Willenberg devant un dessin du camp de Tréblinka (photo Wikipedia)

TRÉBLINKA, C’EST MOI !” : LE SECRET DE SAMUEL WILLENBERG, PAR PIERRE LURÇAT

Ma rencontre avec la Shoah a pris plusieurs formes. Adolescent, j’avais lu le livre controversé de Jean-François Steiner, Treblinka, avant de découvrir les rescapés de la Shoah dans l’oeuvre de certains écrivains, dont Isaac Bashevis-Singer.

Ma mère, internée à Drancy, était née à Jérusalem dans la Palestine mandataire, et avait ainsi échappé à la déportation grâce aux papiers de “sujet de l’empire britannique” envoyés par l’oncle Nahman, auquel je dois aussi la vie.

Mais c’est bien plus tard que je rencontrai les premiers survivants en chair et en os, en débarquant à Haïfa lors de ma première visite en Israël, au début des années 1980. Les chiffres tatoués sur l’avant-bras d’une employée de la cafétéria du port me firent prendre conscience de la réalité de ce qui n’était auparavant qu’un événement abstrait.

Plus tard, chez mon oncle Menahem, je fis la connaissance de Samuel Willenberg, qui était le beau-père de mon cousin. Dans la famille, on l’appelait familièrement “Igo”, de son nom de guerre.

Son parcours, qu’il a relaté dans un livre de souvenirs traduit en français (Révolte à Treblinka, Ramsay 2004), est celui d’un survivant de Tréblinka et d’un héros dont le courage n’avait d’égal que la modestie.

Son père, Peretz, enseignant et peintre à Czestochova, avait épousé une Russe orthodoxe qui avait fui la Révolution.

Elle se convertit pour l’épouser. En 1941, après la création du ghetto de Czestochova, Samuel et ses parents parviennent à échapper aux rafles, tandis que ses deux soeurs, Tamara et Ita, sont déportées.

Arrêté lors de la liquidation du ghetto d’Opatów, Samuel est déporté à Treblinka à l’âge de 19 ans.

Suivant le conseil donné sur la rampe menant au camp, il se fait passer pour maçon, ce qui lui sauve la vie, alors que la plupart des membres du convoi sont immédiatement emmenés dans les chambres à gaz.

Samuel parvient à survivre à Tréblinka entre octobre 1942 et août 1943, date de la révolte à laquelle il participe avec plusieurs centaines de prisonniers. Blessé à la jambe, il parvient à regagner Varsovie, où il retrouve son père, qui s’est caché du côté “aryen” de la ville.

Il prend part au soulèvement de Varsovie dans les rangs de l’Armia Krajova (l’armée de l’intérieur polonaise).

Après la guerre, Samuel demeura plusieurs années en Pologne et se porta volontaire dans l’armée polonaise, où il devint officier, avant de partir en Israël en 1950. Il y travaillera comme ingénieur au ministère du Logement jusqu’à sa retraite.

En uniforme d'officier polonais, avec son père

                                                En uniforme d’officier polonais, avec son père (photo USHMM)

Par la suite, il prend des cours de sculpture et guide des jeunes Israéliens venus visiter les camps en Pologne. J’ai souvent rencontré Samuel, chez mon oncle Menahem où au moshav d’Oudim où il vivait, mais je n’ai compris que très tard le secret qui l’habitait.

En avril 2016, lors d’une visite au kibboutz Lohamei Ha-Gettaot, je découvris une de ses sculptures, représentant des détenus à Tréblinka.

Dans une vidéo, il expliquait pourquoi il avait toute sa vie, continué de se rendre en Pologne et de raconter son expérience.

“Tréblinka c’est moi !” : cette déclaration n’était pas une fanfaronnade ou une affirmation saugrenue ; elle exprimait la quintessence de son être, la réalité de sa vie depuis les années terribles dont il n’était jamais sorti.

“Igo”, le lieutenant de l’armée polonaise, le révolté de Tréblinka, dont il était le dernier survivant, n’était en vérité jamais sorti de là-bas.

Les Allemands, dans leur volonté criminelle d’extermination, avaient réussi à tuer non seulement les morts, mais aussi, dans une certaine mesure, les survivants.

En voyant le visage de Willenberg, au musée du kibboutz des combattants des ghettos, je me dis qu’il fallait le revoir, l’entendre encore une fois raconter sa vie et son destin incroyable. Hélas, il était trop tard… Samuel était décédé deux mois auparavant, à quelques jours de son quatre-vingt-dixième anniversaire.

יהיה זכרו ברוך והשם ייקום את דמם של ששת המיליונים

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Lazare

Oui et concrètement pas grand chose de fait pour eux, comme pour beaucoup de victimes d’ailleurs.
Sauf que sur ces victimes là on fait beaucoup de discours officiels avec des trémolos dans la voix…
Mais ceux qui sont concernés savent ce que valent ces discours et ils rient ironiquement en pensant à la multitude qui y croit…

Yes

Combien de gens endommagés et meurtris jusqu’à leur derniers jours, en plus de ceux assassinés ? Des cicatrices si profondes que la douleur descend au long de deux ou trois générations.