Patrick Timsit : « On trouvait Sarkozy vulgaire avec son “Casse-toi pauv’ con !”, il était juste précurseur »

Patrick Timsit à partir du 13 octobre à la Comédie des Champs-Elysées. (JOEL SAGET / AFP)
Patrick Timsit à partir du 13 octobre à la Comédie des Champs-Elysées. (JOEL SAGET / AFP)

Commençons par un lieu commun : les humoristes deviennent fous. Vrai ou faux ?

Patrick Timsit Faux. J’adore cette phrase de Salvador Dali : « La différence entre un fou et moi, c’est que moi je ne suis pas fou. » Il ne faut pas confondre la folie et le fait d’être fou. Les humoristes deviennent fous, mais les artistes aussi. On leur donne trop la parole, on leur demande un avis sur tout. Ça fait partie des dix raisons pour lesquelles je décide d’arrêter, d’ailleurs. Nous sommes fous de nous sentir obligés d’avoir un avis sur tout. J’ai rencontré quelques chercheurs dans ma vie, cool, humbles. Eh bien, j’ai remarqué qu’au bout d’un moment, je finissais par leur donner des conseils. Un peu comme Trump qui proposait d’éradiquer la Covid à coups de perfusions d’eau de Javel. On aurait tous un peu de Trump en nous.

En tant que citoyen, nous avons tous le droit d’avoir des avis. De là à opposer, de là à suggérer, non ! On a le droit d’être en colère – elle est même nécessaire – mais pourquoi penser qu’on aurait la solution à laquelle personne n’a pensé… Les journalistes n’y échappent pas, avec cette profusion de chaînes d’information. L’idée est bonne, mais le racolage et la course à l’audience les conduisent à organiser des débats en forme de reality-show. Il n’y a plus un débat sans polémique. Pour un débat serein et intelligent, il reste le service public. J’y trouve mon compte. Donc, un avis, oui ; des solutions à tout, non.

Vous êtes jeune pour faire vos adieux. Quelle est la véritable raison qui vous pousse à arrêter ?

Les dix raisons que je donne sur scène sont toutes vraies. Les sportifs arrêtent jeunes, pour des raisons physiques, j’en ai aussi. La peur de la perte de mémoire, par exemple. Donc, j’ai de vraies raisons, mais je suis dans l’obligation d’en parler de manière personnelle et originale, et de finir par en rire.

Donc, la vraie raison ?

La peur du spectacle de trop, de ne plus être inspiré. A un moment, j’ai arrêté le one-man-show pendant treize ans. J’ai privilégié mon confort, celui de ne pas partir en tournée, de ne pas avoir à répondre à des questions embarrassantes, d’avoir peur de ne pas être drôle dans une émission de divertissement, l’embourgeoisement. La dixième raison, c’est que j’en ai marre d’entendre « Timsit est méchant ». Il n’y a jamais aucune méchanceté dans mes propos, c’est simplement mon style d’humour.

Vous vous en prenez nommément à vos contemporains : Marc Levy, Cyril Hanouna et j’en passe.

Je ne les attaque pas, je ne suis pas agressif, je les vanne. C’est tout ! Je commente les choses qui m’entourent, dans la culture, dans le divertissement, en politique. Ces choses qui m’alimentent, m’intéressent, me mettent en colère parfois. Dans ce dernier spectacle, je demande pardon à tous ceux que j’ai blessés et humiliés… en ne parlant jamais d’eux. Je rattrape cette injustice en citant d’autres. Est-ce de la méchanceté ? J’aime la magie du lapin, ou de la colombe, qui sort du chapeau quand on ne l’attend pas. J’aimerais que les gens dans le public pensent pouvoir finir ma phrase, mais que ce soit une autre phrase qui surgisse, les surprenne, leur fasse plaisir.

Avez-vous la tentation Guy Bedos de commenter l’actualité comme il le faisait sur scène avec sa fameuse « Revue de presse » ?

