Qu’allons nous devenir?

Maurice Ruben Hayoun le 20.03.2020

Saurons nous un jour le fin mot de ce qui nous arrive, si toutefois l’humanité peut encore avoir un avenir et se permettre une projection dans le temps qui vient ?

Le moment n’est plus aux questionnements et pourtant l’intellect humain ne peut s’empêcher de s’interroger, car c’est ce qui marque sa différence d’avec les animaux : comparer ce qu’il vit avec ce qu’il a vécu précédemment ; en tirer des leçons, envisager ce qui ne lui appartient guère, à savoir le temps qui vient et qui viendra quoiqu’il arrive, avec ou sans lui…

Des questions, toujours des questions pour comprendre comment, à l’encontre de touts nos pouvoirs, de notre science, de notre technologie avancée, de notre conquête de l’espace, bref de toutes nos prouesses dans tous les domaines, comment ce qui arrive nous est arrivé.

La première de toutes les questions est la surprise, le désarroi, l’incroyable qui s’avère, la mise à l’arrêt de pays entiers, du monde dans son entièreté. Est ce suffisant de faire le procès de la mondialisation ?

Me revient en mémoire une métaphore sur le fameux village planétaire qui commence ainsi : le battement d’aile d’un papillon au Japon provoque une sorte de cataclysme à l’autre bout du monde… Curieuse solidarité des différentes parties de notre monde, tant qu’il s’agit de papillons, cela peut encore aller mais quand il s’agit d’une pandémie qui menace jusqu’à notre existence, les règles du jeu ne sont plus les mêmes.

Même si la maladie , l’infection sont des processus biologiques normaux, afférents au genre humain, il existe toujours un arrière-plan, un sous texte que seuls quelques uns savent et veulent déchiffrer.

Oh, je ne vais pas vous proposer une lecture théologique de l’Histoire, un décodage qui irait se réfugier dans des catégories mentales proches de l’idée de Transcendance.

C’est une éventualité dont il faut tenir compte, mais qui est devenue si éloignée de notre esprit, suite à l’expulsion totale de Dieu et de toute idée théologique dans notre pensée occidentale, laquelle a presque entièrement coupé les racines judéo-chrétiennes de notre culture et de notre civilisation.

Je souhaite m’expliquer pour couper court à tout malentendu : confiner ( sans jeu de mot désagréable) cette pandémie à une simple matérialité des faits serait gravement insuffisant.

Je penche un peu vers une sorte de métaphysique de la maladie, une sorte de message qui va bien au-delà de l’infection et de ses conséquences les plus visibles : des personnes de plus en plus infectées, des morts sans qu’on puisse expliquer cette surmortalité puisqu’elle touche pratiquement toutes les classes d’âge…

Il faut, certes, tenir compte en priorité de ce qui nous arrive, mais cela doit se faire parallèlement à une réflexion approfondie, transcendant les faits sans les nier.

Un virus qui n’est visible qu’avec un très puissant verre grossissant s’abat sur tous les pays du monde ; il nous serait venu de Chine, donc d’Asie, où il a fait ses premières victimes.

Sur place, les autorités n’en croyaient pas leurs yeux et, eu égard à la nature du régime communiste, on a d’abord voulu adopter une attitude politique : on nie les faits, on fait le dos rond jusqu’à retour à meilleure fortune.

Mais voilà les faits sont têtus et ces précieuses semaines perdues ont permis au virus d’envahir le monde entier. Les conséquences sont connues : si l’on en croit les données communiquées par les autorités chinoises (fait significatif : le président Trump parle du virus chinois ou de la maladie chinoise…) le danger semble contenu puisqu’on ne déclare plus d’infection locale, les nouveaux cas provenant tous d’un milieu exogène. Est ce vrai, est ce faux ? L’avenir nous le dira.

Lorsque le Talmud rend compte d’un événement grave, et la pandémie en est un, il utilise l’expression suivante : la destruction s’esr abattu sur le monde (Hourban ba la olam).

L’auteur sur lequel j’ai fait ma thèse de doctorat d’Etat, Moïse de Narbonne (1300-1362), était contemporain de la peste noire (1348) et déplore qu’elle tue indistinctement tout le monde, les bons et les mauvais… Mais pour notre auteur, c’était une punition divine, une calamité venue du Ciel…

Revenons sur l’arrière-plan ou ce que je nomme le sous texte de la pandémie : le fait que cela nous arrive à un moment où, en France comme ailleurs, les crédits de la santé sont considérablement réduits et que le statut de l’homme, de son humanité et de sa dignité soient relégués à l’arrière-plan, oui tout cela ne devrait pas être négligé.

Certes, on viendra à bout de cette pandémie, ce n’est pas la première crise à l’échelle mondiale qui s’abat sur nous, mais ses séquelles psychologiques ne doivent plus être négligées.

