Tandis que l’hémisphère Nord se prépare à affronter la pandémie à l’automne, la progression de la grippe A(H1N1) dans l’hémisphère Sud permet de mieux estimer l’agressivité du nouveau virus. En Nouvelle-Calédonie, le bilan était, mercredi 26 août au matin, de 5 morts directement provoquées par le virus sur une population de 250 000 habitants, dont sans doute plus de 35 000 avaient contracté le virus…
D’accord, pas d’accord ? Réagissez à l’article que vous venez de lire
Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 30 jours offerts
Deux morts suspectes à la Réunion

Deux morts, « possiblement liéss » à la grippe A(H1N1) ont été enregistrées à la Réunion, a annoncé mercredi 26 août la préfecture. Il s’agirait dans ce cas des deux premiers décès à la Réunion liés à l’épidémie de grippe H1N1.

Les personnes mortes, âgées de 90 ans et 60 ans, souffraient de lourdes pathologies chroniques associées à un syndrome grippal.

Selon des estimations rendues publiques mercredi, 22 500 personnes ont été touchées par l’épidémie dans le département du 5 juillet au 23 août, sur une population de 800 000 habitants.
Sur le même sujet
Six modules pédagogiques sont diffusés sur Internet à partir du 25 août.

A Buenos Aires, en Argentine, les rames de métro sont régulièrement désinfectées pour tenter d’endiguer la pandémie de grippe A(H1N1).

Antoine Flahault, professeur de médecine et spécialiste de la grippe, livre au Monde son analyse des dernières données épidémiologiques et bat en brèche les idées reçues sur les groupes à risque, les stratégies de vaccination et d’utilisation du Tamiflu.

Que disent les dernières données épidémiologiques sur la virulence du H1N1 ?

La virulence d’une épidémie de maladie émergente – c’est-à-dire son agressivité – est l’un des paramètres les plus difficiles à évaluer. Que mesurer ? Les complications de la grippe, les hospitalisations, ou la mortalité ? Ce dernier indicateur est le moins dépendant de paramètres nationaux comme la qualité des systèmes d’information, le dispositif hospitalier, etc. Mais les choses restent complexes : il y a trois façons de mourir de la grippe. La première, en voie de disparition dans les pays développés, est la surinfection bactérienne. La deuxième est une pneumopathie virale qui entraîne un syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA), et la mort dans 50 % à 60 % des cas. Dans cette situation de « mortalité directe », c’est le virus qui tue. La troisième cause, de loin la plus fréquente, est l’aggravation de sévères maladies préexistantes. Cette mortalité, qui touche surtout les personnes âgées, est devenue presque incompressible depuis environ vingt ans. Pour la grippe saisonnière, elle est d’environ un décès pour 1 000 infections dans les pays riches.

Pour la grippe A, laquelle de ces mortalités est-elle à craindre ?

On entend souvent dire que la grippe A aurait tendance à tuer davantage les jeunes et moins les personnes âgées. Mais c’est peut-être une déduction un peu hâtive.

Dans le cas des grippes saisonnières, les décès de troisième type – ceux qui touchent surtout les personnes âgées – constituent une mortalité « invisible » sur le moment. Elle n’est détectée, dans les statistiques, souvent que plusieurs mois après l’épidémie. Chaque année, après le passage de la grippe saisonnière, la mortalité est augmentée d’environ 5 000 à 6 000 personnes. Pour cette forme particulière de mortalité, les effets de la grippe pandémique ne devraient pas être inférieurs à ceux de la grippe saisonnière. Mais il est trop tôt pour les détecter.

Pourtant, 50 % des cas de grippe A touchent des individus de moins de 20 ans…

C’est vrai, mais ça l’est aussi pour la grippe saisonnière ! En France, 50 % des cas de grippe saisonnière surviennent également chez les moins de 20 ans.

Il n’y a donc pas de catégories de personnes « à risque » ?

