Una novela marrane

Autour du livre de Jean-Pierre Gattégno :

Les aventures de l’infortuné marrane Juan de Figueras

Par Jean-Marc Alcalay

D’abord Hidalgo…

Jean-Pierre Gattégno[1] nous offre ici un beau et savoureux roman picaresque mais qui aurait pu être vraiment vécu par quelque Juif espagnol pris dans la tourmente des années de l’Inquisition. Cela, bien après que Juifs et musulmans aient été chassés de ce pays que les premiers appelaient Sefarad et les seconds al-Andalous.

Fils d’un négociant chrétien de Séville sous Philippe III (1578-1621) le jeune Juan est bientôt envoyé à Valence, au Collège du Saint-Sacrifice-de-la-Rédemption pour y devenir Padre. Mais c’est là qu’il sacrifie sa naïveté au sexe, à l’argent et à la corruption de tout le Collège, prêtres en tête. Il s’évade, toujours en soutane et devient brigand, voleur, croisant sur les routes d’une Espagne autant de miséreux que ce pays en a produit après l’expulsion des Juifs, décrétée par l’Alhambra du 31 mars 1492 sous le règne de Ferdinand d’Aragon et Isabelle la Catholique. Il y rencontre même un autre hidalgo flanqué de son fidèle serviteur, lui, juché sur un âne, tandis que son maître galope à l’assaut de moulins à vent… Aussi pauvres qu’eux, Juan y côtoiera encore de faux mendiants, un faux aveugle, un marrane inversé, c’est-à-dire un faux-vrai catholique qui lui fait rencontrer un vrai-faux rabbin, don Cesáreo Nahum dit Abrabanel de Pezevenco. Lui, organise de vrais-faux offices juifs, qui, pour ces vrais-faux catholiques qui y assistent, se terminent toujours mal. Par ce roman, Jean-Pierre Gattégno nous montre aussi que dans les pays où règnent la suspicion et la dénonciation, les pays totalitaires quoi !, chacun trompe l’autre au risque de se tromper lui-même sur l’autre, par exemple en le dénonçant…Dans son épopée, Juan rencontre de vrais voleurs qui eux ne se trompent pas, dont un certain Pepe, un père de remplacement, finalement le moins coupable et le plus honnête de tous. Il lui fera sa fortune et lui permettra de retourner à Séville, pour y retrouver ses parents, seulement voilà…

Puis  marrane…

Juan se vit en bon chrétien depuis qu’il est né, il y a de cela 13 ans. Seulement voilà, sa mère lui a confié en partant pour le Collège de Valence, une étoile de David en or dont son fils ignore la signification bien que chacun qu’il croise sur sa route aventureuse lui affirme qu’elle est un symbole juif. Le Judaïsme a ceci de particulier que même oublié ou resté secret, un indice demeure qui rappelle un jour ou l’autre des origines juives à celui qui n’en savait rien. Retour du refoulé du signifiant juif. Il y a des siècles, ce fut un bout d’étoffe pour Moïse, aujourd’hui, l’ADN pour certains[2], et dans notre roman, une étoile de David. Le refoulé résiste pourtant bien chez le jeune Juan. Il ne croit pas du tout qu’il est Juif. Mais peu à peu, l’inconscient le rattrape. Il se rappelle en rêve que chez ses parents, une pièce lui était interdite. De retour à Séville il y retrouve sa maison vide, en ruine, une mezouzah sur la porte et du lard devant la maison, de quoi éloigner les voleurs qui jamais ne pénétreraient dans une demeure juive d’ailleurs déjà pillée. Seul l’ancien serviteur de ses parents y est resté pour la protéger. C’est lui qui lui montre la pièce interdite dans laquelle toute sa famille et leurs amis, sauf lui, continuaient à y pratiquer les rites juifs. Il y voit « les objets de culte brisés ou piétinés ; des rouleaux de prière déchirés jonchaient le sol… [3]» Juan est donc Juif, converti comme ses parents, devenus marranes dans une Espagne où, bien après l’expulsion des Juifs, il était encore plus dangereux pour eux d’y vivre car l’Inquisition veillait à ce que  chaque Espagnol était bien de sangre pura, de sang pur. Avec la recherche obsédante de la limpieza de sangre, l’Espagne catholique avait précédé de près de 450 ans les lois raciales nazies et autres. Beaucoup de Juifs convertis allèrent ainsi au bûcher. Pour ne pas finir comme ses parents, son fidèle serviteur, Filόgeno lui conseille comme le lui avait dit le vrai-faux rabbin, de s’embarquer pour Salonique : « Salonique est devenue la nouvelle ville des juifs. Là-bas ils sont majoritaires, ça leur donne un air de tranquillité et de certitude, ils n’ont pas besoin de faire comme tout le monde, ils sont comme tout le monde[4] ». Dès 1492, le Sultan Bajazet II, les avaient accueillis. En 1943, les nazis et leurs complices en déporteront 56 500, soit 96% de la communauté juive de la Jérusalem des Balkans comme on appelait alors Salonique. Retour au roman. Au grand étonnement de Juan, Filόgeno lui remet son étoile de David que Juan avait accrochée au cou d’un de ses compagnons d’infortune pour se débarrasser de lui. Ce pendentif lui confirme enfin qu’il est bien Juif, qu’il doit aller à Salonique y rejoindre un oncle ?, une tante ?, peut-être ses frères et sœurs… ? Seulement voilà…

Enfin  Juif… !

Arrivé à Grenade, Juan est certain maintenant qu’il doit rejoindre le port de Cadix pour s’embarquer, certain qu’il est désormais Juif et pleinement revenu à ses origines. Mais sur sa route d’éternel errant, il croise la duchesse d’Alcalá dont il tombe follement amoureux, jusqu’à commettre pour elle, l’irréparable…Juan, restera-t-il malgré tout à Grenade ?, sera-t-il pris par l’Inquisition et les alguacils ?, récupérera-t-il son journal dans lequel il nous conte toutes ses aventures à la fois drôles et tragiques… ? Nul ne le saura sauf s’il s’immerge dans cette histoire très captivante dans laquelle Jean-Pierre Gattégno nous raconte d’une plume alerte, vive et entraînante, le bonheur-malheur de toute une partie du peuple juif.

                                                                                                                                      Par ©Jean-Marc Alcalay

[1] Jean-Pierre Gattégno, Les aventures de l’infortuné marrane Juan de Figueras, Editions de l’Antilope, 2018.

[2] Un  Espagnol sur cinq  aurait des origines juives et un sur dix, des origines musulmanes.

[3] Ibid., p. 363.

[4] Ibid., p. 333.

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