Le réveil de l’Ours Russe©

 

PARTIE I – LA DESCENTE AUX ENFERS

Depuis quelques années on assiste à un retour de la Russie sur la scène internationale dans un « discours » que beaucoup qualifient d’agressif. L’annexion de la Crimée, l’invasion de l’Est de l’Ukraine, l’intervention militaire en Syrie sont quelques signes du retour du Kremlin à une politique offensive.

Par Michel Rozenblum

Dans son édition de mai /juin 2017, la revue Diplomatie s’intéressait aux velléités de réorientation de la politique russe vers l’Asie et aux obstacles susceptibles d’entraver ou de rendre impossible cette réorientation.

Cette volonté proclamée d’« orientation à l’Est » est en fait un des aspects d’un problème plus global, et plus angoissant pour le dirigeant russe : l’affaiblissement constant de la zone d’influence de la Russie et son érosion provoquée, tant par les actions de l’Occident que par les appétits des Présidents des républiques « indépendantes » qui la composent.

Nous allons nous intéresser dans cet article à l’ensemble de ces composantes.

Ronald Reagan avait lancé une course à l’armement qu’avait dû suivre l’URSS. Le système centralisé de L’Union Soviétique ne permettait pas de créer les richesses suffisantes pour suivre le même rythme que les Américains, chez lesquels le pôle militaro-industriel était un des piliers, mais non le seul, de l’économie. Les ressources apportées par les entreprises américaines de taille planétaire permettaient aux dirigeants américains de réaliser des programmes ambitieux, et coûteux.

Dès son accession au pouvoir, Gorbatchev mit en œuvre sa célèbre Perestroïka. Cette initiative inattendue fut applaudie par les Occidentaux comme un signe encourageant de marche vers la démocratie mais la liberté (relative) soudaine dans un pays totalitaire provoque davantage de désordre que d’épanouissement dans la mesure où les élites qui auraient pu saisir le flambeau de la liberté avaient été décimées par des purges régulières. Dans la réalité, la Perestroïka, revenait à « jeter une boule de bowling dans un jeu de quilles ».

De surcroit, les nouveaux candidats ne disposaient, ni de l’expérience, ni d’une infrastructure économique permettant d’amorcer aussitôt un décollage économique.

Passer brutalement d’une économie entièrement planifiée, sans possibilité d’initiative pour les agents économiques, à une société de concurrence relève de la gageure. De plus, la libéralisation brutale venait mettre un terme aux pouvoirs et ambitions des profiteurs du régime. On put craindre un moment que les forces traditionnelles ne reprennent le pouvoir. L’action de Eltsine, puis de Poutine, permit aux dirigeants de reprendre la main.

Mais le mal était fait. Profitant de la faiblesse de la Russie et malgré leurs assurances orales, les pays Occidentaux, USA et Allemagne en tête, entreprirent de détacher les anciens membres du Pacte de Varsovie de leur « protecteur » russe. Pour ces pays sous contrainte, la Perestroïka arrivait comme du pain béni. La perspective d’un coup de Prague ou d’une répression sanglante comme en Hongrie disparue, c’était la ruée vers l’Union Européenne, ses subventions, et l’indépendance politique.

A l’encerclement par l’Ouest s’ajoutait l’encerclement par le Sud, avec les accords passés par les Etats-Unis avec d’ex républiques pour stationner des avions sur leur territoire, à côté d’avions russes, afin de faciliter l’accès à l’espace aérien de l’Afghanistan. Mais cette présence offrait aux Américains l’accès au « ventre mou » de la Russie.

Parallèlement, des Etats musulmans en profitaient pour prendre leurs distances avec Moscou.

Un malheur ne venant jamais seul, les Russes découvraient que leur infrastructure industrielle était totalement obsolète et non compétitive dans un marché ouvert. Pendant la période soviétique, les pays du Pacte et les pays du tiers monde sur lesquels l’URSS exerçait une influence constituaient des destinations naturelles des fabrications issues des usines soviétiques.

Avec une économie affaiblie, privée de ses marchés, le matériel militaire ne pouvait plus être entretenu correctement et encore moins remplacé. Les sous-marins nucléaires étaient laissés à l’abandon, constituant à terme une menace pour l’environnement.

Le chaos politique a favorisé la corruption. Des usines, des industries ont été cédées pour une bouchée de pain à des favoris qui ont eu comme principal objectif de se remplir les poches.

L’économie soviétique était une économie programmée, planifiée où le plan quinquennal fixait la production, le prix de vente des produits et les destinataires de ces produits.

Les bénéficiaires des principales industries n’avaient cure de favoriser la création de sociétés intermédiaires indépendantes pour créer un véritable tissu social et les dirigeants n’avaient ni l’éducation économique pour s’en préoccuper l’expérience de l’économie de marché pour en ressentir le besoin. La priorité était au partage du gâteau avec les personnes bien en cour.

Certes, quelques participations furent prises par des sociétés occidentales, dans l’industrie automobile spécialement, mais ces prises de participation furent limitées et ne profitèrent pas à l’ensemble de l’industrie russe. L’insuffisance de ressources portait atteinte à la modernisation du matériel militaire mais aussi au financement de la recherche et de la création de nouvelles industries.

Les contraintes climatiques et les structures de communication propres à la Russie constituent aussi un frein non négligeable au développement du l’Est et du Nord-Est de la Russie.

Cette révolution manquée fait que jusqu’à présent l’essentiel des exportations russes concerne les produits du sol, notamment des hydrocarbures (80% des exportations vers la Chine) et que les exportations d’armement constituent une partie non négligeable des exportations de produits finis.

