De gauche à droite, George Henry Hall (en)Harold W. Dodd (en)Richard Law (en)Sol Bloom (en)Osbert Peake (en).  Les États-Unis souhaitaient dans un premier temps que la conférence se tienne à Ottawa mais le Canada décline catégoriquement l’éventualité et ne prendra pas part à la conférence qui se déroulera, loin de tout débordement possible, aux Bermudes à partir du  tandis que le Ghetto de Varsovie se soulève

Avril 1943. Conférence des Bermudes : Une farce tragique !              

                              

Par Marc-André Charguéraud

 

Pour les Alliés réunis pendant plusieurs jours la mission de la Conférence n’était pas de sauver les victimes de la terreur nazie, mais de faire semblant de répondre aux pressions des opinons publiques. Pour les millions de Juifs pris dans les filets meurtriers des nazis, les Bermudes n’ont été qu’une moquerie cruelle.      

 

Pendant la Conférence, le rabbin Israël Goldstein, du Synagogue Council of America, fit un diagnostic réaliste : « La mission de la Conférence n’était pas de sauver les victimes de la terreur nazie, mais de sauver notre Département d’Etat et le Foreign Office britannique », qui cherchaient l’un et l’autre un moyen de désamorcer la dénonciation populaire de leur inaction. [1]

Les Parlements alliés emboîtèrent le pas de l’opinion publique. Le 9 mars le Sénat, et le 18 mars 1943 la Chambre des Représentants adoptèrent la même résolution condamnant « les atrocités infligées aux populations civiles des pays occupés par les nazis et particulièrement les massacres de masse des hommes, des femmes et des enfants juifs. » [2] Le 18 mars 1943, en Angleterre où l’émotion était encore plus intense, les Communes donnèrent « leur soutien le plus complet à des mesures immédiates d’aide et d’asile temporaire aux réfugiés, aussi généreuses que possible dans le cadre des contraintes des opérations militaires. » [3]  Ces déclarations réconfortantes ne présupposaient aucun engagement. Elles ne proposaient aucune mesure concrète ou, ce qui revenait au même, subordonnaient toute action pratique aux nombreuses contraintes militaires.

Pour tenter d’apaiser une opinion publique désorientée, a-t-on le droit de donner un espoir fou aux désespérés, aux condamnés, aux mourants mêmes, alors que l’on sait parfaitement que l’on ne fera rien ? Richard Law, représentant anglais à la Conférence, ne disait-il pas : « Les réfugiés et les personnes persécutées ne doivent pas être trompées (…) et avoir l’espoir qu’une aide va leur arriver, quand en fait nous sommes incapables de leur apporter le moindre secours immédiat. » [4] A quoi Myron Taylor ajoutait avec une pointe de cynisme, dans une lettre à Hull du 30 avril 1943 : « La Conférence des Bermudes fut, comme je l’avais pensé, parfaitement inefficace. »

Le manque de volonté fut patent. Les délégués américains et anglais avaient reçu des instructions si strictes qu’ils ne pouvaient rien décider : Défense de modifier les lois sur l’immigration, de négocier avec les puissances de l’Axe, d’échanger des prisonniers, de lever le blocus, d’apporter des secours et d’utiliser des navires alliés pour le sauvetage rapporte l’historien Monty Penkower. [5]

A l’exception d’une déclaration d’intention, la Conférence ne prit que deux décisions : l’établissement de camps en Afrique du Nord pour les réfugiés et la réactivation du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, né d’une autre conférence-mirage, celle d’Evian en juillet 1938. Ces deux décisions mineures montrent bien l’échec de la conférence des Bermudes. Il fallut attendre un an pour qu’un camp soit établi en Afrique du Nord et il ne reçut que 630 personnes. Quant au Comité intergouvernemental réorganisé et financé, c’était paradoxalement une organisation de sauvetage dont le mandat excluait toute opération de sauvetage. Son programme consistait à apporter des secours à ceux qui, ayant pu fuir les pays occupés par les nazis, étaient déjà sauvés.[6]

Dans ces conditions, on comprendra aisément les raisons du secret qui entoura les délibérations et pourquoi les conclusions de la Conférence ne devaient pas être publiées. Le Christian Science Monitor nota qu’il s’agissait avant tout d’une réunion politique et constata l’absence de ceux qui étaient le plus au courant de la situation catastrophique des Juifs d’Europe :  la Croix-Rouge, l’American Friends Service Committee, et le Joint Distribution Committee. [7] On leur demandait d’intervenir sur le terrain, mais on refusait de les écouter. Le scénario d’Evian se répétait. Mais alors qu’à Evian il s’agissait de recevoir des réfugiés juifs arrivant du Reich, aux Bermudes c’est de sauvetages de millions de Juifs dont il est question.

