A la veille des fêtes de Pessah 5778 il a paru intéressant de nous pencher sur un sujet rarement abordé: la résurrection des morts. Pour nous éclairer suivons la pensée de Raphaël Draï ( 1942-2015) Zal.

Le judaïsme, pour le désigner par ce terme générique, a suscité tant de pensées aberrantes que le travail de plusieurs générations suffirait à peine pour en nettoyer les incuries.

Parmi ces aberrations, l’affirmation obtuse selon laquelle le judaïsme n’admettrait pas la résurrection des morts, qu’il en a fallu lui en implanter l’idée par le moyen du christianisme et cela non sans qu’il continue de renâcler et d’en rabattre.

Par où l’on peut une fois de plus mesurer la malfaisance des stéréotypes et continuer de s’interroger sur les mobiles de qui les invente, les promeut et les propage.

Car de cette même pierre deux mauvais coups sont simultanément portés, d’une part contre la réalité de la pensée juive sur un tel sujet mais d’autre part sur la qualité morale d’un christianisme qui serait porté pour se faire valoir à soutenir une pareille contre-vérité.

A n’en pas douter, la résurrection tient une place essentielle dans le christianisme mais d’où ce corps de croyance la tient-il, généalogiquement, sinon de la pensée d’Israël? Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur ce que le judaïsme entend, le plus exactement possible, par cette expression érigée néanmoins en article de foi: « la résurrection des morts », en hébreu « téh’iat hamétim », littéralement la reviviscence des morts, leur re-vie, si l’on pouvait ainsi s’exprimer.

L’on procédera à cette investigation en trois temps: comment le judaïsme aborde t-il une question aussi « limite »? Ensuite, puisque la résurrection en question est bien celle des morts, que faut-il entendre par ce terme: méthim? Enfin, cela mieux compris, quelle est l’intentionnalité du concept de résurrection des morts, de téh’iat hamétim?

Est-il indispensable d’ajouter que les vues à venir en un tel domaine sont strictement exploratoires, qu’elles ne prétendent à aucune inculcation doctrinale.

Elles se veulent strictes matière à penser mais à penser aussi juste qu’il soit possible, justesse factuelle et justice morale car l’on ne finira pas de s’étonner en songeant que la peuple qui s’est tant attaché à l’idée de « re-vie » a été celui que les menaces d’extermination ont sans cesse placé à rebours de ses dilections les plus fondamentales et les plus fondatrices.

Prenons en ce sens notre point de départ chez Maïmonide, l’auteur des « 13 articles de foi » par lesquels s’expriment les croyances et les espérances d’Israël, pour ne pas dire ses certitudes.

La résurrection des morts fait partie de cette tabulation qui complète les dix Paroles du Sinaï. Ne pas donner corps à la certitude que cette résurrection assurément adviendra serait renier la foi juive, parjurer l’enseignement de la Thora et renier Dieu.

Autant se le tenir pour dit: aborder un pareil sujet commande vraiment d’en discerner toute la portée. Qui peut ignorer que l’homme soit mortel? Que sa durée de vie, serait- elle celle de Mathusalem, n’est pas inextensible? Qu’elle est caractérisée par une finitude ontologiquement prédéterminée et biologiquement « programmée »?

Ce fait une fois admis n’empêche pas d’en discerner les modulations, à commencer par celle-ci: certes l’homme est mortel, mais il l’est au degré individuel. Peut-on extrapoler cette mortalité au degré cette fois de l’Humain, car il faut bien distinguer dans le récit de la Genèse tout particulièrement, l’homme individuel, adam, et l’Humain, au sens générique: Haadam.

Grammaticalement, l’article défini fonde également toute la différence ontologique. Les hommes individuels meurent. L’Humain leur survit et se proroge par le biais de ce qu’il est convenu de nommer les générations: en hébreu toldot, et l’on observera que le mot est employé pour la première fois dans ce récit biblique non pas directement à propos de l’Humain mais à propos des engendrements des cieux et de la terre (Gn,2,4).

Comme s’il était d’ores et déjà donné à comprendre que la vie – terme que nous allons retrouver maintes fois – n’était pas unimodale, unidimensionnelle, immuable, sans pour autant se faire inconstante et dissipative. Il convient de le relever sans tarder pour éviter l’erreur selon laquelle ce schéma aurait été élaboré après -coup et à titre rétroactif pour conjurer l’idée de mort apparue dans la Création en y provoquant perplexité, sidération et peur parfois panique.

