat. Les chiites souffrent actuellement d’un déficit de représentation institutionnelle par rapport à leur véritable poids politique, surtout en comparaison aux chrétiens et dans une moindre mesure aux sunnites. Un changement de Constitution, qui pourrait impliquer un système de répartition du pouvoir en trois tiers (chrétiens, sunnites, chiites), se ferait en premier lieu au détriment des chrétiens et affaiblirait la logique du sunnisme politique. Michel Aoun considère encore aujourd’hui que l’accord de Taëf a été une catastrophe pour les chrétiens et cherche à le contourner en élargissant, par la stratégie du blocage, ses prérogatives présidentielles. Mais une nouvelle Constitution limiterait sans doute un peu plus les pouvoirs de la partie chrétienne au profit des chiites. Les Forces libanaises, moins dépendantes du clientélisme de l’État et dont le succès repose sur des bases plus idéologiques, devraient être moins affectées que les autres par un changement de configuration politique. Le courant du Futur, le Parti socialiste progressiste, le Courant patriotique libre et le mouvement Amal seraient pour leur part les grands perdants de l’histoire.

« A la base, Michel Aoun se disait antisystème. Mais il est devenu une partie intégrante de celui-ci », confie un homme politique, anciennement proche du locataire de Baabda. Du côté de Saad Hariri, on se prépare déjà à cette éventualité. « Hariri cherche à unifier les sunnites pour qu’ils fassent bloc le moment venu », dit un proche de l’ex-Premier ministre. Moukhtara et Bkerké défendent pour leur part plus ou moins la même position : la nécessité de respecter la Constitution de Taëf, qui a été largement malmenée depuis sa mise en œuvre, d’abord par les Syriens puis par les parties locales, en particulier les membres de la coalition du 8 Mars.

Le scénario irakien

« Bien sûr que nous envisageons une nouvelle formule. Mais ce n’est pas le moment de mettre le sujet sur la table, car cela requiert une plus grande stabilité », dit un cadre du parti chiite. Autrement dit : le Hezbollah privilégie aujourd’hui une option provisoire avant que les dynamiques locales et régionales soient plus favorables à un changement plus brutal. En cas de grand accord régional, les armes pourraient être un outil de négociation pour définir la nouvelle Constitution. Le renforcement des prérogatives chiites pourrait se faire en échange d’un règlement régional qui régit la question des armes du parti, à condition bien sûr que celui-ci accepte de ne pas avoir dans le même temps le beurre et l’argent du beurre. « Les gens du Hezbollah estiment qu’ils ont donné leur sang et qu’ils doivent désormais être récompensés », avance un député opposé au parti chiite.

L’idée d’un scénario à l’irakienne est de plus en plus discutée dans les coulisses. La stratégie de défense nationale – que Michel Aoun avait promis de définir avant d’y renoncer pour ne pas fâcher son puissant allié chiite – impliquerait d’intégrer la milice au sein des institutions, comme cela a été fait pour les Forces de mobilisation populaire en Irak. Plusieurs sources rapportent à L’Orient-Le Jour que dans les centres d’analyses du Hezbollah, on envisage une rotation de la présidence, ou la nomination d’un vice-président de la République issu de la communauté chiite, en plus d’une rotation pour les principales positions de l’État, comme le commandement de l’armée, la gouvernance de la Banque centrale et d’autres.

A la veille de la guerre civile de 1975, la question du changement de système, jugé trop favorable aux chrétiens, était déjà sur la table. L’incapacité des partis à aborder ce problème de front a été l’une des raisons qui ont coûté quinze ans de guerre civile au Liban. Si la situation est différente aujourd’hui, force est de constater que cette question, pourtant primordiale tant pour les forces traditionnelles que pour les formations de l’opposition, n’est quasiment pas évoquée dans le débat public.

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