« Contrairement aux pieds-noirs, les juifs étaient en Algérie depuis mille ans ».

La Marseillaise : Qu’est qui vous fascine dans l’histoire et la présence des juifs en Algérie ?

Alice Kaplan : Je suis moi-même juive, américaine. Je suis allée à Alger pour étudier Albert Camus et voir la façon dont il avait vécu. J’écrivais une sorte d’autobiographie de son livre L’Étranger [En quête de « L’Étranger », 2016, Ndlr]. Chemin faisant, j’ai commencé à voir des signes de judaïsme de façon un peu étrange, par exemple la grande synagogue devenue mosquée, mais que les gens appellent toujours « la mosquée des juifs ». Mon éditrice en Algérie, Selma Hellal, m’a dit un jour: « C’est une absence qui pèse dans la société algérienne car les juifs ne sont pas dans le même cas que les pieds-noirs, ils étaient là depuis 1 000 ans ». Elle m’a dit que c’était un beau projet pour quelqu’un comme moi qui venait de l’extérieur, dans la mesure où je ne suis ni Algérienne ni Française. Elle m’a présenté les gens qui composent plus ou moins la dernière famille juive à Alger. Ils ont bien voulu m’ouvrir et partager les portes de leur histoire. On a donc décidé que je ferai, non pas un livre d’histoire, mais une fiction. Car dans une fiction, on peut raconter des émotions, des points de vue différents. Je pouvais ainsi représenter une jeune américaine qui tombe amoureuse d’un Algérien.

Qu’est ce qui vous a poussé à croiser dans ce roman l’histoire de juifs d’Algérie, avec celle d’une famille d’immigrés lituaniens aux États-Unis ?

A.K. : C’est ça qui intéressant justement. C’est fascinant que ces deux personnes puissent être juives, malgré le fait que le rapport à leur religion s’exerce de façon complètement différente. C’est pour cela que j’écris dans l’incipit du livre que c’était quand même une sorte de glissement brutal tectonique. Souvent on aime chez l’autre ce que l’on n’a pas. Emily aimait beaucoup la façon dont Daniel était attaché à ses racines, car dans sa famille, on n’en parlait jamais. Elle était même fascinée par la topographie d’Alger avec toutes ses collines, car elle venait d’un pays très plat. Et lui était fasciné par cette vie américaine où être juif n’était ni dangereux ni spécialement intéressant. Cela m’a permis de rentrer dans la tête de chaque personnage. C’est la différence qui est intéressante dans la fiction, n’est-ce pas ?

Votre roman montre aussi en creux la vie des juifs en Algérie et de leur histoire qui connu de nombreux soubresauts…

A.K. : Je ne sais pas si les gens savent tous que les juifs sont devenus Français par un décret d’État. Ce n’est pas quelque chose pour lequel ils avaient lutté dans la mesure où ils ont reçu la nationalité française en 1870 avec le décret Crémieux. Et, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, avec le statut des juifs, il y avait une clause spécifique pour les juifs d’Algérie qui disait qu’ils n’étaient plus Français. Ils ont perdu leur citoyenneté. J’ai donc essayé d’imaginer ce que cela a pu représenter pour cette famille et surtout pour le grand-père qui était un notable de la Casbah. Il n’avait plus le droit de voter. Cela a été un choc terrible, même si bien sûr on ne peut pas comparer cette situation avec l’Holocauste et ce qu’il s’est passé en Europe. Mais sur une autre échelle, c’était déstabilisant. Surtout qu’en 1942, avec la libération de l’Afrique du Nord, la citoyenneté n’était pas restaurée tout de suite, ils ont dû attendre encore un an.

L’un des objectifs de ce roman était de « casser le cliché France-Algérie », et de « repenser ce couple en substituant l’Amérique à la France ». Pourquoi ?