En cassant du caillou, Guy Bedos nous a ouvert des chemins, des perspectives, j’ai pour lui un respect infini. Reiser a été un déclencheur pour moi, mais Guy Bedos est un homme immense, même si je trouve que la fin n’a pas été à la hauteur de sa grandeur. Trop long. On vit trop vieux, c’est horrible de dire ça. Alors, quand il s’agit de ma mère de 93 ans ou d’Edgar Morin, je pense l’inverse. Je pense à eux et tout à coup je cesse de me démoraliser sur les années qui passent. Celles qui restent, j’ai envie de les croquer. Contrairement à Bedos, je n’ai pas eu envie de faire mes adieux avec un best-of de mes sketchs, où le public aurait terminé mes phrases, parce qu’il les connaît par cœur. Je préfère qu’on ait envie de me retenir. Le thème des adieux est très inspirant. C’est une émotion forte, il ne restait plus qu’à la développer.

Quel rôle pour l’humoriste dans la société ?

Il n’y a pas un seul rôle possible. Personnellement, je le considère comme un observateur. D’où Reiser, d’où Bedos. Bedos a commencé par le divertissement au côté de Sophie Daumier, puis il a entamé une carrière solo d’humoriste-observateur. Il mettait le doigt là où ça fait mal. J’adore son sketch sur le voyage au Maroc, quand il dit : « Il y a un nombre d’Arabes ! ». Il dépeint le beauf-raciste-ordinaire qui se rend à peine compte des énormités qu’il prononce. Je pense aussi à cet autre personnage qui feuilletait « Lui » ou « Playboy », et qui s’exclamait : « Elle est où ta culotte, la salope ? ». C’était une défense de la femme, on ne peut pas le prendre autrement compte tenu de la façon dont il l’interprète. Personne n’a envie de ressembler de près ou de loin à ce gars-là. J’adhère à cette manière de caricaturer la société. De la même manière que derrière le personnage du gros dégueulasse de Reiser, je voyais de la tendresse. À cette époque, je me disais que si les gens voyaient aussi cette tendresse dans le talent absolu de Reiser, alors je pouvais essayer de devenir humoriste à mon tour.

Est-ce que la formule du « rire de résistance » vous parle ?

Comme je vous le disais, à un moment de ma vie j’ai arrêté le one-man-show : confort, bourgeoisie, je n’avais pas besoin de me secouer. Jusqu’au jour où je me suis réveillé en réalisant que je n’avais jamais fait l’Olympia. On me l’avait proposé, mais j’avais refusé considérant ce lieu mythique comme un bâton de maréchal. Et puis, l’Olympia est devenu un objectif. J’ai retrouvé la force, le courage, l’envie de me remettre à écrire. Le Rond-Point, c’est pareil. Jean-Michel Ribes me propose de m’exprimer dans ce lieu qui est précisément celui du « rire de résistance », où j’ai d’ailleurs croisé plus d’une fois Guy Bedos lors d’événements organisés par Ribes. Alors, oui, la résistance, l’opposition, c’est ce qui fait vivre, ce qui anime. L’opposition, mais pas l’agression, ne pas chercher à être forcément contre.

Votre vie débute quasiment par un attentat. Dans votre Alger natale, vous subissez la déflagration de la caserne d’en face.

Oui, j’ai 2 ans, une bombe explose, la baie vitrée vole en éclats, je suis soufflé, recouvert de bris de verre. Mon père décide que nous quittons l’Algérie dans l’heure. C’est d’une violence. J’en ai eu des réminiscences en voyant des Ukrainiens contraints de quitter leurs maisons. Je n’ai pas été élevé dans le « on a tout perdu », mais dans la chance d’être arrivé en France. Aujourd’hui, j’ai ma maison de famille dans le Gard, parce qu’il m’a fallu me réinventer des racines. Que ce soit à Alger ou à Paris, nous avons toujours vécu avec les musulmans. Mon père a vendu sa petite boutique à un musulman algérien qui l’a payée jusqu’au dernier centime. Ma mère avait des boutiques de maroquinerie à Barbès et Château-Rouge, sans problème. Chez elle, c’était la cour des miracles. A 10 ans, j’y ai rencontré mon premier transsexuel. Je me souviens de cette phrase extraordinaire de ma mère : « N’aie pas peur, mon fils, cet homme est une femme. » Et lui me dit : « Je ne suis pas un homosexuel, je suis un cas médical, je suis XXY. » Pour finir, nous avons fêté au champagne l’opération de cet homme devenu femme.

