L’éventualité d’une nouvelle « guerre froide » dans laquelle pourrait être entraîné l’Occident n’est peut-être plus une simple spéculation de commentateurs politiques et semble devenir une hypothèse dont la probabilité n’est pas négligeable.

Plusieurs indices, décelables plus particulièrement à Moscou, tendent à accréditer une telle possibilité.La Russie de Vladimir Poutine se livre, de fait, depuis plus d’un an à une double manœuvre soigneusement orchestrée : d’une part, elle ne manifeste aucun scrupule à bloquer toute résolution du Conseil de sécurité susceptible de mettre un terme à la guerre interne syrienne, et d’une manière tout aussi effrontée, elle ne cache pas sa détermination à fournir armes lourdes et munitions au pouvoir baassiste tout en mettant en garde – comble du cynisme – contre une « intervention étrangère » en Syrie, en affirmant que seuls les Syriens (mais par quels moyens et dans quelles conditions ?) devraient décider du sort de Bachar el-Assad.

La politique répressive exercée en outre en Russie même – sévères contraintes imposées à l’organisation de manifestations, à l’action des ONG et à l’usage d’Internet – en dit long par ailleurs sur l’échelle de valeurs qui dicte la ligne de conduite des maîtres du Kremlin.

En s’engageant sur la voie sinueuse de la realpolitik, il ne devient pas difficile de déduire, à la lumière de telles données, que l’objectif recherché par le président Poutine – en bon nostalgique de l’ère du KGB, dont il est la pure émanation – est non pas tant de défendre le régime d’Assad en tant que tel, mais plutôt d’exploiter à fond la crise syrienne afin de transformer la Syrie en instrument, en champ de confrontation, dans le bras de fer, voire la « guerre froide », qu’il est manifestement tenté d’engager avec l’Occident, même si cela devait se faire au prix de la vie de dizaines de milliers de Syriens et de la destruction de la Syrie.

Les précédents de la guerre de Tchétchénie et du massacre du théâtre de Moscou, en octobre 2002 (lorsque des dizaines de civils ont été froidement gazés par les forces de l’ordre pour mettre fin à une prise d’otages) sont là pour confirmer que le président Poutine ne fait pas dans la dentelle pour atteindre son objectif, en l’occurrence, dans notre cas précis : rétablir un semblant d’empire russe et relancer le rôle de superpuissance qu’il désire conférer à la Russie face au camp occidental.

Un tel objectif nécessite de consolider une présence et d’asseoir une solide influence sur un territoire étranger afin d’y créer des abcès de fixation exploitables dans le jeu engagé avec le camp adverse.

Pour Poutine, la crise syrienne est tombée dans ce cadre à point nommé.

Et il peut bénéficier sur ce plan d’un allié de poids : la République islamique iranienne, avec ses ramifications – surtout libanaises.

Sans compter le clan Assad…

Il paraît clair dans un tel contexte que le but du clan Assad n’est plus de gouverner la Syrie et de préserver son rôle de puissance régionale.

Cela relève désormais du passé.

Son but est plutôt de se maintenir, tout simplement – dans une optique de « assabiya » (d’esprit de corps) communautaire – en contrôlant une partie de la Syrie et en imposant, autant que faire se peut, ne fût-ce qu’une apparence de pouvoir à Damas…

Dans l’attente sans doute de nouveaux bouleversements régionaux ou d’une modification de la donne internationale.

Peu importe que la sauvegarde, le maintien, du clan se fasse au prix de dizaines de milliers de tués civils, de centaines de milliers de réfugiés, de la destruction des villes syriennes, de l’effondrement de l’économie nationale et du sabotage du tissu social syrien…

Si ce scénario catastrophe de relance de la guerre froide initié par Poutine venait à se confirmer, il est fort à craindre qu’il s’étende au Liban, perçu par le clan Assad comme son espace vital naturel.

Le pays du Cèdre se retrouverait ainsi plus que jamais englué dans le traditionnel axe Téhéran-Damas, mais qui bénéficierait désormais de la couverture internationale et de l’aide militaire et logistique de Moscou.

Au plan local, les acteurs prêts à poursuivre et entretenir un tel jeu – sous le slogan de la « résistance » et de l’obstruction antioccidentale (la « moumanaa ») – ne manquent évidemment pas : le Hezbollah, d’abord, et dans son sillage le mouvement Amal, bien sûr ; mais aussi l’allié stratégique du parti pro-iranien, le courant aouniste.

Car nul ne saurait être dupe des récentes critiques du CPL à l’égard du tandem chiite.

Il ne faut quand même pas plus de six ans pour découvrir le caractère mafieux du Hezbollah ou le « fromagisme » et les pratiques clientélistes, et tout aussi mafieuses, des responsables d’Amal !

Ces soudaines critiques aounistes à l’égard des alliés sont simplement à inscrire, à l’évidence, au compte d’une classique manœuvre préélectorale visant à récupérer le terrain perdu en milieu chrétien, pour éviter d’être laminés lors des prochaines élections législatives de 2013, comme le prévoient de récents sondages.

Le général Michel Aoun a d’ailleurs clairement souligné, dans sa dernière interview, qu’il ne regrette nullement les options stratégiques qu’il a prises en 2006, que son soutien à la « résistance » (entendre le Hezbollah) est une
« constante » et que son « entente » avec le parti pro-iranien se maintient.

En clair, l’alignement sur le projet politique du Hezbollah (aussi mafieux soit-il), et donc sur l’axe Téhéran-Damas, reste de mise, quitte à jouer sur la fibre chrétienne en critiquant ponctuellement et tactiquement le tandem chiite, afin de récupérer une partie de l’électorat perdu.

Ce qui confirme, par voie de conséquence, le positionnement du courant aouniste comme l’un des acteurs qui pourrait contribuer, à sa petite échelle chrétienne, à l’imbrication du Liban dans le nouveau bras de fer qui pourra poindre à l’horizon si le clan Assad n’est pas forcé, manu militari, à plier bagage.


Michel Aoun

Un tel scénario catastrophe n’est certainement pas inéluctable.

À la condition toutefois que les pays arabes, occidentaux et étrangers (plus spécifiquement la Turquie) qui proclament publiquement leur appui à la révolution syrienne se décident enfin à fournir à celle-ci l’armement adéquat lui permettant de neutraliser les blindés, les hélicoptères et l’aviation dont le clan Assad fait un usage intensif.

Car autrement, le pouvoir baassiste ne lâchera pas prise et n’aura certainement aucun scrupule à se maintenir, sans gouverner, même sur des ruines et des mares de sang.

Ce qui ferait sans conteste le jeu de l’ex-patron du KGB … et entraînerait encore plus le Liban sur les chemins de la société guerrière que le Hezbollah tente d’imposer aux Libanais, avec le précieux concours de ses alliés locaux.

Michel Touma/ OLJ.com Article original

TAGS : Syrie Liban Aoun Guerre Froide Russie USA Poutine

Axe Téhéran-Damas Hezbollah Superpuissance Realpolitik CPL Amal

Chiite Chrétien Assad Clan Iran

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires