Eric Delbecque, Les silencieux (Plon 2020)

Maurice-Ruben Hayoun le 16.09.2020

Ce titre elliptique s’éclaire en lisant le bandeau blanc sur fond noir  de la couverture: Ne nous trompons pas, les salafistes menacent la République. Dès lors, tout est dit.

Les silencieux", nouvel essai d'Eric Delbecque : une lecture de salubrité publique à l'heure du procès des attentats de janvier 2015

Ce livre assez épais et bien documenté de première main, rédigé par un homme qui sait de quoi il retourne, montre que la situation est sérieuse pour la tradition républicaine de notre pays, la France, même si certains secteurs de l’opinion et de la classe politique ne prennent toujours pas cette menace au sérieux.

Le titre, dès lors, se justifie: ceux qui minent les fondements de la société française effectuent leur sinistre besogne, loin des regards indiscrets ou de la vigilance des services de sécurité.

Ceux qui détruisent l’essence même du pacte républicain, le font sournoisement, en silence, sans que l’on réalise vraiment ce qui se passe. Et après, il risque d’être trop tard, même s’il. faut éviter tout alarmisme et garder la tête froide. Mais il est indéniable qu’un travail de sape est à l’œuvre.

Je trouve que les livres et les émissions télévisées sur l’islamisme et le communautarisme (les deux termes sont pratiquement équivalents) abondent mais sans jamais traiter le sujet en amont, en d’autres termes, comment en sommes nous arrivés là ?

Au point qu’aujourd’hui les plus hautes autorités de l’Etat parlent de séparatisme et de partition. Jadis, on évoquait à voix basse les territoires perdus de la République, désormais on parle de gens qui érigent sous notre nez une contre-société avec pour législation essentielle le dogme religieux islamique, alors que depuis au moins 1905 la loi existe qui sépare les églises de l’Etat. Y déroger serait trahir les principes républicains et constituerait une régression inadmissible.

Mais je voudrais, en non-spécialiste, poser la question suivante ; pour quelle raison avons nous laissé se constituer un véritable ghetto regroupant de l’autre côté du périphérique des populations maghrébine et africaines, non intégrées, touchées gravement par le chômage et qui ont, pour cette raison ou pour une autre, développé une économie locale souterraine (drogues, fraudes, trafics en tout genres, etc ).

Est ce que les différents gouvernements n’ont pas pu ni voulu intégrer cette immigration que le pays ne pouvait plus absorber ? Y a t il eu une méfiance presque automatique envers l’appartenance confessionnelle de ces immigrés qui a établi une barrière entre eux et la majeure partie de la population ? Je ne le crois pas à cent pour cent.

Car, certains, mais ils sont hélas trop rares, ont réussi une brillante intégration dans le secteur bancaire, industriel, médical et autre. Ils sont des citoyens français comme tous les autres.

Je pense, au contraire, que certains agitateurs-idéologues ont exploité l’ignorance de ces laissés pour compte, leur faisant miroiter un avenir bien meilleur s’ils se laissaient guider par la voie de l’islam, ce qui impliquait, à leurs yeux, le rejet des valeurs occidentales et de l’humanisme individualiste.

Enfin, il y a aussi cette théologie, cette théocratie selon laquelle seul Dieu peut souverainement nous diriger, l’homme qui y aspirerait s’arrogerait obligatoirement un pouvoir que n’est pas le sien. Et évidemment ce sont les salafistes, tenants d’un passé légendaire, qui incarneraient ce règne de la volonté divine sur terre. L’avenir, pour eux, c’est l’islamisation du pays et du monde entier.

Cela paraît dément et pourtant ces idéologues ont réussi à entraîner nombre de leurs coreligionnaires dans tous les pays occidentaux, des jeune gens et des jeunes femmes les ont suivis et sont partis se faire tuer au nom d’Allah dans la zone dite irako-syrienne. Pourquoi, comment se fait il, que les valeurs de l’Occident qui ont bercé l’enfance et l’adolescence de cette population, née sur place, accompagné leur scolarisation et leur socialisation, se sont comme évanouies lors de la confrontation avec le délire des islamistes ?

L’auteur de ce livre, Eric Delbecque, pointe souvent cette énigme et pense que c’est la mauvaise conscience des nations occidentales qui s’est mue en haine de soi et les a conduits à se coucher eu lieu de réagir énergiquement.

Et les gouvernements  qui se sont succédés, de droite comme de gauche, ont eu peur, notamment de l’accusation d’islamophobie, voire de racisme généralisé ; dans la presse allemande, on parle de massue morale (moralische Keule) que la gauche brandit chaque fois que l’on aborde de tels sujets et qu’on veut défendre son identité nationale, vieille d’au moins deux millénaires.

On tombe alors dans le redoutable creuset de la critique de la gauche. Tout s’y mêle : la haine de l’homme blanc, la colonisation, le génocide culturel, les mœurs dégradées et dégradantes de l’Occident, les juifs  le sionisme, la cause palestinienne, etc. La liste est loin d’être exhaustive.