Ainsi pour Maimonide la résurrection des mort est partie intégrale de la foi d’Israël considérée comme attestation (êdout) relative à la consistance de la Vie, à ce qu’est la Création en tant que telle. Et pourtant, du même mouvement, ce sujet est de ceux auxquels l’auteur du « Michné Thora » recommande instamment de pas s’attarder, de ne pas s’y croire en promenade.

Résultat de recherche d'images pour "maimonide"

Maïmonide (1135-1204)

 

Avec celui du Messie il faut en saisir la tonalité, les données essentielles, et puis s’occuper de tout ce qui constitue la vie présente, avec ses obligations, ses normes, ses règles, son intelligence.

En quelque sorte vivre une vie pleine, exhaustive, si l’on osait dire comme s’il n’y avait pas de résurrection dont l’anticipation de l’idée risquerait de diminuer l’intensité de la vie présente mais savoir que cette résurrection est de volonté divine, qu’elle adviendra selon cette volonté et dans le temps de Dieu. Alors, modérantisme, pusillanimité, et pourquoi pas appréhension par le penseur de se confronter à l’idée de sa propre mort?

Il ne le semble pas puisque remontant de Maimonide à ses sources, il faut relever que l’affirmation du principe de la résurrection des morts se trouve explicitement dans le « Siddour », dans le livre des prières quotidiennes, au moins à trois reprises: lors des prières successives et complémentaires du matin, de l’après-midi et du soir, et cela dans les termes qui ne sont pas superficiels de la prière sans doute la plus axiale de tout le rituel: le Chemonéi Êsrei, « les 18 bénédictions », et l’on relèvera sans attendre que le chiffre 18 en cette numérologie correspond exactement au mot « vivant »: h’ay.

Le texte de la prière du matin, de chaha’rit, dispose ainsi exactement et structuralement:

« Tu es fort (guibor) universellement (léôlam) Maître (Adonaï), Tu fais revivre les morts, Toi … ».

Suivent deux modulations, l’une pour les saisons pluvieuses, l’autre pour la saison de rosée. Et la prière continue par ces mots:

« Tu sustentes la vie par bénévolence, tu fais revivre les morts par compassions nombreuses, tu soutiens ceux qui tombent, tu soignes les malades, tu libères les prisonniers, et tu relèves confiance en toi chez ceux qui gisent dans la poussière; qui est comme toi Maître des forces et qui pourrait être comparé, souverain qui fait mourir et qui fait revivre et qui fait germer les salvations ».

D’où ces deux axiomes emboîtés:

   « Tu fais foi (nééman) au sujet de la résurrection des morts.

   « Béni sois tu Eternel qui fait revivre (meh’ayé) les morts ».

Ce véritable paradigme se retrouvera dans toutes les autres prières de la journée et dans celles du chabbat. L’affirmation est loin d’être annexe, anecdotique ou allusive. Il s’agit d’une quintuple déclaration, d’une proclamation qui donne leur ton et leurs sens aux autres bénédictions qui vont se déployer désormais.

On aura néanmoins prêté attention à une formulation particulière et spécifique du principe: « Souverain qui fait mourir et qui fait revivre ». Elle est décisive puisqu’elle rapporte le fait de la mort au Créateur lui même, la résurrection apparaissant mais ensuite, comme s’il fallait que les deux choses fussent liées et qu’elles le soient de sorte que la mort, sans être déniée, fût immédiatement profilée dans l’affirmation corrélative de résurrection dont le contenu reste à élucider.

Une autre observation s’impose à propos de cette prière méticuleusement élaborée à l’époque du second Temple, lui même symbolique d’une reconstruction, si ce n’est d’une résurrection.

La résurrection des morts n’y est pas évoquée de manière exclusive ou isolée: elle ouvre à une série d’affirmations qui concernent toutes la résistance de la vie, qu’elle soit corporelle ou spirituelle, individuelle ou collective, à ce qui la contre-bat: maladie, misère, captivité.

