Mathieu Gallard: «L’autre grand vainqueur du scrutin avec le Rassemblement national, c’est le Parlement»

«Cette dynamique de campagne a affecté à la baisse la qualité des reports de voix visant à faire barrage à la droite radicale.», Mathieu Gallard.

FIGAROVOX/ENTRETIEN – La tripartition de l’espace politique en trois blocs étanches et antagonistes s’est solidement ancrée lors des élections législatives, analyse le sondeur Mathieu Gallard. La pratique du pouvoir va devoir s’adapter au nouveau rôle central du Parlement, ajoute-t-il.

Mathieu Gallard est directeur d’études à Ipsos France.

FIGAROVOX. – Ces élections ont-elles entériné la tripartition de notre vie politique ?

Mathieu GALLARD. – Les trois pôles dominants qui sont apparus au premier tour de l’élection présidentielle sont en effet confirmés à l’issue de ces élections législatives, malgré la conjonction d’un mode de scrutin et d’un calendrier électoral défavorables. C’est la preuve que cette tripartition de l’espace politique entre un bloc de gauche, un bloc libéral et un bloc de droite radicale est désormais solidement ancrée, même si la «re-parlementisation» qui va se mettre en place dans les prochaines semaines et le processus de succession de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron pourraient en partie rebattre les cartes. On doit cependant noter la résistance de la droite autour de LR, qui obtient 74 députés notamment grâce à l’ancrage des sortants et à leur positionnement très favorable pour récupérer les voix des électeurs dont le camp était éliminé du second tour – c’est aussi bien le cas quand ils faisaient face aux candidats de la Nupes, d’Ensemble! que du RN. Cependant, c’est aussi le signe d’une faiblesse idéologique qui empêche à ce stade LR de disposer d’une espace propre et bien identifié entre la macronie et le Rassemblement national.

Le scénario est idéal et sans doute inespéré pour Marine Le Pen. Mathieu Gallard

Finalement, qui sort vainqueur de ces élections législatives ?

Le grand vainqueur, c’est évidemment le Rassemblement national: 19% des voix au premier tour, 89 élus au second tour, un «front républicain» qui s’est effondré, une capacité à se faire entendre et à agir depuis l’intérieur des institutions, le scénario est idéal et sans doute inespéré pour Marine Le Pen. Elle a démontré que l’argument central d’Éric Zemmour pour la concurrencer dans son espace politique durant la campagne présidentielle, à savoir son incapacité supposée à conquérir le pouvoir, n’était sans doute pas aussi clairement établi qu’il le pensait.

Quant aux autres forces politiques, si les résultats sont décevants, elles ne connaissent toutefois pas une déroute: la déconvenue est évidemment immense pour le camp macroniste, mais Ensemble! n’en reste pas moins largement en tête en nombre de députés, en faisant un parti incontournable pour construire des majorités à l’Assemblée ; la Nupes est très loin de son objectif d’imposer Jean-Luc Mélenchon comme premier ministre, mais cette coalition a doublé le nombre de députés de gauche et démontré que ce camp politique reste dynamique en France ; quant aux LR, leur ancrage local leur a permis d’éviter d’être balayé du Parlement après la déroute de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle, et ils sont désormais incontournables pour construire des majorités de projets.

Comment Emmanuel Macron peut-il gouverner dans cette configuration ?

Face au refus immédiat des LR de nouer un contrat de gouvernement formel avec Ensemble! visant à former une coalition gouvernementale, dans la logique allemande, il va probablement plutôt se tourner vers le modèle scandinave des gouvernements minoritaires. En Suède ou au Danemark, les gouvernements sociaux-démocrates actuels s’appuient sur un parti ne détenant qu’une majorité très relative, et tentent de faire voter leurs projets de loi avec l’appui tantôt de la gauche radicale, tantôt du centre-droit. Pour Emmanuel Macron, cette solution aurait l’inconvénient de freiner le rythme des réformes, mais elle a aussi l’avantage – énorme – de ne pas définitivement l’ancrer à droite et de pouvoir lui permettre de renouer avec la promesse du «et de droite, et de gauche» de 2017. Reste à savoir si Les Républicains et surtout les groupes parlementaires du centre-gauche (PS et EELV) issus de la Nupes accepteraient une telle solution.