La mortalité que l’on « voit » aujourd’hui est essentiellement la mortalité directe, due à un SDRA. Or ces décès semblent survenir de manière quasi aléatoire dans la population touchée par le virus, donc plus souvent chez les jeunes. Dans le cas de la grippe saisonnière, très peu de cas de SDRA sont rapportés et l’on ne peut pas dresser des statistiques pour dire que tel groupe est plus exposé que tel autre. Les Centres de contrôle et de prévention des maladies d’Atlanta ont publié cet été la description de dix cas de grippe A morts par SDRA, dont neuf étaient obèses. Cette obésité sévère pourrait représenter un facteur de risque potentiel, ce qui était inconnu auparavant. De la même façon, 13 % des décès par grippe A aux Etats-Unis sont survenus chez des femmes enceintes, la plupart étant mortes de SDRA. Elles pourraient aussi représenter une population à risque.

Quelle est la fréquence de cette mortalité directe, par SDRA ?

Pour la grippe saisonnière, on peut l’estimer à un cas par million, voire moins. En France, nous avons en moyenne 5 à 6 millions de cas de grippe saisonnière chaque année, et, à ma connaissance, pas plus de 5 à 6 cas de décès par SDRA dus à cette maladie.

Pour la grippe A, nous avons aujourd’hui des situations mieux documentées. En Nouvelle-Calédonie, lorsqu’on en était à 3 cas (5 cas sont désormais documentés) le gouvernement estimait les cas de grippe A à 20 000 cas – donc sans doute environ 30 000 infections, en comptant les cas « silencieux ». A l’île Maurice, on a eu 7 décès en service de réanimation sur 15 000 cas déclarés, mais dont mes contacts avec le milieu médical de l’île nous font penser qu’ils sont plus nombreux, sans doute 50 000 cas, donc 70 000 infections. On serait en face d’une maladie dont la mortalité directe – un cas pour 10 000 infections – serait certes très rare mais malgré tout 100 fois supérieure à celle de la grippe saisonnière. Nous venons de publier cela dans PLoS Currents Influenza.

Une vaccination de masse vous semble-t-elle appropriée ?

On n’a encore jamais tenté d’utiliser le vaccin comme barrière contre une épidémie de grippe, pas même saisonnière. A l’exception du Japon dans les années 1970 à 1980 et aux Etats-Unis en 1976.

La seule stratégie qui aujourd’hui bénéficie d’une solide expérience dans le domaine de la grippe est celle de la protection des personnes à risque. La connaissance de ce virus pourrait modifier la définition de ces groupes : toujours et avant tout les populations âgées ou vulnérables, les professions de santé et enfin les nouvelles catégories que j’évoquais : les grands obèses et les femmes enceintes.

Il n’y aurait donc pas de raisons de modifier cette stratégie ?

Hélas si, il y aurait beaucoup de raisons, théoriques, que nous venons de publier dans BMC Infectious Diseases. Une stratégie de masse, immunisant un tiers de la population mondiale, aurait permis de barrer la route à la pandémie. Mais je ne pense pas qu’on puisse proposer une telle stratégie à partir des seuls résultats de modèles mathématiques, sans avoir essayé de tester sa validité en population. Ce serait une sorte d’aventure d’essayer de se lancer dans une stratégie totalement innovante vis-à-vis de la grippe A alors qu’elle n’a pas été seulement tentée sur la grippe saisonnière. On pourrait être confronté à des effets secondaires ? On ne peut pas l’exclure. Après une campagne de vaccination de masse, l’apparition de maladies dans les semaines qui suivront risquerait d’être imputée même à tort à la vaccination. On a connu cela pour le vaccin contre l’hépatite B lorsqu’étaient survenus des cas de sclérose en plaques : personne n’est parvenu à trancher sur leur origine. Cela a entraîné un discrédit durable sur la vaccination.

Que faire du Tamiflu ?

On entend qu’il devrait être réservé aux cas graves ou compliqués, ce qui m’étonne un peu, car les seuls essais cliniques disponibles n’ont jamais porté sur la prévention des complications ou de la mortalité. Son utilisation a surtout une visée collective, car il est efficace pour faire baisser la charge virale, la durée des symptômes et donc la circulation du virus dans la population. Le Tamiflu est aussi efficace en traitement préventif. Il y a encore peu de résistances, c’est donc le moment de l’utiliser, car après il risque d’être durablement inutile.

Propos recueillis par Stéphane Foucart et Hervé Morin

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires