50 ans après la déclaration de Nostra Aetate liée au Concile Vatican II : «La sagesse et l’amitié du Pape François feront progresser le dialogue avec le judaïsme»

Pour le rabbin Moché Lewin, «permettre à la vérité de voir le jour concernant le rôle de Pie XII durant la Shoah serait une décision à l'honneur du pape François.»

INTERVIEW – Le Pape François reçoit ce lundi matin la Conférence des rabbins européens qui représentent 600 rabbins issus de tout le continent. C’est une première pour cette organisation. Le Français Moché Lewin, directeur exécutif de cette conférence, en situe l’enjeu.

 
 

Quel est l’enjeu de la rencontre, ce lundi, des rabbins européens avec le Pape François?

La rencontre historique que nous avons souhaitée avec Sa Sainteté le Pape François, se déroulera presque 50 ans après la déclaration de Nostra Aetate liée au Concile Vatican II. Celle-ci mettait fin à un conflit théologique et à des siècles de haine et d’animosité envers le judaïsme dans le monde. Cette déclaration, les rencontres d’Assises et la visite de Jean-Paul II à la grande synagogue de Rome, ont permis de passer, comme l’a écrit Jules Isaac, de «l’enseignement du mépris à l’enseignement de l’estime». Le symbole d’une rencontre avec la Conférence des rabbins européens (CER), représentant 600 rabbins européens, témoignera du chemin parcouru en 50 ans et devrait permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives de dialogue entre nos deux religions monothéistes.

Pourquoi a-t-il fallu attendre 2015, et donc autant de temps, pour que cette rencontre se produise?

Si certains grands rabbins membres de la CER avaient rencontré les papes de leur propre initiative, la Conférence n’avait encore jamais effectué de démarche pour rencontrer les souverains pontifes. Cinquante ans de consolidation des liens depuis Nostra Aetate auront permis de développer une connaissance mutuelle et réussi à dissiper la méfiance que certains pouvaient éprouver. Dans la tradition juive 50 ans, c’est le Yovel: le jubilé, qui est, dans la bible, synonyme d’éternité. Par ailleurs, les nombreux drames et conflits inter-religieux à travers le monde ont renforcé la nécessité, pour les dirigeants religieux, de s’engager davantage et ensemble pour préserver la liberté de conscience et la liberté de religion. Le grand rabbin Pinchas Goldschmidt, président de la CER, a le mérite d’avoir pris cette initiative en vue d’approfondir et de développer cette estime mutuelle mais aussi d’œuvrer pour une coexistence pacifique dans le monde.

Comment percevez-vous le Pape François?

Proche des fidèles, profondément humaniste et tellement humain. Il semble capable de bousculer les consciences et les structures, pétri d’un souci permanent de recherche de vérité. Il l’a démontré récemment avec courage en reconnaissant le génocide arménien. Cela n’était pas politiquement correct, mais il était important aujourd’hui, alors que les massacres, notamment ceux des chrétiens d’Orient, bouleversent les consciences mais ne mobilisent malheureusement pas, de reconnaître comme tel le premier génocide du 20e siècle. N’oublions pas cette phrase d’Hitler le 22 août 1939, aux commandants en chef de son armée: «Mais qui se souvient encore du massacre des Arméniens?»

Ce pape est-il à même de faire progresser de manière significative le dialogue avec le judaïsme?

L’étroite amitié qu’il entretient avec le rabbin argentin Abraham Skorka lui a permis d’approfondir durant deux ans et demi le judaïsme théologique à travers leur dialogue sur la sagesse judéo-chrétienne. Leurs conversations ont même fait l’objet d’un programme télé de trente épisodes. Ils ont également publié un livre sur les questions de société. La sagesse, l’amitié et l’humilité qui caractérisent le pape François vont certainement contribuer à faire progresser le dialogue avec le judaïsme.

Qu’attendez-vous sur le dossier Pie XII?

Dans le livre publié avec le rabbin Skorka Sur la terre comme au ciel, Jorge Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, écrivait au sujet de Pie XII: «Qu’on ouvre les archives et que tout soit tiré au clair.» Permettre à la vérité de voir le jour concernant le rôle de Pie XII durant la Shoah serait une décision à l’honneur du pape François.

Il y a presque trente ans, Jean-Paul II entrait pour la première fois, comme pape, dans une synagogue, est-ce que les relations se sont vraiment améliorées depuis?

Evidemment, même s’il reste encore beaucoup à faire. J’ai le souvenir de la venue en France du Pape Benoit XVI à Paris le 12 septembre 2008. J’avais l’honneur de faire partie des personnes qui l’ont accueilli à son arrivée, un vendredi, un peu avant l’entrée du Chabbat. Il s’était adressé aux représentants de la communauté juive française qu’il avait reçus à la nonciature, en citant un texte du Talmud sur le Chabbat. Il avait conclu son allocution par: «J’appelle avec ferveur sur toutes vos familles et sur toutes vos communautés une Bénédiction particulière du Maître des temps et de l’Histoire. Chabbat Chalom!» Une telle bénédiction dans la bouche du souverain pontife, ancien préfet de la Congrégation du Vatican pour la doctrine, était impensable avant Nostra Aetate.

Comment les assassinats de janvier en France ont-ils aussi affecté la communauté juive européenne?

La communauté juive française est la plus importante communauté juive d’Europe. Lorsque des événements dramatiques se produisent, comme ceux de janvier en France, ils ont une portée européenne voire mondiale. Ils font suite à ceux de Toulouse, Montauban et Bruxelles où la communauté juive a été la cible de tueries, comme à Copenhague en février dernier. Ces attaques font douter certains quant à leur avenir en Europe. La Conférence des rabbins européens organisera sa convention biennale en mai prochain à Toulouse – en dehors des dates de commémorations des tueries de Montauban et Toulouse – pour réaffirmer que nous poursuivons, avec détermination, nos activités avec plus de vigilance et de sécurité. Les pouvoirs publics français ont pris la mesure et la gravité de la situation en instaurant le plan Vigipirate qui mobilise 10.500 militaires, en plus des forces de police et de gendarmerie, pour assurer la sécurité des lieux sensibles.

En quoi l’Eglise catholique peut-elle aider la communauté juive dans cette période de tensions?

Le combat contre l’antisémitisme doit être poursuivi sans relâche, alors que l’Europe fait face à une montée des nationalismes, des extrémismes et à une flambée de l’antisémitisme. Lorsqu’un citoyen est touché en raison de sa religion, il appartient aux autres religions de se sentir concernées et d’œuvrer par tous les moyens, notamment éducatifs, pour faire disparaître ce fléau. La communauté juive se doit de condamner sans réserve et de manière réitérée, le massacre insupportable des chrétiens d’Orient. Le grand rabbin de France Haïm Korsia, l’a très souvent rappelé, notamment lors d’une cérémonie du souvenir de la Shoah en la grande synagogue de la Victoire à Paris en septembre dernier.

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