A.K. : D’abord, je suis Américaine, donc j’écris depuis ma position. Il y a tant de controverses et polémiques autour de la relation entre les Français et les Algériens. C’est comme un couple divorcé qui n’arrive pas à régler son histoire. Et je me suis demandé ce qu’il se passerait si je mettais un vrai couple dans mon roman, entre une Américaine et un Algérien. D’après ce que me dit mon éditeur, c’est le premier roman algérien avec un personnage principal qui est américain.

Dans « Maison Atlas », la dernière famille juive d’Alger militait pour l’indépendance de l’Algérie. Pourquoi était-il important de le souligner ?

A.K. : Il faut comprendre pourquoi cette famille avait envie de rester en Algérie. Elle était fortunée, donc évidemment c’était une motivation. Mais en même temps, ils avaient une vraie affection pour le pays. Tous ceux qui ont vécu cette libération de 1962 ont un amour, un sens des responsabilités pour l’Algérie indépendante. Mais c’était important de souligner cet engagement [dans son incipit elle cite: « Alors que les tombes de nos ancêtres sont en Algérie depuis des millénaires, préfèrerions-nous devenir ailleurs des étrangers », Ndlr]. C’est une déclaration attribuée à des juifs algériens par le FLN, que Benjamin Stora avait rapportée.

« Maison Atlas ». Éditions Le bruit du monde. 21 euros.

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Bonaparte

La différence entre les pieds noirs , les Juifs d’Algérie et l’OAS ?
Les Juifs étaient installés en Algérie avant les français .
Les français étaient des colons….pas les Juifs .
Oui il y avait des Juifs dans l’OAS majoritairement antisémite .
Les juifs n’avaient pas le choix….ils ont choisi la France malgré Vichy .
Et qui trouvons nous parmi les premiers résistants ? Les Juifs avec les Aboulker et Cie .

Comme on le voit tout celà est trés compliqué .

Bonaparte

Un de mes amis qui vivait à Mostaganem me racontait qu’un de ses voisins français et antisémite l’avait sollicité avec des menaces déguisées afin d’adhérer à l’OAS .
Et par ailleurs des juifs adhéraient par idéal à l’OAS .

Trés compliqué ……
car les Juifs étaient de bons patriotes et n’avaient pas le choix de suivre la majorité même si en 40 elle était vichyste .

Asher Cohen

On désignait par pieds noirs en Algérie des gens venus de l’Europe du Sud, après 1840 et surtout 1870, attirés par l’essor économique lié à l’entreprise coloniale francaouie. On les appelait pieds noirs à cause de bottes noires qu’ils portaient en visitant leurs terres. Ils descendaient d’espagnols, italiens, maltais, corses et grecs. On y a ajouté des alsaciens venus après la guerre franco-allemande de 1870, des germanophones après 14/18, des républicains espagnols après 1939, et quelques personnes fuyant l’Europe de l’est après 1945. Les pieds noirs venus d’Europe du sud étaient des catholiques extrêmement antisémites, très jaloux du statut de citoyen des Juifs. Antidreyfusards très violents, allant jusqu’au meurtre, ils furent les auteurs des crises antisémites d’Oran et d’Alger, des années 1898, dans le cadre de l’Affaire Dreyfus. Malgré cela, ils se sont opposés à la loi de 1909 qui leur imposait la conscription obligatoire dans l’armée francaouie. Beaucoup ont ainsi refusé de répondre à l’appel de mobilisation générale en septembre 1914. Durant les années 1930, ils manifestaient constamment pour demander l’abrogation de l’infâme Décret Crémieux. Quand l’antijuif Pétain a finalement promulgué cette abrogation le 7 octobre 1940, ‘la joie est revenue dans leur coeur’. Ils jouissaient des Lois Raciales antijuives et de l’aryanisation des biens et entreprises saisies aux Youpins, qu’ils ne se sont pas privés de piller. Quand après le 11 novembre 1942, les Juifs sont partis combattre dans le CFA avec les américains, les pieds noirs sont restés fidèles au tueur et traître Pétain, puis au minable antijuif Giraud, en 1943. En 1962, De Gaulle déclarait qu’il ne considérait pas ces Sanchez, Lopez, Perez et Martinez, comme des français, et il ne voulait pas d’eux en Métropole.

