Sobibor 1943: il y a 78 ans éclata la révolte (vidéo)

La construction de la mémoire du camp de Sobibor

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’histoire du camp d’extermination de Sobibor est occultée. Ce n’est qu’en 1965 qu’un premier monument est érigé sur le site, sans mention de l’origine juive des victimes, tout comme ceux érigés à Chełmno et à Belzec en 1964.

En 2019 un centre de visiteurs et un mémorial ont ouvert leurs portes sur le site du camp de Sobibor, ainsi qu’un musée dans lequel sont exposés des effets ayant appartenu aux déportés et retrouvés pendant des fouilles.

Les événements de Sobibor ont inspiré le film Les Rescapés de Sobibor. Le cinéaste Claude Lanzmann, a réalisé en 2001 un documentaire sur la révolte intitulé Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, qui est le témoignage de Yehuda Lerner, un participant survivant.

Thomas Blatt est un des rares rescapés à avoir écrit ses souvenirs du camp. Le dernier survivant connu du camp, Semion Rosenfeld, un soldat juif de l’Armée rouge, meurt en Israël le 3 juin 2019. Il était l’un des prisonniers qui avait réussi à s’échapper à l’occasion de la révolte du 14 octobre 1943.

Semion Rosenfeld (à gauche) et Alexander Pechersky, deux survivants du camp de Sobibor

Semion Rosenfeld (à gauche) et Alexander Pechersky, deux survivants du camp de Sobibor
Crédit : YAD VASHEM HOLOCAUST REMEMBRANCE CENTRE / AFP

Pendant des décennies, on n’eut connaissance que de deux photographies qui montraient le centre de mise à mort de Sobibor en action. En 2020, le Musée de l’Holocauste put acquérir plus de 50 clichés jusque là inconnus, propriété du commandant adjoint du camp Johann Niemann, et partie d’une plus vaste collection dont ont fait don au musée ses descendants. Ils offrent des images du centre de mise à mort comme on ne l’a jamais vu, notamment des photos des baraquements, des ateliers, ainsi que des SS et des gardes ukrainiens.

Certains de ces clichés représentent le personnel de Sobibor riant aux éclats et prenant la pose, alors qu’en même temps ils participaient au massacre de masse d’au moins 167 000 Juifs innocents. Niemann fut tué au cours de l’insurrection des prisonniers le 14 octobre 1943, juste avant la fermeture du camp.

L’histoire du camp: les faits

Processed by: Helicon Filter;

Si Belzec a été le premier des trois camps d’extermination massive construits à la fin de l’automne 1941, dans le cadre de l’Aktion Reinhard 14 confiée au général SS Globocnik, Sobibor, le second, est prêt à entrer en fonction à la fin d’avril 1942.

Il est destiné à la destruction des juifs de la région de Lublin.

 

Carte de l’extermination des juifs (1939-1945): Sobibor est l’un des 6 camps d’extermination 

La construction commence en mars 1942, sous la direction du SS Thomalla. Elle est supervisée par le SS Christian Wirth qui, au début d’août 1942, sera nommé inspecteur des trois camps de l’Aktion Reinhard.

Empilement ordonné de rails avec leurs traverses

Monument reconstituant un bûcher à Belzec

 

Le 28 avril, Globocnik désigne le SS Franz Stangl comme commandant du camp de Sobibor. Il y reste trois mois jusqu’en juillet, où il devient commandant du camp de Treblinka. C’est le SS Franz Reichleitner qui lui succède à Sobibor.

Comme Stangl Reichleitner a fait partie du personnel chargé de l’euthanasie forcée des malades mentaux menée dans le cadre de l’Aktion T4, au cours de laquelle ils ont tous deux travaillé avec Christian Wirth

Ainsi que le relate le SS Erich Fuchs dans son témoignage devant ses juges, au milieu d’avril 1942, Wirth vient assister aux essais :

