Roger Boulanger fait visiter à son ami Achille Muller le site du camp de concentration du Struthof.Photo L’Alsace
Originaires tous deux de Forbach, Roger Boulanger et Achille Muller avaient refusé de porter l’uniforme de la Wehrmacht. L’un a été arrêté et déporté au camp de Natzweiler, l’autre a réussi à rejoindre l’Angleterre. Ils se sont retrouvés, hier, au Struthof. Le plus en colère n’est pas celui que l’on croit.
Textes : Yolande Baldeweck Photos : Jean-Marc Loos 
Source: L’Alsace
 À 91 ans, Roger Boulanger n’a pas oublié le jour où il est entré dans le camp de Natzweiler-Struthof.
« Le portail n’était pas comme cela. Là c’était pour le cinéma. Il y avait une porte avec deux simples battants à l’époque » , corrige-t-il à l’attention de la directrice du site, Frédérique Neau-Dufour qui confirme : « C’était pour le tournage du “Bal des maudits”. »
Un excellent titre pour le récit de Roger Boulanger, un Mosellan déporté pour avoir refusé l’incorporation de force dans la Wehrmacht.

En mai 1943, le jeune homme de Forbach, alors âgé de 17 ans, voulait rejoindre Londres, en partant de la Suisse. « Les Suisses nous ont livrés aux Allemands » , raconte-t-il sans acrimonie. Condamné à six mois de prison à Sarreguemines, il n’obtempère toujours pas et se retrouve déporté au camp de concentration de Natzweiler.

Trois mois qui en ont duré six !

« À notre arrivée, lors de l’appel, nous étions obligés de dire pourquoi nous étions là. L’un d’entre nous a dit autre chose que ce qui était indiqué sur le fichier des SS. Il a été battu par deux kapos qui ont sauté ensuite sur lui à pieds joints. Il est mort un mois après d’une infection pulmonaire » , se souvient Roger Boulanger.

Pour lui, « ces trois mois ont duré six mois dans sa mémoire ». Il en frissonne encore et les visiteurs du Struthof, qui se sont arrêtés pour l’écouter, sont captivés par son récit. En janvier 1944, il est envoyé dans un camp annexe de Flossenburg, près de Bayreuth. De fait une usine. « Les nazis avaient besoin de main-d’œuvre pour leur armement » , commente-t-il. Début 1945, le camp est vidé, les déportés jetés sur les routes… Roger réussit à s’évader. Il est caché dans la forêt « grâce à des travailleurs volontaires en Allemagne » , puis rentre chez lui le 20 mai 1945.

À son côté, Achille Muller, un des vétérans les plus décorés de France, cache mal sa colère, après la découverte de l’ancien camp. « Le traitement réservé par ces salopards de SS aux déportés me met en rage. Si j’en avais croisé un, je l’aurais fait fusiller » , fulmine Achille, l’ami de Roger.

Leurs familles habitaient la même rue à Forbach. D’un an son aîné, Achille s’est enfui de la Moselle annexée (comme l’Alsace) le 14 juillet 1942, six semaines avant le décret sur l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans. « Mon père m’avait dit : “Tu n’écoutes personne. Tu marches devant toi…” »

Et il a réussi, contrairement à d’autres, à rejoindre de Gaulle en l’Angleterre. Là, il s’engage comme parachutiste dans les commandos SAS, chargés de sauter derrière les lignes ennemies. C’est en uniforme de la Royal Air Force que ce Français libre, qui a participé aux combats de la Libération, revient à Forbach fin 1945, à la faveur d’une permission.

« Pas de pardon collectif »

« Voir Roger m’avait donné un coup au cœur. Il était physiquement diminué. J’étais en tenue de guerre glorieuse. Il y avait tant de bonheur pour moi et tout le malheur pour lui » , lâche Achille, encore ému. Mais Roger Boulanger le tiendra pourtant pour mort, quelques années plus tard. « La rumeur circulait dans la rue », se souvient-il. Car après ses classes à Coëtquidan en 1946, Achille Muller entamera une carrière militaire qui le mènera d’abord en Indochine. « Fait prisonnier par les Viets, j’avais été porté disparu » , dit-il. Mais il s’en sortira, combattra en Algérie et s’installera à Pau.

Roger, qui vit à Reims, a choisi d’être professeur d’allemand – « c’est tout ce que je savais à la Libération ». Depuis des années, il se fait un devoir d’accompagner des classes au Struthof. « Le travail de mémoire est important. Il n’y a pas de faute collective. Mais pas non plus de pardon collectif. Le pardon doit être personnel. Aucun SS ne m’a demandé pardon » , explique-t-il. Achille semble approuver. Les deux hommes se sont retrouvés, il y a deux ans, grâce à Philippe Baijot, un entrepreneur rémois qui avait lu leurs ouvrages respectifs. Et les a retrouvés.

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