Certains délégués firent pendant la conférence des remarques lourdes de signification. Le sénateur Lukas, constatant que si beaucoup de Juifs étaient soustraits aux nazis, il n’y aurait pas d’endroit où les installer, George Backer répliqua : « Si 100.000 Allemands se rendaient, nous trouverions bien un endroit pour les recevoir. »[8]

En pleine page du New-York Times daté du 4 mai 1943, le groupe Bergson dénonça la «farce» des Bermudes, sous le  titre en gros caractères[9] : «Pour les 5.000.000 de Juifs pris dans les filets meurtriers des nazis, les Bermudes n’ont été qu’une moquerie cruelle», et il s’indignait plus bas : «Victimes infortunées et condamnées de la tyrannie de Hitler ! Pauvres hommes et pauvres femmes de bonne foi de toute la terre ! Vous avez caressé une illusion. Vos espoirs ont été vains. Les Bermudes n’ont pas été l’aube d’une nouvelle époque, d’une époque d’humanité et de compassion où la pitié se transforme en actes. Les Bermudes ont été une moquerie et une plaisanterie cruelles. »[10]

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2019. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

[1] Wyman David, L’Abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale. PARIS. Flammarion, 1987. p. 165.

[2] Lipstadt Deborah, Beyond Belief: The American Press & the Coming Holocaust,1933-1945, New York, The Free Press, 1994. p. 203.

[3] Feingold  Henry, The Politics of Rescue, The Roosewelt Administration and the Holocaust, 1938-1945, New Brunswick, N.J.Rutgers University Press, 1970 p.177.

[4] Ibid. p. 53.

[5] Monty Penkower  The Efforts of the American Jewish Congress and the World Jewish Congress in the Years of the Holocaust, in Finger Seymour Mawell dir. American Jewry and the Holocaust. New York, Holmes Meier, 1984,. annexe 4-1, p. 6.

[6] Feingold, op. cit. p. 214.

[7] Lipstadt, op. cit. p. 213.

[8] Feingold, op. cit. p. 205.

[9] Lipstadt, op. cit. p. 213, expression de l’éditorialiste Freda Kirchway.

[10] Friedman Saul, No Haven for the Oppressed : United States Policy towards Jewish Refugees, 1939-1945. Detroit, Wayne University Press, 1973, p.158.

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Madredios

Le monde entier s’en tape des juifs.
Alors, arrêtons de nous lamenter et tapons-nous en du monde entier.
on ne peut compter que sur nous-même.

דוב קרבי dov kravi

Raison pour laquelle les  » antisionistes  » sont de réelles ordures.

Élie de Paris

La photo est malheureusement explicite sur l’état d’esprit de ceux-là, venus au soleil et à la plage, pour parler d’un génocide en cours.
Ils sont hilares…
Certainement qu’elle fut à charge pour eux quand ils ont comparu devant le Juge.
_ » nous étions consternés, Seigneur…
-_ oui, Je vois…
Et Je ferai en sorte que Mes enfants n’auront plus besoin de vous et de vos gouvernements.
En fait, vous avez totalement raté l’examen. Votre sort est entre leurs mains. S’ils pardonnent…..
Mais Moi, M’avez-vous demandé pardon, d’avoir {laissé} massacré Mes enfants ? « 

Élie de Paris

Qu’on se le dise, le jour du combat, nous n’auront qu’une seule aide. Tous se défileront en regardant ailleurs.
Peut-être même qu’ils se réjouiront, en se congratulant, et se felicitant d’avoir imposer des frontières vulnérables, embargoter ici, condamner là, fermer les yeux sur les engagements non tenus…
Finalement, la seule aide sera, bien sûr, celle du Ciel.

Jg

Rien n a changé .L état Juif doit se défendre seul .