Certaines revendications qualifiées d’indigiénistes sont proprement stupéfiantes, ce qui ne les empêche pas d’être à l’honneur sur certains plateaux de télévision.

Le sujet principal du présent ouvrage est de mettre à nu le travail de sape des salafistes qui, comme le disait l’actuel président du Sénat, M. Gérard Larcher, campent aux perdes des mairies…

Selon l’auteur, les salafistes sont particulièrement dangereux car ce sont eux qui génèrent des djihadistes. Il est vrai que même si l’auteur classifie les différentes méthodes, les différentes affiliations des uns et des autres, leur objectif ultime reste désespérément le même : l’islamisation, la prise du pouvoir dans certaines zones, pour commencer, et l’imposition de la shari’a, la loi religieuse musulmane. Or, la France est un vieux pays de grande tradition judéo-chrétienne dont l’ADN ne peut pas supporter une telle chose.

Ce qui est aussi frappant, et l’auteur le souligne, c’est l’absence de certaines autorités islamiques qui ne condamnent que du bout des lèvres de tels projets. C’est comme si ces mêmes personnalités redoutaient d’être mal perçues par leurs mandants. Mais dans ce cas, la situation serait vraiment très préoccupante.

L’auteur de cet ouvrage consacre un important chapitre à la définition même d’un acte terroriste et aux instruments juridiques censés le combattre. Et là nous nous trouvons dans une situation très complexe car il ne s’agit plus d’un engagement de deux armées ennemies, reconnaissables à leurs uniformes, leurs méthodes et leurs objectifs, ici c’est la terreur, la violence aveugle qui, si l’on y regarde bien, ne datent pas d’hier.

Les chefs mongols et d’autres potentats orientaux comme Tamerlan faisaient régner la terreur, dont le terrorisme, afin que des villes attaquées se soumettent sans combattre, à la seule vue de ce que les cités réfractaires avaient dû endurer…

C’est, au fond, la philosophie du terrorisme, frapper partout, à tout moment, sans considération aucune concernant l’identité des victimes : c’est la violence aveugle, terrifiante.

C’est bien ce que recherchaient en mai 1971 les terroristes japonais, recrutés par le FPLP à l’aéroport de Lod, en Israël. L’auteur rappelle aussi la difficulté des gouvernements occidentaux à s’entendre sur la définition du terrorisme, sans même parler des moyens de le combattre.

Les Etat occidentaux sont des Etats de droit, ils sont les mains liées par la législation en vigueur dans leurs pays respectifs et doivent rendre des comptes, toutes choses dont ne s’embarrasse guère le terroriste : son but est de faire parler de la cause qu’il défend à une époque où les média gagnent sans cesse du terrain.

Songez que nombre de gouvernements regardent immédiatement CNN ou BFM tv pour se tenir informés, avant même que leurs propres services aient pu collecter des renseignements fiables… Que ce soit du temps de Tamerlan ou, plus proches de nous, les révolutionnaires russes, ou d’autres mouvements de libération nationale (le FLN, LIRA, etc) les actes de terreur ont été utilisés pour l’intimidation ou la soumission d’un adversaire.

Les démocraties occidentales ne sont plus aussi désarmées face aux méfaits des terroristes. Il existe à présent des collaborations entre les différents services européens, en lien avec la CIA et le Mossad. On parle de plusieurs dizaines de tentatives d’attentats déjoués par les services auxquels l’auteur consacre toute la seconde partie de son livre.

Mais déjà, la lecture du chapitre intitulé Les territoires perdus de la République sur le terrain … et dans les têtes, est proprement stupéfiante. La richesse de la documentation, la citation de sources de première main nous fournissent une idée de la réalité sur le terrain. En effet, les salfistes ne semblent pas vouloir se replier sur leur pré carré. Cela se constate par exemple aussi bien sur les lieux de travail que dans les entreprises où des salles sont demandées pour la prière ou les entraînements sportifs. Le communautarisme s’affiche sans pudeur.

Mais le combat est asymétrique.. Si vous touchez à la pratique religieuse, vos adversaires diront que vous vous en prenez aux libertés publiques, voire aux droits de l’homme. La France est à la croisée des chemins.

De vrai, l’Europe et la France auraient pu être une chance pour cette religion islamique. Après tout, un penseur comme Averroès, bon musulman s’il en est, avait composé toute une théorie des relations entre la philosophie grecque et la religion musulmane.

Il pouvait, en sa qualité de penseur, être considéré comme l’un des pères spirituels de l’Europe comme Thomas d’Aquin , Albert le Grand, Maimonide, etc…

Mais lui ne connaissait pas de zèle convertisseur, il préférait de fines interprétations de la philosophie aristotélicienne…
A bon entendeur salut !

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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