L’un est de confession juive, l’autre est musulman. Passionnés de musique andalouse traditionnelle depuis leur tendre enfance, les jeunes cantors Hay Korkos et Anass Belhachemi nous ont fait revivre le temps d’un concert à la synagogue Slat Attia, les musiques et prières d’antan.


Des moments chargés d’émotion lors de la 15e édition du Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira, ponctués de chants liturgiques pour célébrer la saga judéo-musulmane encore très présente au Maroc, et dont Essaouira a choisi d’être l’incarnation. Des paroles brodées et des musiques tissées du Matrouz divinement interprétées par deux jeunes prodiges. Une performance à couper le souffle qui restera longtemps dans les annales !

Anais Lefebure/HuffPost Maroc Des pèlerins devant le mausolée de Rabbi Haïm Pinto, dans le cimetière juif  d’Essaouira le 30 août 2018.

Hay Korkos :

 Votre famille est originaire de Mogador. J’imagine que ça doit être émouvant pour vous de chanter à Essaouira ?

 Oui, ma famille est d’Essaouira mais mes ancêtres sont de Marrakech ! J’ai deux sages marocains dans ma lignée. Mon arrière grand-père qui était juge à Marrakech, le rabbin Mordechai Korkos et son cousin, le cantor Yohushua KorKos, vivaient à Essaouira et priaient dans cette synagogue! J’ai déjà visité le Maroc mais c’est la première fois que je viens à Essaouira et je suis très heureux de chanter dans cette synagogue des chansons qui ont été chantées pendant des siècles. Ensemble avec cet orchestre, je chante avec Anass les mêmes chansons, moi en hébreu, lui en arabe. Je crois que les chansons sont capables de connecter les gens ensemble, nous oublions le fait que nous sommes des Arabes ou des Juifs. Nous sommes juste ensemble.

 

C’est d’autant plus spécial que cette synagogue vient d’être restaurée l’année dernière ?

 Je suis très excité d’être ici et de chanter ici. L’endroit est très spécial pour moi ! Je crois que c’est un plan divin que je sois retourné dans cette synagogue où mes ancêtres avaient l’habitude de prier et avoir la chance de chanter avec des Arabes des hymnes juifs pour montrer au monde l’harmonie et l’unité des Marocains. Nous pouvons donc venir d’Israël pour jouer au Maroc et de même, il y a des chanteurs qui viennent du Maroc pour se produire en Israël et chanter ensemble ! La musique est la plus belle chose au monde qui relie les gens entre eux.

Vous avez baigné depuis tout petit dans l’ambiance musicale de la synagogue, pourquoi avoir choisi par la suite, en tant que Hazzan (chantre de synagogue), de chanter ce style musical andalou ?

 Oui, mon père est un grand rabbin, et quand j’étais petit, la première chanson que j’ai appris, c’est « li habibi ourssil salam… ». Actuellement, je vis à Jérusalem, j’ai appris les chants liturgiques hébraïques par Rabbi Attia, et le Rabin Haim Bitton m’a initié à Ala et aux chants andalous. J’ai découvert alors que le répertoire des chants andalous est beaucoup plus large que la chanson que je connaissais étant petit. Je voulais donc tout savoir, et pendant 10 ans, j’ai tout appris sur Ala, j’ai visionné sur Youtube et à la télévision toutes les vidéos des orchestres marocains de Ala, de plus, je discutais souvent avec mes amis marocains sur Messenger pour apprendre tout se qui se rapportait à cet art, parce que j’adore énormément cette musique. Et à chaque fois que je viens au Maroc, je suis très excité parce que je sens qu’ici, c’est la meilleure musique pour prier et chanter les louanges de Dieu ! Vous savez, j’ai commencé à apprendre Ala il y a une dizaine d’années, mais ce n’est pas évident ! Il y a environ 1000 chansons alors j’apprends en permanence pour perfectionner mon style.

On sent une grande synergie entre vous et Anass sur scène. Est-ce que vous avez fait des répétitions ?

Pas vraiment. On a répété juste un peu avant le concert. Et comme ce sont les mêmes chansons en arabe et en hébreu, on se met d’accord pour se partager les morceaux et décider à quel moment chacun pourra faire des mawals en solo.

Vous pensez que les jeunes en Israël aiment ce genre musical ?

 En tout cas, moi, j’ai adoré cette musique la 1ère fois que je l’ai entendu quand j’étais petit ; c’est une grande musique et ça me fait toujours le même effet lorsque je l’entends. J’aime bien Malhoune, Chaâbi, Matrouz et la musique algérienne,… Ala elle, c’est la meilleure de tous ! Et chez nous, les jeunes commencent à connaître un peu ce genre de musique. Avec le violoniste Elad Lévi, on a formé il y a un an un orchestre « Tarab Al Qods » constitué de 14 membres, et qui ne joue que de la musique traditionnelle andalouse marocaine. Je joue du « Tar » aussi, j’ai appris tout seul, j’ai dû regarder des millions de fois sur Youtube la façon dont les artistes le maniait, maintenant, j’enseigne cet instrument chez moi pour perpétuer cet art !

Vous pensez que la musique peut changer ce que le politique a échoué d’accomplir ?

La musique est pour Dieu, peu importe votre religion, que vous soyez marocain ou israélien ! Je suis un grand passionné de la musique andalouse, et Juifs et Musulmans, on chante la même musique, c’est ce qui fait toute sa beauté. Je crois que les chansons sont capables de connecter les gens ensemble. La musique est la plus belle chose au monde qui relie les gens entre eux et qui a le pouvoir de procurer la paix !

 

Anass Belhachemi 

« La musique est le lien qui nous unit, Juifs et Musulmans ! »

 « Nous chanteurs musulmans, quand nous chantons à Al Qods, on sent qu’on est au Maroc, on sent ce côté fraternel. Le lien qui nous unit, c’est la musique, c’est notre patrimoine commun que nous partageons ensemble. La musique andalouse marocaine a été retranscrite entièrement (Qssayed, sanai3 chantées…) en hébreu par Rabbi Haim Bitton, dans le but de la préserver et la transmettre à leur descendance. Actuellement, la musique andalouse connait un engouement sans précédent chez les Juifs, et je dirais qu’elle est entre de bonnes mains ! Il y a de plus en plus de groupes qui travaillent sur ce patrimoine musical marocain, comme Hay Korkos et son orchestre. Ce sont des artistes qui ont un attachement particulier à cette musique et qui œuvrent pour préserver et perpétuer cet art. Vous savez, Ala est souvent jouée dans les mariages des Juifs marocains, qui adorent aussi porter les tenues traditionnelles marocaines (caftans, djellabas…).

La musique andalouse est une musique presque sacrée chez eux c’est pour cela qu’ils utilisent ses rythmiques dans leurs prières et leurs chants religieux. Ça les apaise et ça leur permet de rentrer dans un état de transe. Tout comme l’effet procuré par tajwid du coran chez nous. Elle est donc assimilée à une parole divine, d’ailleurs, une partie d’une chanson connue tirée de la Torah est chantée pendant la fête religieuse « Pessa’h » !

Le festival des Andalousies Atlantiques est unique parce qu’il appelle à la cohabitation des religions et véhicule des messages de paix, d’ouverture et de tolérance entre Juifs, Musulmans et Chrétiens. C’est une grande opportunité pour nous de rencontrer de jeunes musiciens Juifs, et je peux vous dire que la relève est assurée ! ».

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