C’est une partie de poker menteur qui dure depuis quatre ans et demi. On l’appelle « réconciliation interpalestinienne ». Plus la mise est élevée, plus les participants ont tendance à bluffer.
La dernière levée s’est jouée le 24 novembre au Caire. Ce jour-là, à quelques kilomètres de la place Tahrir, alors en pleine convulsion, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Meshaal, ont donné l’impression d’enterrer la hache de guerre. Formation d’un gouvernement d’unité nationale, poursuite de la trêve en vigueur en Cisjordanie et à Gaza, fusion des services de sécurité des deux camps, intégration des islamistes dans l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et, enfin, élections présidentielle et législatives d’ici au mois de mai : pas un seul point en litige ne manquait à l’accord de partenariat signé entre les frères ennemis palestiniens, à couteaux tirés depuis que les islamistes se sont emparés de la bande de Gaza, en juin 2007.

Le Hamas s’est même dit prêt à se « concentrer sur la résistance populaire et pacifique » dans le but d’établir un « Etat palestinien sur les territoires occupés en 1967, avec Jérusalem (-Est) pour capitale », deux formulations qui contredisent implicitement la vulgate du mouvement, arc-boutée sur la lutte armée et la libération de la Palestine historique, Israël compris.

A l’issue de leur entrevue, les deux dirigeants ont rivalisé d’optimisme, comme ils l’avaient fait au mois de mai, après une première rencontre qui n’avait été suivie d’aucun effet. « Il n’y a plus de différences entre nous », a déclaré Mahmoud Abbas. « Nous avons tourné une page importante sur tout ce qui touche à la nation palestinienne », a renchéri Khaled Meshaal. Et de fait, le climat de la discussion a paru étonnamment détendu. Tandis qu’Abbas cédait sur la forme et le protocole, en acceptant une rencontre sur un pied d’égalité avec sa bête noire, Meshaal, vexé de ne pas avoir été invité à siéger au côté du président au mois de mai, a néanmoins consenti à lâcher du lest sur le fond.

« C’est tout le paradoxe de la situation actuelle, affirme un diplomate palestinien. Il y a une vraie convergence politique et pourtant on n’a jamais été aussi divisé. » La mise sur pied du gouvernement d’unité par exemple, premier jalon de la réconciliation, bute sur l’identité du premier ministre, Meshaal s’opposant au maintien de l’actuel chef du gouvernement, Salam Fayyad, favori des chancelleries occidentales.

Le Hamas reste impopulaire à Gaza

Mais davantage que des deux hommes, les blocages proviennent de leurs partis respectifs. Conscient de son impopularité dans la bande de Gaza, toujours soumise à un blocus paralysant, le Hamas rechigne à remettre en jeu les sièges qu’il avait remportés lors des élections législatives de janvier 2006. Quant au Fatah, même s’il estime avoir moins pâti de la division que son rival, il redoute la guerre des chefs qui pourrait résulter du refus de Mahmoud Abbas de se représenter à la présidentielle et de l’absence de candidat de consensus pour lui succéder.

La probabilité que les deux mouvements parviennent à fondre leurs milices en un seul appareil de sécurité paraît également très faible. « Ni le Hamas ni le Fatah ne semblent prêts à partager le pouvoir dans leurs fiefs respectifs », déclare Omar Shaban, un analyste politique basé à Gaza.

Pour contourner ces obstacles, le Fatah suggère d’organiser les élections avant d’entamer la réconciliation. Inacceptable pour les islamistes, qui veulent être certains d’entrer dans l’OLP avant de rendre les clés de leur place forte gazawie. « Le calendrier fixé par Mahmoud Abbas est intenable », a déclaré fin novembre Mahmoud Zahar, le chef du Hamas dans l’enclave côtière palestinienne, qui campe sur une ligne plus radicale que Khaled Meshaal.

Deux éléments pourraient néanmoins sauver le processus de réconciliation d’un fiasco annoncé. Le premier est l’avènement au pouvoir en Egypte des Frères musulmans, que certains analystes créditent d’une influence modératrice sur le Hamas. « La confrérie pourrait pousser le Hamas à aller aux élections en convainquant ses responsables qu’ils ont besoin de relégitimer leur pouvoir et que la vague verte qui submerge la région les portera eux aussi », explique un diplomate étranger.

L’autre inconnue est l’attitude de Mahmoud Abbas. En 2006, il avait maintenu les législatives contre l’avis de ses conseillers, qui s’alarmaient de l’état d’impréparation du Fatah. Passablement têtu, le patriarche palestinien pourrait être tenté d’imposer à son parti la tenue des élections afin de sortir de l’Histoire par la grande porte. Après avoir assisté à la partition des territoires, il pourrait rêver de présider à leur réunification.

Benjamin Barthe Le Monde

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