Une main tendue qui fait beaucoup de bruit. Dimanche, John  Kerry a affirmé qu’«au final, il faudra négocier» avec le président syrien. «Nous avons toujours été pour les négociations dans le cadre du processus (de paix) de Genève I (en 2012)», a déclaré le chef de la diplomatie américaine dans une interview sur CBS. Une position rapidement nuancée par son entourage: il n’y a aucune modification de la position américaine et il «n’y a pas d’avenir pour un dictateur brutal comme Assad en Syrie», ont précisé ses collègues.

Infréquentable ou indispensable?

Mais ces déclarations ont rallumé le débat sur l’opportunité de parler avec le président syrien, mis au ban depuis le début de la guerre qui a fait 215.000 morts en quatre ans. «Nous devons attendre les actes et à ce moment-là on décidera», a répondu Bachar Al-Assad à une chaîne iranienne.

Bachar Al-Assad a sans doute gagné une première bataille: de dictateur infréquentable, il est devenu incontournable. Car depuis la montée en puissance de Daesh, les Occidentaux ont changé leur fusil d’épaule. Pour beaucoup, un dialogue avec le dictateur syrien est une étape sine qua non pour relancer la paix au Moyen-Orient. Pour François Burgat, directeur de recherche à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, «si «négocier» ne faisait pas partie du vocabulaire jusqu’ici, le vrai tournant date d’août 2014. Et le lancement d’une coalition arabo-occidentale contre Daesh. A époque, les Etats-Unis expliquent que la chute de Bachar Al-Assad est devenue secondaire par rapport à leur priorité: contenir Daesh. Le régime syrien a depuis connu une embellie puisque les Occidentaux sont entrés en conflit avec le seul groupe qui menaçait Assad.»

Les attaques terroristes de Paris ont rebattu les cartes

Dans La Tribune de Genève, Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, souligne que ce revirement était calculé: «Bachar Al-Assad fait peu contre Daesh dans le but de se construire une posture de seul rempart possible contre le terrorisme islamiste. Et cela fonctionne plutôt rapidement: nombre de signes montrent que les Occidentaux et même les pays arabes sont en train de rétablir le dialogue avec Bachar el-Assad. La Tunisie a à nouveau une représentation dans la capitale syrienne, Damas a même rouvert une ambassade au Koweït.» En France, les attaques terroristes de Paris ont rebattu les cartes. Jacques Myard, député UMP, participant d’un voyage controversé en Syrie, estime que Bachar al-Assad est un acteur «incontournable» de ce conflit et que la France, «campe sur des postures pseudo-morales» dans ce dossier. Une position partagée par de nombreux politiques français, de François Fillon à Rachida Dati.

«Le régime syrien tue dix fois plus que Daesh»

Mais pour François Burgat, co-auteur de Pas de printemps pour la Syrie (aux éditions La Découverte), cette main tendue aura du mal à déboucher sur la paix. «Il est difficile d’imaginer un processus politique aujourd’hui sans un rééquilibrage du rapport de force militaire entre le régime, sous perfusion iranienne, et l’opposition, plus faible et divisée. Or, les Etats-Unis se sont opposés à la livraison d’armes sophistiquées notamment antiaériennes.»

Pire, soutenir le dictateur sanguinaire ne ferait que raviver la division du pays. «L’attitude américaine est basée sur une erreur d’analyse: l’attaque s’est concentrée sur Daesh, alors que le régime syrien tue dix fois plus que l’organisation Etat islamique. Nous partons en guerre parce que deux ou trois occidentaux ont été tués devant les caméras. Le vrai danger, c’est que les groupes extrémistes entrent en synergie avec des populations sunnites qui se sentent laissées pour compte en Syrie, en Irak, au Yémen… Si on cautionne Bachar Al-Assad, on met de l’huile sur le feu. On fonce sur le chiffon rouge comme dans une corrida…»

Oihana Gabriel – 20MINUTES

 

 

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