Le Président Poutine a très tôt pris la mesure des menaces qui pesaient sur son pays. En vétéran des services de renseignement, il a envisagé immédiatement les dimensions militaires et stratégiques de la menace, le risque de délitement et de l’éclatement de l’ex URSS, chaque défection encourageant d’autres états membres de la Fédération de Russie à prendre leurs distances, et averti les Occidentaux que la Russie ne reculerait plus.

En effet, si on se place du point de vue de la Russie, on ne peut que constater que ce pays se faisait peu à peu étouffer par les « attaques » économiques de l’Occident. L’argent américain, la promesse de subventions importantes de la part de l’Union Européenne, de libre circulation des travailleurs qui amèneraient des devises et d’une protection du parapluie américain qui permettrait aux pays qui choisiraient l’Ouest de mettre fin au paternalisme et à la politique de pénurie imposés par le « grand frère », avaient de quoi séduire les anciens membres du Pacte de Varsovie et de l’URSS. D’autant plus que la Russie n’avait ni financement, ni technologie, ni emplois à proposer et que le pays était en pleine décomposition.

La présence nouvelle des forces occidentales à la frontière de la Fédération de Russie constituait un véritable chiffon rouge agité devant les yeux de l’ours russe.

La révolution orange en Ukraine et l’intérêt exprimé par le nouveau dirigeant ukrainien de se rapprocher de l’Union Européenne ont constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La patience du dirigeant russe était déjà mise à rude épreuve par la défection des Etats satellites. La sortie de l’Ukraine de la Fédération était un « casus belli. L’Ukraine revêtait en effet un caractère particulièrement symbolique, se rattachant aux conquêtes des Tsars et à la participation des cosaques aux conquêtes territoriales de la Russie.

Et la perte de l’Ukraine signifiait, à terme, la perte de la Biélorussie et d’autres républiques de la Fédération de Russie.

De plus, la défection de l’Ukraine privait la Fédération de Russie d’un port militaire essentiel pour accéder à la Méditerranée tout en offrant une porte d’entrée vers la Russie par le Sud et de ses ressources agricoles et minières, tout en mettant les pipe-lines traversant son territoire à la merci des caprices du dirigeant ukrainien.

Le succès de l’opération d’occupation de la Crimée et la molesse des réactions des puissances occidentales ont encouragé M Poutine à dépêcher des troupes dans la région du Donbass, riche en charbon, pour sécuriser ses sources d’approvisionnement. Mais dans la stratégie de M Poutine, il reste à assurer la reconquête, dès que les circonstances seraient favorables, de l’ensemble de l’Ukraine.

M Poutine aurait pu se satisfaire d’un dictateur mégalomane et corrompu comme il s’en trouve dans des républiques associées du Sud de la Russie, mais pas d’un pays qui rompt avec la Russie et renforce le camp adverse tout en rapprochant les forces armées de l’Occident de la frontière russe.e

Face à la menace venue de l’Ouest et du Sud, il a souhaité, comme le rapport la revue Diplomatie, basculer les intérêts économiques de la Russie vers l’Est, vers le Pacifique. Mais ce basculement est plus facile à proclamer qu’à réaliser. Ces régions de l’Est sont ingrates, avec des conditions climatiques difficiles et le tissu de transports est insuffisant pour favoriser le développement d’industries nouvelles.

Et la menace provenant de l’Ouest cache une autre menace, plus pernicieuse et plus dangereuse à terme, celle de la Chine qui tisse patiemment la toile de son empire économique.

Après avoir résisté pendant un temps à l’intrusion de la Chine dans son pré-carré, la Russie de Poutine a dû accepter, et faire semblant d’approuver, la construction de voies terrestres et ferroviaires menant notamment au Kazakhstan et les investissements chinois massifs dans les républiques de la région avec, à terme, la menace d’une sécession de ces républiques en faveur de la Chine.

La Russie a appuyé les revendications de la Chine sur les îles Kouriles et Spratly, renforçant la position de la Chine dans le Pacifique et réduisant ses possibilités d’influence en Asie, d’autant plus que la Chine a entrepris d’habiles négociations bipartites avec chacun des pays de la région pour profiter de sa position dominante pour imposer des rapports déséquilibrés et affirmer son droit exclusif sur les îles contestées.

Attaquée économiquement et politiquement à l’Ouest et au Sud par les Occidentaux, attaquée économiquement et politiquement par la Chine à l’Est et dans les Etats pétroliers du Sud, la Russie a trouvé comme seule parade le muscle, tout en continuant à vendre des armes et en acceptant de transférer des technologies sensibles à son pire ennemi sur le long terme, la Chine.

Si son voisin chinois s’intéresse pour l’instant aux îles du Pacifique et à la création de liens privilégiés avec les républiques pétrolières et gazières de la Fédération de Russie, il n’a certainement pas oublié qu’au XIXème siècle, la Russie tsariste l’avait privé de la région de Khabarovsk grâce aux « traités inégaux » d’Aigun en 1858 et de Pékin en 1860. La rétrocession en 2004 de la base de Dalian et de plusieurs îles sur les fleuves Oussouri et Amour a certes évité la répétition d’incidents de frontières survenus dans les années 60 mais elle n’efface pas totalement le contentieux qui pourrait resurgir si les circonstances devenaient favorables à la Chine.

Face à la Chine, la Russie est davantage dans une position de demandeur. Les achats importants d’armements russes par la Chine ont permis de relancer la recherche et de diminuer les coûts de production, mais l’absence de ressources de financement et d’industries de consommation fragilise la Russie.

Dans cette situation quelle sera la stratégie de la Russie ?

(A suivre)

Michel Rozenblum

Institut international de Stratégie et de Simulation (I.S.I.S.)

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stevenl

Putin took advantage of the fact that the last US President deliberately decided to weaken his country inside and outside while doing NOTHING for the Afro-Americans people.