Là encore, comme si la résurrection constituait une tête de chapitre dont tous les paragraphes fussent cohérents entre eux et synergisent les forces, les guévourot, dont le Créateur est la source, la guévoura désignant la force effective mais régulée, consciente: la force créatrice. (A suivre)

Raphaël Draï (zal)

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

8 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Photini Mitrou

Quelle idée étrange que celle de la résurrection? Aucun élément scientifique ne permet cette espérance. C’est seulement une peur humaine, celle de la mort, et un désir humain, celui de ne pas mourir, qui sont à l’origine de la chose la plus impensable, inventée par des gens pour calmer notre peur et, à commencer, par la leur. Cela dit, nous, nous mourons (cela ne m’enchante pas, cela me fait même carrément kier), nous, nous mourons donc, ce qui veut dire que nous ne sommes plus en vie, mais nos atomes restent dans l’air. Si c’est ça la résurrection, nos atomes indestructibles, alors depuis que je suis née j’ai dû ressusciter des milliards de fois.
Je n’y crois absolument pas et aucun beau discours ne changera ma pensée et pourtant… j’espère.

Ratfucker

Le dogme de la Résurrection des Morts a donné lieu il y a peu à des dérives infantiles et un peu idolâtres sur la réincarnation des âmes. Par exemple sous la forme du « Livre d’Annaëlle », préfacé par Joseph Sitruk. Quelques fidèle pressés ne souhaitant pas attendre le Gilgoul Nechamot, ont imaginé faire de l’argent et vendre ces balivernes sur papier à des crédules qui se prennent pour des croyants.

gerardnium

Rapael Dra Z l etait un penseur du judaisme et de son temps, il nous manque beaucoup. Mais malheureusement nous avons à supporter les declamations des tenants de la ‘foi du charbonnier’. Le judaïsme est glorifié par M Drai et d’autres penseurs qui l’enrichissent .

[…] Parmi ces aberrations, l’affirmation obtuse selon laquelle le judaïsme n’admettrait pas la résurrection des morts, qu’il en a fallu lui en implanter l’idée par le moyen du christianisme et cela non sans qu’il continue de renâcler et d’en rabattre.Lire la suite sur jforum.fr […]

Thierry Michaud-Nérard

Hommage éternel à cet homme merveilleux !

Ephraïm

@Yacotico
Vous semblez , d’après vos propos ,être bien ignorant de ce que professe le Judaïsme profond ;il existe malheureusement au sein du Peuple Juif depuis le siècle de l’émancipation des milliers de Juifs qui renient la Foi Juive ,Dieu , et parjurent l’enseignement de la Thora mais ILS RESTENT JUIFS si nés de mère juive et soyez certain que Monsieur Draï était parfaitement informé de cette vérité .

yacotito

je lis: « Ne pas donner corps à la certitude que cette résurrection assurément adviendra serait renier la foi juive, parjurer l’enseignement de la Thora et renier Dieu. »
Qui est raphael DraÏ pour juger de qui est juif et qui ne l’est pas ? est-il mandaté par le seigneur pour une telle déclaration ?
La foi en le seigneur implique humilité, et la liberté concedée à tout un chacun de le vénérer à sa façon. La foi defie toute logique, elle croit ce qui n’est pas prouvé et par consequent peut varier d’un individu à l’autre selon sa sensibilité. nul n’a le droit de dire: « c’est comme cela et pas autrement ». C’est peut etre le sens de l’episode de Babel: le seigneur n’aime pas la pensée unique.

Dans le cas contraire, on ne vaut pas mieux que les gens d’en face !
C’est aussi la beauté de notre religion, le fait que l’on puisse en debattre sans se taper dessus, ni s’insulter, car est-il une insulte pire que de dire à un juif qu’il ne l’est pas ?

Marc

Il y a chez Yacotito une profonde incompéhension de la pensée de Raphaël Draï Z’l, qui conteste ici des dogmes chrétiens qui feraient de la résurrection une exclusivité post-christique, dont la pensée juive se serait montrée inepte.

Mais alors, se lancer dans une longue diatribe contre cet homme vénéré de son vivant par la richesse et la grande diversité de sa pensée dense, hardie, s’est démontrer qu’on se gourre complètement d’ennemi et de causes à défendre. En fait, ce forum conçu pour permettre l’échange d’idées entre soi et au-delà, ne donne bien souvent que le triste spectacle du déchirement ad hominem où je me prends le premier grand Juif qui passe et parfois trépasse, comme cible de tout mon besoin de me montrer tellement supérieur à lui! Pourriez-vous nous épargner tout le mal que vous pensez de l’auteur et vous concentrer un peu sur son sujet, sur le contexte dans lequel il s’ex^prime et les raisons fondamentales de son propos? Le déni que le Judaïsme ait pu concevoir ce sujet exclusivement revendiqué par le Christianisme… « Pour qui se prend Raphaël Draï »? On croit rêver devant l’arrogance de tels propos. Et ça fait mal à ceux qui l’ont approché.