Les photographies présentées dans cet article montrent bien que les Juifs d’Algérie n’avaient rien à voir avec les pieds noirs, qu’ils ne fréquentaient d’ailleurs jamais. Les attributs vestimentaires, chech rouge, culotte bouffante saruel, turban, etc révèlent leurs habitudes de vie à l’époque ottomane, dans la Régence d’Alger.

Durant la guerre d’indépendance de 1954/62, les Juifs, considérant qu’ils n’étaient en rien responsables de la Réalité Coloniale, ne prenaient aucun parti, à l’exception de rares Juifs tunisiens et de l’est algérien qui ont soutenu le FLN. La grande majorité des Juifs d’Algérie étaient plus pauvres que les pauvres, et les petits commerçants et artisans Juifs n’ayant même pas le certificat d’études primaires, n’avaient aucune connaissance en économie pour prendre conscience de la Réalité de l’exploitation impérialiste coloniale. Ils ne pouvaient donc pas se mêler de ce qu’on appelait hypocritement ‘les évènements’, quand la francaouie maintenait un million d’hommes en armes en Algérie, dépotoir des problèmes politiques de la fausse nation francaouie post-vichyste. C’est quand le FLN a annoncé son projet d’État musulman, que les Juifs d’Algérie se sont rabattus sur la France.

En 1962, à Oran, s’était constituée une branche juive de l’OAS, totalement indépendante des pieds noirs antijuifs, et reliée directement au Général Jouhaud par un correspondant particulier. Elle n’agissait que dans un but de défense de la Communauté Juive et était armée par Israël. Ben Gourion qui avait pourtant approuvé les accords d’ Évian, avait déclaré que face aux défaillances de la Francaouie, Il était du devoir de l’État Juif d’assurer la sécurité des Juifs en Algérie.

C’est en 1962 que les politicaillons francaouis pervers ont inventé le faux concept de juif pied noir, qui n’a aucune base objective. Le but étant de chercher à manipuler l’identité des Juifs d’Algérie, que Ben Gourion venait de donner à De Gaulle, pour essayer de leur faire oublier qu’ils étaient Juifs. et les rendre francaouis avant d’être Juifs. On a essayé de leur laver le cerveau en les déconnectant de leur histoire réelle, de leur faire apprendre que leurs ancêtres étaient les gaulois, et qu’ils devaient étudier l’histoire de la francaouie. Une super manipulation politique!

o.icaros

« Contrairement aux pieds-noirs, les juifs étaient en Algérie depuis mille ans ». Il me semble que la présence juive en « Algérie » est beaucoup plus ancienne. Mille ans cela fait remonter la présence juive à 1022 mais j’ai toujours cru, mais je ne suis pas une spécialiste de l’histoire des juifs, qu’ils étaient là avant l’arrivée des arabes. Ils étaient même probablement déjà là à l’époque romaine. Ecrire une fiction, ok, la fiction porte sur les personnages, mais le cadre historique doit être respecté.

Charles DALGER

Ce roman est bien une fiction !
Les Pieds-Noirs, c’était, tous les Français d’Algérie. Dont les Juifs.
Sauf une poignée de pseudo intellos, à plus de 95%, les Juifs d’Algérie étaient contre l’indépendance. Surtout à cause de ce qu’on appelait pas encore les « islamistes » et que nous devons appeler les nazislamistes.

Jean-Jacques Amerein

Oui, Didier Nébot m’a bien éclairé sur les tribus oubliées d’Israël, sur la Kahéna, « les chemins de l’Exil », « Le dernier commandement »