Le chasseur de nazis, à la fois historien et détective INTERVIEW – Après la localisation en Hongrie de Laszlo Csatary, le criminel de guerre nazi le plus recherché du monde, Efraïm Zuroff*, le «chasseur de nazis» qui dirige le centre Simon-Wiesenthal à Jérusalem confie au Figaro.fr les difficultés de sa mission.
Efraim ZUROFF: Des centaines.
Après la Seconde Guerre mondiale, il était impossible pour l’Allemagne de juger tous les responsables du génocide.
Ils ont donc choisi de se concentrer sur les officiers.
Maintenant, l’Allemagne accepte de poursuivre en justice toute personne qui a commis des crimes de guerre, à condition qu’il y ait suffisamment de preuves.
D’abord, c’est un travail d’historien: on a des chercheurs en Allemagne, dans plusieurs pays d’Europe de l’Est et en Argentine qui étudient les archives pour trouver les noms des responsables.
Ensuite, c’est du travail de détective, pour localiser le criminel.
Par exemple, on a trouvé Charles Zentai , un officier hongrois «traqueur» de Juifs, en épluchant les registres électoraux australiens puisque le vote est obligatoire dans ce pays.
Enfin et surtout, c’est un travail de lobbyiste, pour pousser les États à passer à l’action et poursuivre les criminels en justice.
C’est précisément à cela que sert la fameuse liste des «10 criminels nazis les plus recherchés», sur laquelle Laszlo Csatary figurait en premier: attirer l’attention médiatique et politique sur ces cas.
Le classement répond à trois critères: le niveau hiérarchique, l’implication personnelle dans des meurtres de Juifs, et l’échelle du crime.
Ainsi, Laszlo Csatary était très important du point de vue du premier et du dernier critère, puisqu’il était commandant de police et qu’il est responsable de la mort de 15.000 Juifs.
Cette opération a été lancée en 2002 dans les pays baltes pour essayer de dénicher des criminels que l’on n’aurait pas encore identifiés.
L’idée est d’offrir une récompense financière à toute personne qui aurait une information.
La prime était de 10.000 dollars, maintenant elle est de 25.000.
Mais en réalité, comme on ne la donne que si l’on aboutit à une condamnation, on ne la donne presque jamais…
N’empêche que grâce à cette opération, on a récolté 630 noms, parmi lesquels 9 se sont avérés être des cas sérieux, qui ont été ajoutés à la liste des nazis les plus recherchés.
C’est dans le cadre de cette opération qu’un informateur nous a donnés il y a dix mois des renseignements permettant de localiser Laszlo Csatary à Budapest.
C’est très difficile.
Le premier problème est que les procédures prennent du temps.
Or ces criminels nonagénaires sont en train de mourir les uns après les autres…
Ensuite, de nombreux pays ne coopèrent pas du tout pour les expulser.
En Europe de l’Est, les pays sont très réticents à juger ces crimes.
Au Canada, il n’y a aucune volonté politique de livrer les ex-nazis, qui sont pour la plupart originaires d’Europe de l’Est.
Lorsque les autorités découvrent le passé criminel de leurs ressortissants, certains sont dénaturalisés mais ils sont souvent renaturalisés par la suite et aucun n’est jamais expulsé.
Aux États-Unis en revanche, 75 personnes ont été dénaturalisées et 54 expulsées.
Sans doute cette différence d’attitude s’explique-t-elle en partie par le fait que la communauté juive est plus importante aux États-Unis et que la communauté d’immigrés d’Europe de l’Est est plus importante au Canada.
Elles sont rares mais elles ne sont pas le seul critère de succès de l’opération.
Même si l’on n’arrive pas au procès, le fait d’obtenir la révocation de la nationalité d’un criminel est déjà en soi une petite victoire.
Rien que le fait d’exposer publiquement le passé de certaines personnalités a valeur de punition.
Dans le cas de Charles Zentai par exemple, son entourage n’était pas du tout au courant…
Par ailleurs, on marque des points sur d’autres fronts.
Dans les années 1990, j’ai découvert que le gouvernement lithuanien avait pardonné et réhabilité des criminels de guerre nazis.
Grâce à cette révélation, 200 réhabilitations ont été annulées.
Laura Raim / Le Figaro.fr Article original
Deux citoyens canadiens figurent sur la liste des 10 criminels de guerre nazis les plus recherchés au monde établie par le centre Simon Wiesenthal.
Mais le directeur de son bureau de Jérusalem, l’historien et «chasseur de nazis» Efraim Zuroff, craint qu’ils ne finissent leurs jours sans jamais être traduits devant la justice pour leur participation présumée aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale.
