Sophie Delassein, Le dernier testament de Maurice Finkelstein (Le Seuil)

Par Maurice-Ruben HAYOUN

J’avoue avoir un peu hésité avant de me lancer dans la lecture de ce roman, commis avec une certaine grâce par une journaliste œuvrant dans un grand hebdomadaire national (que je ne lis plus depuis des décennies) et écrit dans un style alerte, sobre, sans fioritures. Dans les premières pages, je commençais à me demander où voulait en venir cette femme ashkénaze, la cinquantaine conquérante, et je pensais même qu’elle n’arrivait pas à dépasser le niveau d’une fâcheuse médiocrité quand soudain, à la page 68 précisément, elle a dévoilé la gravité, que dis-je la grande, l’insupportable tragédie de l’existence humaine.

On est désormais en fin de vie, ce qui va nous arriver à tous, comme le dit Fédor Dostoïevski dans Les nuits blanches de Saint-Pétersbourg : un épais manteau de terre nous retient prisonnier… Mais ici, il ne s’agit pas de disserter de loin en loin sur l’état très abîmé dans lequel certains d’entre nous tombent à cause de la maladie d’Alzheimer… Quand on lit ces quelques lignes que je cite de suite, on réalise qu’en dépit de cette novlangue propre au Nouvel Obs, la chose est très sérieuse, le sujet est tragique quand on est contraint de devenir, nous les enfants, les parents de nos parents, devenus des gens d’âge et incapables de s’en sortir tout seuls dans leurs vieux jours… Alors que ce sont eux qui nous ont mis au monde, nourris et élevés, protégés et préparés au mieux pour affronter les défis de l’existence.

Voici donc ce petit passage qui nous fait entrer in medias res :
J’ai découvert le monde parallèle de la gériatrie, la vieillesse et son naufrage, les maladies dégénératives , incurables, fatales, et l’indifférence (ou la répulsion) qu’elles suscitent. J’ai découvert les infirmières et les aides-soignantes, qui traînent leurs semelles dans les couloirs, dans des uniformes plus ou moins difformes,, travaillant dans la puanteur avec des vieux qui ne sont même pas les leurs et qu’elles supportent vaille que vaille, auxquels elles s’attachent sans doute, parfois ( p 68).

Tout est dit ; certes, il y a les descriptions des sentiments éprouvés par les uns et les autres, et ces expressions de l’âme ne sont pas presque jamais à l’honneur de la nature humaine. L’auteure se plaît à le souligner pour ne pas céder à la volonté irrépressible d’idéaliser un peu notre vie. Mais voilà, de même que la fin de cette triste histoire dont je ne soufflerai mot introduit une petite lueur d’espoir, il faut préciser que l’auteure avait promis à ce couple sans enfants que sont son oncle et sa tante, de s’occuper d’eux dans leurs vieux jours en cas de besoin. Le monde est donc aussi peuplé de gens bien, désintéressés et fiables. Des gens qui ne sont pas exclusivement le centre de leur propre monde mais qui, au contraire, font des sacrifices pour leurs proches. Tandis que d’autres ne pensent qu’à eux, voire même, dans certains cas, agissent comme des vautours, adoptant un comportement qui relève de la justice pénale. Un exemple à peine croyable : des voisins qui s’étonnent de ne plus voir des personnes âgées vivant au même étage qu’elles, se livrent à des investigations non pas pour adoucir ces terribles instants de fin de vie mais dans le seul but de se faire passer pour des membres de la même et faire main basse sur les économies d’êtres humains qui n’ont pas de famille. Quelle force, quelle absence totale de scrupule ! On a peine à y croire et pourtant cela existe. Y compris dans la famille elle-même.

L’aventure humaine, nous dit-on, finit toujours mal car au bout du compte, au terme du voyage il y a la mort. Et on meurt très rarement en bonne santé. Les ravages de la maladie d’Alzheimer se font durement sentir, au point que la dite nièce qui a installé ses proches dans un EHPAD, non loin de chez elle, afin de leur rendre régulièrement visite, constate qu’ils ne la reconnaissent pas. Je cite de nouveau un passage qui est terrible et qui illustre sans façon cette réalité d’une vieillesse-naufrage… :
Alzheimer a le pouvoir de la touche erase sur le clavier de mon Mac, de l’encre sympathique, de la marée sur les châteaux de sable, de l’averse sur la marelle, de la gomme sur le crayon HB, de l’éponge humide sur le tableau noir de l’enfance… (p 112)
Je ne voudrais pas dissuader le lecteur de prendre connaissance du contenu de ce livre qui possède, en dépit de tout, un relatif happy end, en multipliant les sombres digressions et la déconstruction mentale d’hommes et de femmes qui ont mené une existence bien remplie, ont créé des richesses, accumulé bien des économies que leurs héritiers convoitent ouvertement, en s’impatientant sans gêne aucune.

Je recommande aussi un petit chapitre où toute la famille se réunit pour fêter comme il se doit, le Nouvel An juif (Rosh ha-shana) ; on y distingue la sœur de l’auteure, récemment convertie au rite libéral qui conduit l’ordre , le séder, au cours duquel on doit consommer des fruits nouveaux. J’ai moins apprécié la référence à des rillettes de porc tartinées sur une galette azyme le jour de Pessah !! Chacun est libre, mais je mets cela sur le désir d’épater le bourgeois, voire de le choquer. De même, l’auteure parle de toute la famille, mais jamais du géniteur de son cher fils : l’a-t-il conçu toute seule ? Intéressant…

Ce roman est très bien écrit, c’est le premier de l’auteure dont on nous assure qu’elle en commettra d’autres, aussi réussis et aussi agréables à lire.

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

 

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