Que pensez-vous de la dégradation des relations entre les communautés ?

Elle est, comme dans toute dégradation, mue par une peur, une non-connaissance de l’autre. C’est toujours la même chose : on a peur, on devient raciste, agressif… On ne connaît pas le sujet, donc on le redoute. La peur n’évite pas le danger.

Dans votre métier, l’antisémitisme est un sujet ?

C’est un sujet de la vie tout court. Je n’aime pas la victimisation, le communautarisme : quand on se ferme, on s’attire des emmerdes. Quand j’entends une phrase qui n’a l’air de rien mais qui n’est pas anodine en réalité, je réagis. Je réagis comme je le fais chaque fois que je suis confronté au racisme.

En avez-vous été victime dans votre milieu professionnel ?

Non, puisque le cinéma est aux mains des juifs (rires). Je n’ai pas non plus de mauvais article dans la presse, puisque les médias sont aussi aux mains des juifs (rires). C’est la meilleure attaque que j’avais trouvée contre Dieudonné. J’étais le premier à dire qu’il ne fallait pas l’interdire de salle. Au début, il prend un bide avec une mauvaise blague, comme ça peut nous arriver à tous. Je parle de l’époque où il intervenait dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel. On faisait des battles, il disait que je n’étais pas un humoriste mais un vendeur d’encyclopédies. Moi, je prétendais qu’il fallait le comprendre et je racontais cette blague : ça part d’une petite grippe, Dieudonné va voir un médecin, tous les médecins sont juifs. Dieudonné, fait une blague sur les juifs, mais seuls les juifs peuvent faire des blagues sur les juifs. Faut le savoir. Le médecin juif le prend mal, il attaque Dieudonné en justice, qui prend un avocat, mais tous les avocats sont juifs. Dieudonné place à la banque l’argent qu’il a gagné avec le procès, mais tous les banquiers sont juifs, et ils donnent leur argent à Israël (rires). Etc. J’ajoutais : « Qu’est-ce qu’Elie Semoun a bien pu faire à Dieudonné pour qu’il devienne à ce point antisémite ? » Je pense qu’il faut laisser les antisémites s’exprimer. Soral et consorts ne peuvent pas dire « je n’aime pas les juifs », c’est un délit, alors ils parlent de « cette communauté »« des sionistes », etc.

Ça vous ennuie que l’antisémitisme soit un délit ?

Parfois, oui. Parce que, au moins, on n’aurait pas de doutes. Bien souvent, pas toujours, mais l’antisionisme c’est de l’antisémitisme. Tant qu’on exprime ce qu’on est sans donner à l’autre les arguments pour convaincre de changer, ça me va – presque.

A ce sujet, qu’avez-vous pensé de la polémique née à la mort de Jean-Luc Godard ?

Je suis contre la cancel culture. C’est compliqué. Sur les faits, Gérard Darmon a raison. Godard c’est un grand personnage du cinéma, mais je n’ai jamais préféré ses films à ceux de Truffaut par exemple. Une fois passée l’époque de la Nouvelle Vague, il est devenu caricatural, ses films ne m’intéressaient plus.

Vous ne retenez même pas « A bout de souffle » ?

N’est-ce pas uniquement le talent d’être aller chercher Belmondo ? De réunir Bardot et Piccoli dans « le Mépris » et d’avoir choisi un immense compositeur ? Je ne sais plus. Le personnage de Godard a dépassé le respect que je peux avoir pour son cinéma. Bien sûr, « A bout de souffle », bien sûr, « le Mépris », mais après il ne fait que décliner et, au bout d’un moment, on finit par aimer davantage le personnage pour ses interventions à la télé.

Jean-Luc Godard, le Platon du cinéma. Godard a choisi le suicide assisté. Quelle est votre position sur le sujet ?

