Sophie Ramond. David. Cerf, 2025.
Je suis heureux de parler de ce livre sur la vie du roi David car j’ai moi aussi écrit un ouvrage sur ce personnage haut en couleur, il y a une petite décennie, aux éditions Perrin. Il est même devenu grand livre du mois… et continue son petit bonhomme de chemin comme tous les livres
Même si je rends hommage à ce beau travail, je dois bien reconnaître qu’il n’apporte rien de fondamentalement nouveau car les sources, le plus souvent sujettes à caution, sont rares et principalement limitées à la littérature biblique.
Une fois qu’on a achevé de parcourir ce nouvel ouvrage, on réalise que la Bible procède à une lecture théologique de l’histoire et donc des biographies des personnages les plus emblématiques ; et c’est peu dire que le roi David en fait justement partie.
On peut rétorquer que la Bible n’est pas un livre d’histoire mais cet argument est une arme à double tranchant : si on répudie l’histoire complément, on court le risque de porter atteinte à l’historicité des personnages. Il faut donc ménager le pro et le contra afin de ne pas rejeter toute véracité de cette littérature.
Mais cela ne nous exonère pas de la nécessité de trouver l’intention profonde des rédacteurs qui ont créé ces personnages si complexes. Que voulait on faire passer comme message à la postérité ? C’est là que le bât blesse : les événements de la vie si mouvementée de David sont si contradictoires, si opposés que le lecteur hésite à se prononcer .
En effet, toute tentative d’idéaliser, de cache riser cette figure si personnelle, bute sur des événements pourtant rapportées par la Bible elle-même. Ce qui atteste la probité intellectuelle des rédacteurs qui avaient conscience de dire la vérité, sans avoir à gommer les éléments les plus scandaleux ou scabreux. Et le mot n’est pas fort. Car David a commis les fautes les plus impardonnables avant de se voir gratifier des qualités les plus vertueuses pour donner naissance à une personnalité qui a écrit les Psaumes, qui est l’œuvre de l’homme le plus religieux que la terre ait porté… Et ce n’est pas tout, car il est censé être l’aïeul du Messie.
Ce n’est pas commettre un crime de lèse-religion que de dire que ce sont les hauts fonctionnaires de la cour du roi Josias, le seizième dans l’ordre de la dynaste davidique, qui furent les commanditaires de cette image de David, revue et corrigée. Partie prenante de la monarchie unifiée, ces personnages , tous fins lettrés, dominaient la vie à la cour du roi Josias dont ils devaient flatter l’ego… Ce roi, tué par le Pharaon Nekho (invalide) est cité pour sa réforme en 622 avant notre ère.
Mais ce n’est pas tout. Le clan charismatique de la classe sacerdotale aurait pu s’y opposer, mais il n’a opposé aucune résistance à ce réexamen de la vie de David.
J’ai noté plus haut que, visiblement, aucune autorité spirituelle ou religieuse de l’ époque n’a manifesté le moindre mécontentement. Ou la moindre gêne. Et je dirai même plus : la tradition ultérieure a cherché par tous les moyens à véhiculer cette figure lavée de tout soupçon d’impiété, or il y avait largement de quoi faire… La conscience juive ultérieure a saisi toute opportunité qui s’offrait à elle pour souligner que Dieu avait accordé son pardon à David dont les détracteurs voulaient rappeler les nombreuses inconduites. Le Psalmiste qui se veut un double de David en personne implore Dieu de ne pas se souvenir de ses péchés de jeunesse ni de ses crimes (hattot néouray ou pésha »ay al tizcor).
Nous avons l’embarras du choix, si l’on veut mettre en exergue les méfaits de David : vol,, meurtre, adultère ,menaces, traitrise au profit des philistins, ennemis héréditaires d du peuple hébreu, etc… Et pourtant, on a cherché à innocenter le roi David pour des raisons que l’on ignore. Il reste l’intervention divine dont la mécanique secrète échappe aux humains que nous sommes !
Un sage talmudique a entrepris de laver David du pire crime qu’il est censé avoir commis,, à savoir, le meurtre d’un officier de son armée dont il convoitait l’épouse, la fameuse Bethsabée qui a su mobiliser le prophète Nathan pour régler au profit de son fils Salomon, la succession au trône..
Le sage talmudique en question rapporte qu’avant toute campagne militaire où l’on pouvait être tué, les soldats devaient préparer un guét une lettre de divorce pour leur épouse. Ainsi, il n’ y aurait pas de veuves de guerre, condamnées à attendre la preuve se le disparition de leur mari.. Partant, si le mari de Bethsabée avait agi conformément à la règle, l’épouse n’était plus en puissance de mari et David n’avait alors commis aucun adultère. Il aurait simplement jeté son dévolu sur une femme qu’il désirait… Et quid de l’assassinat de son mari, Ouri le hittite ? On a du mal à s’en sortir…
Force est de constater que le cas de David est difficile et l’on ne comprend pas pour quelle raison réelle la tradition biblique n’a pas jeté son dévolu sur un autre personnage de la même lignée. La dynastie davidique pouvait très bien s’accommoder d’un autre personnage moins marqué. Pourtant, cette même tradition signale parfois que si Dieu a pardonné les péchés de David, il en est un pour lequel le pardon n’a pas été accordé, c’est l’assassinat indirect d’Ouri, l’époux malheureux de Bethsabée dont le comportement dans cette affaire pose parfois question.
Voyons un autre point qui suscite des questions, la construction du Temple. Dans ce cas précis, on lit une série d’interrogations sur l’adéquation de ce projet qui échoira non pas à David mais à son fils Salomon. Et la raison de cette décision est donnée par la Bible : David a versé trop de sang, il ne peut pas être le bâtisseur d’un temple dédié à l’humanité dans sa totalité, pour la rémission de ses péchés. On le voit, certaines choses ont du mal à passer, David est poursuivi, rattrapé par son passé. Pourtant, un travail de purification va être engagé systématiquement pour faire de David le chantre des Psaumes, l’incarnation de la piété, l’abandon confiant à Dieu (en allemand : Hingabe). Et le livre des Chroniques en fait même un Lévite attaché au service quotidien du temple de Jérusalem. Le livre des Rois va jusqu’à voir en lui, le doux poète d’Israël (ne’im zemirot Israël)…
Ne concluons pas sur une note négative : David occupe cette place enviée et enviable d‘ancêtre du Messie et c’est Dieu lui-même qui la lui a donnée en connaissance de cause. Qui pourrait en douter ?
par Maurice-Ruben Hayoun
Né en 1951 à Agadir, père d’une jeune fille, le professeur Hayoun est spécialiste de la philosophie médiévale juive et judéo-arabe et du renouveau de la philosophique judéo-allemande depuis Moses Mendelssohn à Gershom Scholem, Martin Buber et Franz Rosenzweig. Ses tout derniers livres portent sur ses trois auteurs.
![]() |
![]() |