Le dernier message audio du porte-parole de Daech, Abu Mohammed al-Adnani, laisse entrevoir un changement de stratégie de la part du mouvement. Conscient de ses revers sur le terrain, le groupe djihadiste prévient que de toute manière le combat se poursuivra sous une autre forme.

Selon le Washington Post, qui relaie l’info, le style du message a sensiblement changé par rapport à l’habitude. Certes, al-Adnani appelle encore ses sympathisants à frapper des cibles occidentales. Mais le ton défensif du discours reconnaît aussi la fin possible du califat et la perte éventuelle de villes importantes.«Même si nous perdons Raqqa ou Syrte (en Libye), nous ne serons pas vaincus.» Et de poursuivre: «Croyez-vous avoir gagné parce que vous avez tué un ou deux de nos chefs ? C’est une fausse victoire.»
 
Pour Le Monde , le projet territorial et étatique de l’EI est purement abandonné. «Nous ne combattons pas pour défendre une terre, ni pour la libérer ou la contrôler», déclare le porte-parole de Daech. A son tour, le journal y voit un «aveu de faiblesse inhabituel de la part de l’organisation, qui admet ainsi implicitement un reflux sur les champs de bataille et renonce à son aura d’invincibilité».

Pour autant, le monde n’est pas débarrassé de Daech. Son combat va se renforcer dans les actions de terrorisme pur et dur. Fouad Hussein, le directeur de cabinet du président kurde Massoud Barzani, parle d’une mutation. «L’EI va se transformer d’un Etat terroriste en un mouvement terroriste», précise Fouad Hussein au journal britannique The Independant.
 
D’ailleurs, les attentats suicides ont émaillé tout le mois de mai à Bagdad. Le journal Le Monde parle d’une «surenchère terroriste» et estime que, depuis fin 2015, entre cinquante et cent attentats sont perpétrés chaque mois entre la Syrie et l’Irak.

Géopolis 

Une bataille contre Daech peut en cacher une autre

L’attention internationale est aujourd’hui concentrée sur deux offensives menées contre Daech, le bien mal-nommé « Etat islamique »: l’une en territoire syrien visant à la fois Raqqa et Manbij, l’autre en territoire irakien en direction de Fallouja. Il est cependant possible que la plus importante bataille en cours se déroule ailleurs en Syrie, là où les partisans de Baghdadi s’efforcent de s’emparer du bastion révolutionnaire d’Azaz.

La ville d’Azaz est tombée aux mains de l’Armée syrienne libre à l’été 2012, dans le cadre de l’avancée révolutionnaire qui avait conduit à la perte par le régime Assad d’une partie de la ville d’Alep. Azaz avait été surnommée « le cimetière des blindés », du fait du nombre de carcasses de chars de l’armée gouvernementale qui en jonchaient les rues, comme j’avais pu le constater moi-même en juillet 2013. Azaz et la localité plus au sud de Marea constituaient pour l’ASL un couloir indispensable entre les zones d’Alep contrôlées par les révolutionnaires, d’une part, et la frontière turque, d’autre part.

En janvier 2014, les insurgés anti-Assad avaient lancé leur « deuxième révolution », cette fois contre Daech, progressivement expulsé hors d’Alep et de sa région. Une ligne de front s’était stabilisée entre ASL et jihadistes à l’est d’Azaz. Mais les révolutionnaires étaient affaiblis par le fait qu’ils combattaient sur deux fronts, d’une part contre Daech sur cette ligne, d’autre part contre le régime Assad et les milices (pro) iraniennes dans toute la province d’Alep.

La situation s’est encore aggravée pour les révolutionnaires syriens, ces derniers mois, avec l’ouverture d’un troisième front, celui des milices kurdes du PYD, affiliées au PKK, qui progressent depuis leur bastion d’Afrine, à l’ouest d’Azaz. Cette progression des partisans du PKK est coordonnée avec l’offensive russe menée contre les quartiers révolutionnaires d’Alep, dans l’espoir d’une reconquête par Assad et ses alliés de la deuxième ville du pays. Ces diverses offensives ont été menées à un coût exorbitant pour la population civile.

Malgré ce combat sur désormais trois fronts, les forces révolutionnaires étaient parvenues au début d’avril 2016 reprendre à Daech la localité Al-Ra’i, à l’est d’Azaz. Ce verrou essentiel à la frontière turque est le principal corridor d’accès des jihadistes étrangers vers le territoire du supposé « califat » d’Abou Bakr al-Baghdadi. A la différence des batailles en cours à Falluja et Manbij, cette percée révolutionnaire sur Al-Ra’i n’avait fait l’objet que d’une couverture médiatique minimale. Daech avait d’ailleurs compris le risque d’une telle avancée révolutionnaire et avait mobilisé des forces importantes pour bouter l’ASL hors d’Al-Ra’i quelques jours plus tard.

Cet abandon des révolutionnaires syriens n’était qu’un lâchage de plus dans une très longue série. Il était incompréhensible du point de vue de la prévention du recrutement jihadiste international. Mais il s’avérait cohérent avec une politique américaine privilégiant la branche syrienne du PKK pour mener à partir de la ville-martyre de Kobané une offensive majeure contre Raqqa, la « capitale » de Daech en Syrie, où d’ailleurs « l’Etat islamique en Irak et en Syrie » avait été proclamé dès avril 2013. Cette offensive aujourd’hui en cours se double d’un mouvement vers Manbij depuis la rive gauche de l’Euphrate.

Les révolutionnaires syriens paient triplement le prix d’une telle offensive : privés de soutien américain lors de leur propre offensive contre Daech en avril 2016, ils sont coupés de la ville d’Alep et soumis à un assaut jihadiste sans précédent. Sur la carte ci-dessous, établie le 30 mai par South Front, on voit que Daech serait parvenu à couper la route entre Azaz et Marea, ce qui place les révolutionnaires dans une position très délicate, à défaut d’être désespérée.

Syria_Battle_for_Azaz_May_30_3PM

Médecins Sans Frontière opère un hôpital à Azaz, une ville ciblée en février 2016 par l’aviation russe et/ou gouvernementale. L’ONG a néanmoins poursuivi son action auprès d’une population en très grande détresse. Sa responsable locale témoignait tout récemment à une chaîne de télévision turque de la pression que l’offensive jihadiste fait monter sur les civils piégés dans Azaz. On parle de dizaines de milliers de déplacés ainsi acculés dans cette poche assiégée désormais de toutes parts.

L’offensive de Daech contre Azaz est le pendant de la bataille menée par Assad, Poutine et l’Iran contre le symbole révolutionnaire d’Alep. Une fois de plus, jihadistes et loyalistes se retrouvent unis contre un ennemi commun: les forces insurgées à la fois contre Assad et Daech. Plus généralement, le calvaire d’Azaz renvoie à l’abandon des milices arabes et sunnites, pourtant les seules capables de tenir tête à Daech, et surtout de contrôler durablement un territoire libéré des jihadistes.

Le fait que des unités arabes et sunnites sont mises en avant à titre de propagande par les Kurdes dans leur offensive contre Raqqa et Manbij ne change rien à la maîtrise de cette poussée par le PKK et sa branche locale. La dynamique est la même, en pire, pour les milices chiites engagées aux côtés du gouvernement irakien à Fallouja. La résistance des révolutionnaires syriens à Azaz conte Daech est peut-être la plus importante des trois batailles en cours contre les partisans de Baghdadi, car d’elle dépend l’avenir d’une alternative sunnite crédible au monstre jihadiste.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires