À l’occasion des dix ans de la mort de Benny Lévy, sa femme retrace la vie du chef révolutionnaire devenu juif orthodoxe.
Il y a d’abord ce très beau titre : À la vie, choisi par Léo Lévy, épouse de Benny Lévy, pour ce livre consacré à celui dont elle partagea le quotidien pendant près de cinquante ans. Un « à la vie à la mort » écourté, comme si le décès de son mari, en 2003, n’avait rien brisé, rien interrompu. Un « à la vie » qui sonne aussi comme un « au revoir », sûr des retrouvailles. Ou peut-être est-ce l’expression d’un merci pudique pour la vie écoulée, pour l’improbable parcours qui fut celui de Benny Lévy.

Né dans une famille juive peu fortunée du Caire en 1945, contraint d’émigrer à Bruxelles en 1956, il intègre Normale-Sup neuf ans plus tard, où il prend la tête d’un groupuscule maoïste, la Gauche prolétarienne. C’est pendant ces années militantes qu’il rencontre Jean-Paul Sartre, dont il devient le secrétaire à partir de 1973, pendant sept ans. Pourtant, dès 1978, l’athée proclamé, profondément marqué par la lecture de Lévinas, se lance dans l’apprentissage de l’hébreu et l’étude du Talmud. Une vingtaine d’années plus tard, il s’installe avec sa famille en Israël où il mènera la vie d’un juif orthodoxe et fondera l’Institut d’études lévinassiennes.

Léo Lévy raconte cette histoire, de l’enfance à la mort, avec des phrases souvent simples, brèves, juxtaposées. Comme pour aller à l’essentiel, éviter les phrases obscures qui alimenteraient des « projections fantasmatiques ». Tout en restant extrêmement pudique, elle exhume de minces détails du quotidien, des désirs à peine formulés, qui viennent relier, tels des fils invisibles, différents moments de leur vie commune.

Mais ces fils sont toujours fragiles, sur le point de tomber en poussière. Léo Lévy ne s’en cache pas. Dans ce récit de vie épuré, les questions qui ouvrent sa préface semblent aussi adressées à elle-même.

« Le chef révolutionnaire sans nom … »>Article original pouvait-il vraiment du chaos des faits et des discours faire émerger une vision et une visée claires ? » écrit-elle ainsi dès les premières lignes. Elle ne déflore pas plus l’énigme de cette vie partagée à deux, malgré ses remous : si leur rencontre fut étrange, c’est « la constance malgré les turbulences » qui est « plus étrange encore ».

Ce petit livre jaune, publié aux éditions Verdier, à qui Benny Lévy confia l’essentiel de son œuvre, laisse le lecteur avec toutes ses questions. La trajectoire philosophique de celui qu’on connaît aussi sous le pseudonyme de Pierre Victor est à peine effleurée. Ces pages ne suffiront donc à ébranler les opinions déjà tranchées sur Benny Lévy. Elles consignent toutefois un intrigant parcours « de Moïse à Moïse en passant par Mao », comme le disait l’intéressé lui-même. Un itinéraire au cours duquel apparaissent les figures de Jean-Paul Sartre et d’Emmanuel Lévinas, de Louis Althusser et de Maurice Clavel, de Jean-Claude Milner et de Bernard-Henri Lévy.

par Céline Ménard LaCroix.

176 pages, dont un cahier photos de 16 pages – 15 €

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Résumé

Ce livre est la relation d’un parcours – celui de Benny Lévy – à travers la voix de sa femme Léo, un itinéraire où les exigences de la pensée et les gestes quotidiens s’ajustent au plus près, alliant à l’extrême rigueur un généreux amour de la vie.

« Dans la lumière sans complaisance des matins de Jérusalem, trois stations : la maison, la maison de prière, la maison d’étude. Le soir, une fois par semaine, détour par le lieu d’enseignement où un public bariolé, passionné, vient écouter le petit homme en noir. Simplicité des rythmes, transparence des jours, soi rassemblé. À Jérusalem, aucun mystère, pas de recoins obscurs grouillant de projections fantasmatiques. Mais ailleurs ? En d’autres temps ?

Le chef révolutionnaire sans nom, à l’existence improbable, en tout cas invisible, pouvait-il vraiment du chaos des faits et des discours faire émerger une vision et une visée claires ?

Il eut des maîtres. Côté philosophie, il se réfère à Sartre, Althusser et Lévinas. Côté sagesse d’Israël, il a été enseigné par un cabaliste ashkénaze, un rav français d’origine marocaine, un Yérouchalmi d’ascendance lituanienne.

Enfin, au cœur de l’énigme, quel lien entre ce tout jeune Juif arrivé d’Égypte, pathétique et ardent, en quête acharnée d’assimilation, et la fille du faubourg Saint-Antoine, placide, rigolote par parti pris, qui portait encore vivaces les traces des villes juives de Pologne ? Étrange rencontre. Plus étrange encore, la constance malgré les turbulences. »

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Extrait de texte

Nous t’avions oubliée, Jérusalem, nous avions erré, déserté. Nous avions servi des dieux étrangers, sacrifié à des théories étrangères. À ces Moloch modernes, nous avions livré nos enfants, ceux déjà nés, ceux qui auraient pu naître, parce que nous avions oublié le geste fondateur d’Abraham, le premier « casseur », le premier briseur d’idoles.

Retrouver le geste fondateur ne fut pas l’affaire d’un instant, d’une illumination nocturne, ni l’effet d’un glaive dans les reins – mais un long travail.

A LA VIE – Léo Levy Article original

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