Tout le monde en convient : depuis l’homme de la rue dont la sagesse est devenue proverbiale jusqu’au président du conseil scientifique qui épaule l’actuel président de la République, tous sont d’accord pour reconnaître que nous ne vivrons plus comme on le faisait avant cette redoutable épreuve.

Je pense que cela touchera l’échelle des valeurs, les déséquilibres économiques mais aussi spirituels entre les nations de la terre et la disqualification de l’argent –roi, du profit à tout prix, quoiqu’ il en coûte.

L’exemple le plus terrible qui me revient en mémoire n’est autre que le honteux débat autour du nombre de jours chômés à accorder à des couples ayant perdu un enfant. Je ne mentionne personne nominalement, mais c’est un péché dont rien ni personne ne pourra jamais effacer le caractère honteux.

Cela a provoqué une indignation des plus légitimes. Qu’on ait rectifié le tir postérieurement ne change rien au fond de l’affaire. Ce déni de conscience morale restera à tout jamais dans les annales ministérielles. Cela montre que tant la Bible que La cité de Dieu de Saint Augustin n’ont pas eu tort de dire que seule la loi divine compte, à défaut de celle instituée par d’humaines mains.

Je lisais récemment des Propos d’Alain (mort en 1950) qui détruisait jusqu’à l’idée même de Providence et disait que «nous étions pourris théologiquement…» Étrange de la part d’un philosophe qui se disait chrétien athée…

Il a fallu cette terrible pandémie pour replacer l’Homme avec un H majuscule au centre de nos préoccupations. L’économie mondiale à laquelle, par incompétence, je ne comprends rien, est elle aussi, durement frappée. Et je ne m’en réjouis pas, croyez moi.

Mais aurais je la cruauté de rappeler de les médecins urgentistes, ceux là même qui sont soumis à rude épreuve, sont en grève depuis presque un an, et réclament à cor et ç cri, sans être entendus, que l’on cesser de couper trop les crédits de santé, que le hôpitaux sont contraints de faire des économies, etc…

Et aujourd’hui, on est bien content de les trouver, alors qu’on n’a même plus assez de masques pour les équiper. La même chose vaut des policiers qui se mettent en danger en protégeant les autres.

Je ne dirai mot du maintien des élections municipales, mesure en grosse contradiction avec les autres préconisations d’un genre opposé (restez chez vous, ne sortez pas, confinez vous, etc…). Là aussi, ce sont des intérêts de basse politique qui l’ont emporté sur l’obéissance aux règles morales.

Que l’on me comprenne bien. Je n’incrimine guère l’actuel gouvernement ni ne conteste globalement les mesures prises par lui, j’ai même des doutes sérieux sur sa survie après la pandémie. Il saute aux yeux qu’il faut tout reprendre ab ovo… Le peuple, les peuples, n’accepteront plus d’être gouvernés comme ils le sont aujourd’hui. Après demain ne ressemblera guère à hier.

Un certaine nombre de mesures prises sous la contrainte auraient dû l’être bien avant et dans un climat social apaisé. Même les gilets jaunes dont je condamne les actes de violence étaient un signe avant-coureur de la maladie spirituelle de nos sociétés. Mais qui se souvient de cette terrible phrase assassine prononcé par qui vous savez : … la démocratie ne se joue pas que le samedi après-midi

En cette époque qui manque cruellement de ces grands vigiles que sont les prophètes bibliques, il faut bien se ressourcer dans notre Bible qui demeure la grande charte de l’humanité civilisée.

Huit siècles au moins, avant notre ère, les vieux prophètes hébreux mettaient en garde contre des fléaux menaçant la société contemporaine : les injustices, le manque de solidarité, les inégalités économiques, la promotion de la réussite financière à tout prix, l’idéalisation de quelques footballeurs millionnaires à la fin de chaque mois, la mise au rebut de presque toutes les valeurs morales… Et la liste est loin d’être exhaustive.

L’homme s’est cru autorisé à chercher sa propre origine en lui-même. Quelle grave erreur. L’épisode que nous vivons nous prouve l’étendue de cet aveuglement.

Les gestes-barrières proposés par le gouvernement actuel visent à sauver des vies. Il faut les respecter à tout prix, même si certaines contradictions laissent apparaître un inquiétant état d’impréparation. Il faut unir nos efforts et nos prières ( que l’on croie ou pas) pour que les soignants, si maltraités par le gouvernement actuel finissent par découvrir un traitement ou un vaccin.

Il nous faut une philosophie politique orientée différemment. C’est la seule leçon à tirer de cette terrible épreuve. Et elle est de taille.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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Ixiane

ET …. ce n’est que le début des tribulations

Alain Bricoune

Bravo Professeur pour votre claivoyance. Vous dites les choses mieux que personne.. Je vous souhaite une longue vie afin de continuer a vous lire.