«C’est ce que je crains, dit M. Zuroff.
Je prie pour que leurs dossiers soient traités.
Mais le Canada a un historique terrible pour ce qui est d’amener les criminels de guerre devant les tribunaux.
Ou plutôt, de ne jamais les amener devant les tribunaux.»
Depuis 1995, le centre Simon Wiesenthal a identifié au moins 16 criminels de guerre nazis qui ont immigré au Canada après la guerre.
Neuf d’entre eux sont morts au cours du processus pour révoquer leur citoyenneté.
Ladislaus Csizsik-Csatary, retrouvé par des journalistes britanniques en Hongrie, est l’un des deux Canadiens à avoir quitté le pays de son propre gré.
Vladimir Katriuk, 91 ans, et Helmut Oberlander, 88 ans, qui figurent sur la plus récente liste publiée par le centre Simon Wiesenthal, vivent toujours ici.
En 17 ans, aucun homme soupçonné d’être un criminel de guerre nazi n’a été déchu de sa citoyenneté canadienne et renvoyé vers l’Europe.
Escadron de la mort
Pendant la guerre, Helmut Oberlander, né en Ukraine, a été auxiliaire d’un escadron de la mort nazi, l’Einsatzkommando 10a (EK 10a).
Cette équipe faisait partie de groupes spéciaux de police qui, dans les territoires de l’Est occupés par l’armée allemande entre 1941 et 1944, ont été responsables de l’exécution de plus de 2 millions de personnes.
Depuis plus de 15 ans, le Canada tente de révoquer la citoyenneté de M. Oberlander, qui avait caché son appartenance à l’escadron lors de son arrivée au pays.
Mais M. Oberlander vit toujours en Ontario.
«Pourquoi est-ce que cela prend si longtemps?
Tout simplement parce qu’il y a moins de volonté politique qu’aux États-Unis», déplore Efraim Zuroff.
Selon l’avocat du B’nai Brith, Steven Slimovitch, la traque de criminels de guerre n’a jamais beaucoup suscité l’intérêt des autorités canadiennes.
«Il existe une lacune politique pour les dénaturaliser.
On dit qu’on veut le faire, mais est-ce qu’on monte une équipe pour faire bouger les dossiers?», demande-t-il, sceptique, en faisant référence aux 17 années de démarches pour expulser Léon Mugesera, idéologue présumé du génocide du Rwanda.
Vladimir Katriuk, qui vit avec sa femme dans une ferme d’Ormstown, en Montérégie, ne sera jamais expulsé, assure son avocat, Orest Rudzik.
«Le gouvernement n’a pas assez de preuves», dit-il.
D’origine ukrainienne, M. Katriuk a été enrôlé dans un bataillon sous commandement allemand pendant la guerre.
Mais il soutient n’avoir jamais participé à une action militaire, et s’être joint à la résistance après son déploiement en France, aux côtés de l’armée allemande, en 1944.
Mais une recherche universitaire de la revue Holocaust and Genocide Studies a apporté au printemps de nouveaux témoignages sur la participation active de M. Katriuk aux actions armées du bataillon, dans le massacre de civils à Katyn.
Selon le National Post, le B’nai Brith a rencontré le gouvernement pour lui demander de rouvrir le dossier de M. Katriuk.
«Nous n’avons jamais eu de nouvelles, répond M. Rudzik. Mon sentiment, c’est que le gouvernement en a marre de ces dossiers »>Article original.»
M. Katriuk, qui a travaillé dans un abattoir de Montréal jusqu’à sa retraite et s’est converti à l’apiculture, a été rendu «nerveux» par plus d’une décennie de processus avec le gouvernement fédéral.
Il ne souhaite pas s’expliquer publiquement.
«Le gouvernement s’engage à traduire en justice les personnes impliquées dans des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides.
Nous révoquerons la citoyenneté des individus qui l’ont obtenue frauduleusement, pour assurer que le Canada ne soit pas un refuge pour les criminels de guerre», affirme de son côté Alexis Pavlich, porte-parole du ministre de l’Immigration, Jason Kenney.
Le Canada a renvoyé 17 criminels de guerre au cours de la dernière année, et plus de 500 depuis 1997, selon l’Agence des services frontaliers.
Annabelle Nicoud / La Presse.ca Article original
TAGS : Shoah Simon Wiesenthal center Zuroff Opération Dernière Chance
Odessa Zentai Csatary Budapest Antisémitisme Nazis Katriuk
Oberlander Canada Katyn