Quoi qu’il en soit, ces résultats montrent qu’en dehors du RN, l’autre grand vainqueur du scrutin, c’est le Parlement: il va retrouver un rôle central dans nos institutions, même s’il reste à voir si les partis politiques français, tant habitués au fait majoritaire, sauront s’adapter à la nécessité du dialogue, du compromis voire du consensus que réclame un parlement sans majorité absolue. Un blocage initial est le plus probable, mais si après une dissolution aucune majorité ne se dégage à nouveau (ce qui est très possible dans un contexte de tripartition), ce sera aux dirigeants politiques de s’adapter aux choix électoraux des Français en finissant par se plier à la situation nouvelle, et non pas l’inverse.

La campagne extrêmement rude de l’entre-deux-tours a conduit à l’effondrement du front républicain. Mathieu Gallard

Comment expliquer l’échec relatif des sondages, notamment sur les scores du Rassemblement national ?

Les sondages avaient parfaitement évalué le poids électoral du RN au premier tour (18,6% des voix), mais ils ont effectivement nettement sous-évalué l’ampleur de la capacité du parti à transformer ces voix en sièges. Dans les sondages réalisés juste après le premier tour, nous mesurions encore des restes de «front républicain» dans l’électorat, avec une partie des électeurs Ensemble! qui souhaitaient voter pour le Nupes là où elle était opposée au RN, et une partie des électeurs de la Nupes qui disaient vouloir voter Ensemble! là où il était opposé au RN. Mais la campagne extrêmement rude de l’entre-deux-tours a conduit à l’effondrement du front républicain: les électeurs d’Ensemble! sont finalement restés chez eux dans les duels Nupes/RN, effarouchés par des consignes de vote inaudibles et par les propos des dirigeants de la majorité assimilant la Nupes aux islamo-gauchistes, à l’extrême gauche, voire à l’anarchisme – une rhétorique il est vrai peu encourageante. Même scénario pour les électeurs de la Nupes, qui ont là aussi été influencés par la campagne extrêmement violente de Jean-Luc Mélenchon et de ses lieutenants contre Emmanuel Macron. Au final, on ressort de ces élections législatives avec une tripartition en trois blocs électoraux extrêmement étanches et antagonistes, dans lequel les électeurs d’un bloc ne font pas de vraie différence et n’expriment donc pas de préférence – ou en tout cas de détestation moindre – vis-à-vis des deux autres blocs.

Cette dynamique de campagne a affecté à la baisse la qualité des reports de voix visant à faire barrage à la droite radicale. Sachant que les projections en sièges issues des sondages sont extrêmement sensibles à ces reports, et que de nombreuses élections se sont jouées à très peu de chose (32 nouveaux députés RN ont été élus avec moins de 52% des voix), cela explique la sous-estimation du groupe parlementaire que va diriger Marine Le Pen à l’Assemblée nationale.

Par Eugénie Boilait  www.lefigaro.fr
«Cette dynamique de campagne a affecté à la baisse la qualité des reports de voix visant à faire barrage à la droite radicale.», Mathieu Gallard. Francois Bouchon / Le Figaro

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Moses

Cette analyse est insuffisante. Un oubli essentiel : la création de la NUPES, en évitant l’éparpillement des candidatures de gauche a conduit à 63 duels NUPES -RN, totalement imprévus. Les électeurs de droite ne pouvaient laisser élire NUPES et ont donc préféré RN. De ces duels ont émergés 31 députés NUPES et 32 députés RN. C’est déjà plus que ce qu’espérait le RN. Ajoutez les 25 sièges qu’espérait le RN: ça fait déjà 57 sièges. La trentaine d’autres proviennent des duels Ensemble -RN, où le rejet de la Macronie a joué. S’il n’y avait pas eu de NUPES, le résultat eût certainement été différent