« Parle à toute la communauté d’attestation (col-êdat) des Bnei Israël et tu leurs diras : « Vous serez saints (kedochim tihyou) car Je suis saint (kadoch), moi l’Eternel votre Dieu. Chacun son père et sa mère respectera et mes chabbats vous garderez. Je suis l’Eternel votre Dieu» ( Lev, 1, 4).

«Ne maudis pas le sourd et n’interpose pas d’obstacle devant l’aveugle» (Lev, 19, 14).

La conception juive de l’existence ne l’érige pas en concept abstrait, pas plus que ne sont de tels concepts la Vie ou l’Être.

La vie n’est vie, au sens biblique, que d’être insérée dans une création et d’en poursuivre les accomplissements.

Plus que d’un « niveau de vie », au sens économique, il importe de se préoccuper du niveau transcendant auquel la vie entière doit être portée pour mériter le qualificatif de Création.

Ce label, si l’on pouvait ainsi le qualifier, se nomme en hébreu kédoucha, sainteté.

La vie n’est vivante que d’être ainsi sanctifiée, se plaçant de la sorte au niveau où le Créateur lui même se trouve.

D’où cette homologie qu’autrement l’on pourrait réduire à une prétention anthropomorphique. Le Créateur et les créatures disposées en corrélation avec lui comportent bel et bien une dimension commune, effectivement celle de kédoucha dont il faut comprendre les obligations à quoi elle engage et les interdits qui en découlent.

La première de ces obligations est liée au respect ( moraa ) des parents. Ce terme ne serait que moralisateur s’il ne s’inscrivait dans la suite directe de la paracha Ah’aré Moth qui concerne notamment toutes les modalités de l’interdit majeur, celui de l’inceste que l’on retrouvera également dans maints passages du Chir hachirim, du Cantique des Cantiques. Le respect parental ainsi entendu engage à observer les intervalles qui séparent sans les désunir les générations entre elles, au lieu de reconstituer le chaos primordial dont la Création s’est dégagée et qui parfois l’attire magnétiquement.

C’est pourquoi cette forme de respect est liée à la garde du chabbat, intrinsèquement. Le jour du chabbat est celui de la différenciation qualitative des temps. A quoi il faut ajouter que le chabbat est lui aussi inhérent à la Création proprement dite puisque le livre de la Genèse évoque à ce propos les toldot, les générations, des cieux et de la terre( Gn ).

Tout cela pour enseigner clairement que l’ Etre est création et que s’il est déficitaire sur ce plan, lorsque sa kedoucha s’affaiblit ou qu’elle se dégrade, la contre-création, le eédar, regagne sur elle, comme la mer aveugle sape à la fin une digue friable.

Les deux prescriptions précitées s’inscrivent dans les mêmes préoccupations et soulignent qu’il est des conduites contre-créatrices, à l’évidence malfaisantes et absurdes dans leur malfaisance même.

Car quel intérêt peut- on trouver à maudire un sourd puisqu’il ne peut entendre son malédicteur, ou à faire intentionnellement buter un aveugle contre un obstacle fracturant, au lieu de le lui signaler?

Ces deux situations mettent en évidence le pire qui puisse se trouver en chaque être humain lorsqu’il fait défaut de manière délibérée à sa vocation sanctificatrice.

Il cède alors non seulement à la logique du pire mais à ce qui dévoie cette logique elle même : la jouissance ressentie à provoquer la souffrance d’autrui dans les circonstances où au contraire elle devrait être atténue, allégée, portée solidairement.

Ce qui reconduit à nos considérations initiales : la Création n’est pas d’ores et déjà réalisée et réussie. Elle est une oeuvre à poursuivre patiemment, avec endurance et lucidité, en surmontant les obstacles qui la contrarient, en défaisant les pièges où elle s’enferme.

Nul n’est saint que Dieu seul. L’Humain, lui, doit tendre à la sainteté et c’est déjà tout son mérite. Aussi convient il de faire attention à la formulation grammaticale des versets concernés «Vous serez saints» est à la fois un impératif et un futur.

L’obligation de sanctification n’est ni comminatoire ni terrorisante. Pour chaque être humain, tendre à sa propre sanctification, ainsi entendue, est en soi l’oeuvre qui fonde ses raisons de vivre.

Raphaël Draï zatsal, 20 avril 2014

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