Je serais plutôt pour. J’ai vu mon père souffrir énormément durant les quatre dernières années de sa vie, je n’ai jamais rien fait pour que ses souffrances soient abrégées. C’est vraiment à l’intéressé de prendre ce genre de décision, et non pas à ses enfants.

Votre ami Vincent Lindon…

Mon jumeau ! Nous sommes tous les deux nés le 15 juillet 1959, nous nous en sommes rendu compte sur le tournage de « la Crise » [le film de Coline Serreau, sorti en 1992, NDLR].

Donc Vincent Lindon qui va dans les médias pour la promotion d’un film… et ne la fait pas. Au lieu de cela, il s’engage frontalement. Est-il à sa place ?

Oui, c’est la place de l’artiste, du moins jusqu’au moment où il dit : « Moi, ce que je proposerais… » C’est la phrase de trop. Mais moi aussi je peux tomber dans ce piège. Aujourd’hui, on a tellement vulgarisé la politique. On trouvait Sarkozy vulgaire, mais il était juste précurseur. Son « casse-toi pauv’ con ! » c’est devenu du vieux français, du Rabelais en politique. Aujourd’hui, n’importe qui peut comprendre la politique, donc n’importe qui peut en faire. Voyez Zemmour ! J’adhère au coup de gueule de Vincent, à ceci près que nous ne sommes pas habilités à proposer des solutions. Je pourrais avoir ce débat avec lui. Il parle de la Coupe du Monde au Qatar…

Oui, donc ?

… Motivons et éduquons les supporters. Ça y est, vous voyez, je donne une solution. Mais c’est vrai. On le sait depuis combien d’années que cette Coupe du Monde aura lieu au Qatar ? Combien d’années qu’ils sont en construction ? Combien d’esclaves sont morts sur ces chantiers ? Combien ont financé le football et les frères musulmans ? Il faut se positionner ! Il y a les intérêts économiques. J’ai été stupéfait d’entendre des journalistes dire récemment : « Maintenant, les intentions de Poutine sont claires. » Il y a deux ans, les mêmes expliquaient ce que Poutine avait en tête et ils avaient raison. Donc, pourquoi ce « maintenant » ? Il a toujours été clair, Poutine : quand il veut quelque chose, il le prend. Un pays voisin ? Il le prend. La vie d’un journaliste ? Il la prend. Open bar sur l’existence. Personne ne l’arrête. Je repense à Balavoine et à ce moment formidable où il pousse son coup de gueule face à Mitterrand pour qu’il entende qu’il y a un problème avec la jeunesse : elle ne peut pas s’exprimer, ça va exploser. Mitterrand le comprend en direct, il a fallu que Balavoine hausse le ton. Donc, oui, c’est le rôle d’un artiste de pointer les problèmes et les incohérences du doigt, quitte à ce qu’on lui réponde qu’il est à côté de la plaque.

Donc, quelle est votre position sur le boycott de la Coupe du Monde au Qatar ?

Boycottons, oui, mais depuis le jour où la Coupe du Monde a été accordée au Qatar, depuis de début des travaux, depuis qu’il a décidé d’installer la climatisation. C’est un acte qui peut mériter des sanctions, sauf que le Qatar tient l’économie. Quelles sont les sanctions économiques possibles sur le Qatar ?

Avez-vous des engagements personnels ?

Oui, bien sûr. Ils sont personnels, comme vous dites, et ils vont le rester. Je garde ma pudeur. Je ne donne pas tout parce que je ne dois pas tout. Je donne sur scène, mais par exemple je laisse à mes enfants leur propre vie, leur propre identité. Je les emmerde suffisamment avec la mienne et ce poids qu’ils auront, ce sac à dos « Patrick Timsit ».

Sophie Delassein l’OBS

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Match ly

J’espère que ce n’est pas un admirateur de Edgar Morin cette pourriture qui crache sur ses origines de Juifs

Franck DEBANNER

Propos vraiment décevants de Patrick TIMSIT.
Il est profondément dans la mouvance tendance « woke », à la mode en francekipu.