« Sur les instructions de Wirth, je partis avec un camion pour Lvov, où je pris livraison d’un moteur à asphyxier, que j’ai transporté à Sobibor. C’était un moteur lourd à essence, d’origine russe, vraisemblablement un moteur de blindé ou le moteur d’un tracteur, d’une puissance d’au moins 200 chevaux (moteur en V, huit cylindres, refroidissement par eau). Nous l’avons installé sur un socle de béton et nous avons mis en communication le pot d’échappement et la conduite. Le chimiste, que je connaissais déjà de Belzec, se rendit dans la chambre à gaz avec un instrument de mesure pour vérifier la concentration des gaz. A la suite de ce contrôle, on fit un gazage d’essai. Je crois me rappeler que de trente à quarante femmes furent gazées dans une chambre à gaz. Les juives avaient dû se déshabiller dans un abri ouvert sur les côtés, édifié sur le sol même de la forêt au voisinage des chambres à gaz. Des SS et des auxiliaires ukrainiens les poussèrent vers la chambre à gaz. Lorsqu’elles y furent enfermées, je me suis occupé du moteur avec Bauer. Il a d’abord tourné à vide. Puis nous avons fait passer les gaz de l’échappement libre dans la direction des cellules, de sorte qu’ils parvenaient dans la chambre. Sur le conseil du chimiste, j’ai réglé le moteur à un certain nombre de tours: il n’était plus besoin ainsi de l’accélérer par la suite. Dix minutes plus tard, les trente à quarante femmes étaient mortes. Le chimiste et le Führer SS donnèrent l’ordre d’arrêter le moteur. Je ramassai mes outils 15… »

Au cœur du processus d’extermination, le camp III contient les chambres à gaz, les fosses communes, un baraquement pour les membres du Sonderkommando et un autre pour des gardes ukrainiens.

Les fosses communes, longues de cinquante à soixante mètres, larges de dix à quinze mètres et profondes de six mètres, avec des parois pentues, sont directement reliées à la gare du camp par une voie ferrée étroite pour y amener les cadavres des déportés morts pendant le transport.

Il est ceinturé par des tours de garde et une double barrière de barbelés. Les premières chambres à gaz se trouvent dans un bâtiment en briques, divisé en trois salles identiques, de quatre mètres sur quatre, qui peuvent chacune contenir de 150 à 200 personnes.

Elles sont camouflées en douches avec une installation sanitaire fictive. Les six portes (trois pour faire entrer les victimes, trois pour retirer les cadavres) sont dotées d’une forte garniture de caoutchouc et s’ouvrent toutes vers l’extérieur. Accolé au bâtiment se trouve un appentis où est installé un moteur de char russe T-34 destiné à produire les gaz asphyxiants à travers une conduite spéciale traversant les salles de part en part.

À la fin de 1942, la quasi-totalité des ghettos juifs du Gouvernement général ont été détruits.

Le , Himmler, qui a visité le camp en février, ordonne donc de transformer Sobibor en camp de concentration. Cet ordre signifie l’arrêt de mort des Arbeitsjuden qui travaillent aux quais d’arrivée des déportés et dans le camp III.

Il est évident pour eux qu’étant témoins de l’extermination de dizaines de milliers d’innocents, les SS ne permettront pas à un seul d’entre eux de rester en vie. Ils apprennent le soulèvement des déportés à Treblinka début août et un projet de révolte se met en place.

La révolte de Sobibor éclate en octobre 1943. On ne compte que peu d’évasions à Sobibor en comparaison de Treblinka. Le camp est conçu de telle manière qu’il décourage toute fuite.

Quelques tentatives d’émeutes et d’opposition viennent des nouveaux arrivés, mais sans résultats tangibles.

Comme à Treblinka, les prisonniers sont concentrés dans deux sections et savent qu’ils seront éliminés tôt ou tard.

En juillet 1943, un réseau clandestin se forme et prépare des troubles de grande envergure autour de Léon Feldhendler.

Sur les 600 prisonniers juifs, hommes et femmes, seule une quarantaine fait partie de l’organisation. Le plan veut exploiter la nuit, en creusant un tunnel tout en éliminant les SS attirés dans les différents ateliers.

Pour mener des tentatives d’évasions collectives, les prisonniers organisés doivent résoudre le problème du minage disposé autour du camp.

Un des objectifs prioritaires sera donc d’entrer en contact avec des militaires, spécialistes des affaires de déminage.

Un officier hollandais, Joseph Jacob, est le premier contact de ce genre. Il réunit autour de lui un groupe hollandais qui établit le déroulement des opérations en collaboration avec le groupe de Feldhendler. Des Ukrainiens se joignent à la révolte.

Les prisonniers se préparent à pénétrer dans le dépôt d’armes, pendant que les SS sont dans leur salle à manger.

Ils cherchent à créer une percée à travers l’entrée principale du camp et à s’enfuir dans les forêts avoisinantes, mais le plan échoue. Jacob est arrêté, exécuté ainsi que soixante-douze autres Juifs hollandais.

L’arrivée, en septembre 1943, d’un groupe de prisonniers de guerre russes et juifs, venant de Minsk, marque le tournant de l’organisation du réseau.

Parmi les nouveaux, Alexandre Petchersky 16, surnommé « Sacha », capitaine de l’armée rouge, s’affirme comme le chef de ce groupe. Feldhendler prend contact avec lui et les relations se créent bientôt entre les anciens prisonniers qui connaissent l’endroit et le groupe de soldats entraînés.

Le programme est mis au point en coopération avec les kapos juifs du camp qui demandent à se joindre à l’organisation. Les kapos doivent faire un rassemblement de prisonniers et les mener en rang jusqu’à l’entrée du camp, tout en donnant à cette démarche un caractère officiel suivant les instructions du jour.

La révolte est déclenchée 14 octobre 1943

Onze SS sont tués sans un coup de feu, et parmi eux, Neumann le commandant du camp. Les fils de téléphone et d’électricité sont débranchés, les véhicules sont sabotés. Mais à cause d’un incident, la marche vers le portail se transforme en champ de tirs.

Nombre de prisonniers se dirigeant vers le champ de mines sont tués dans l’explosion. Sur les six cents prisonniers, trois cents réussissent à franchir les barbelés et à s’enfuir.

La révolte de Sobibor et les pertes qu’elle coûta aux SS feront une grande impression. Les SS composent une unité spéciale chargée de traquer les fugitifs.

Sobibor est relativement proche des forêts, et cet élément est favorable aux évadés. Piechersky et ses hommes traversent le Bog à l’est et se joignent aux partisans russes. Plus tard, Piechersky publiera ses mémoires 17, et relatera la période au camp, l’organisation et la réalisation du plan de fuite.

Feldhendler sera tué en avril 1945, par des Polonais qui assassinent des rescapés.

Cette révolte organisée fut l’une des trois qui éclatèrent dans les camps d’extermination, avec celle de Treblinka le et celle du Sonderkommando de Birkenau le .

Après la liquidation de la révolte du 14 octobre 1943, les SS dissimulent toute trace du camp en plantant de nombreux arbres sur son site et en y construisant une ferme d’aspect anodin.

Pour l’ensemble de la période d’activité du camp, Raul Hilberg estime le nombre des victimes à plus de 250 000.

Selon l’un des rares rescapés, Thomas Toïvi Blatt, on comptait 550 prisonniers le 14 octobre 1943. Le nombre d’évadés s’élève à 320.

En ôtant les prisonniers repris et exécutés, ceux qui ont été assassinés dans leurs cachettes, le plus souvent par des « autochtones hostiles », ceux qui sont morts les armes à la main dans les rangs des partisans…, on aboutit à un chiffre de 58 survivants

Semion Rosenfeld est resté caché des mois dans les bois, jusqu’au printemps 1944, a réintégré l’armée soviétique et participé à la prise de Berlin, selon la presse israélienne. A Auschwitz, il n’y eut aucun survivant à la révolte, à Treblinka, une dizaine.

En avril 2019, à la mort de Semion Rosenfeld, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a présenté ses condoléances à la famille du défunt, selon la chaîne Kan. « Rosenfeld avait combattu dans l’Armée rouge, avait été fait prisonnier par les nazis, il a réussi à s’enfuir du camp de la mort et a continué à lutter contre le nazisme. Que sa mémoire soit bénie », a-t-il dit.

Six millions de juifs ont été exterminés par l’Allemagne nazie. Selon des chiffres de l’Institut national des statistiques israélien publiés en 2017, 212.300 personnes vivant en Israël étaient des survivants de la Shoah, sur une population de 8,7 millions. Sur ce total, 63.500 étaient des rescapés des ghettos, des camps de travail, des camps de concentration et d’extermination, ou ont vécu dans la clandestinité.

Adaptation par Jforum octobre 2021

Portrait de groupe de quelques-uns des participants au soulèvement du camp d’extermination de Sobibor. Pologne, août 1944. US Holocaust Memorial Museum

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires