Certains avaient semblé s’accommoder de la seconde place de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle.
Maintenant, ils paraissent se satisfaire qu’elle n’ait réalisé « que » 33,9% des voix au second tour (loin des 40% espérés), au terme d’une campagne épouvantable et d’un débat télévisé calamiteux, où elle s’est révélée telle qu’elle est, en digne fille de son père. Nonobstant la fragile victoire d’Emmanuel Macron, en raison de la forte progression de l’abstention et du vote blanc, y a-t-il vraiment de quoi se réjouir ?

On oublie que la candidate du FN a rassemblé sur son nom environ 10,6 millions de voix, soit plus de trois millions de plus qu’au premier tour, et près de deux fois plus que Jean-Marie Le Pen en 2002, lequel était proche du niveau électoral zéro en 1981, lors de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. On oublie qu’il s’agit pour l’essentiel non de nostalgiques du nazisme ou d’apprentis fascistes, comme on le croit chez ceux qui se prennent pour Malraux allant combattre le franquisme en Espagne, mais de citoyens appartenant pour l’essentiel à la France des oubliés.

On oublie que Marine Le Pen a réussi ce score en ayant contre elle tous les autres partis (à part les débris de Debout La France), les églises, les médias, les plus brillants éditorialistes (et même les autres), les intellectuels, les « experts », le Medef, les stars du CAC 40, les banquiers, les traders de la city et de Wall Street, le FMI, les syndicats, les francs-maçons, les scientifiques, les féministes, les gays, les associations de défense des droits de l’homme, les ONG, les personnalités morales, les représentants de l’Union Européenne (ce qui n’est pas forcément un handicap), les artistes, les sportifs emmenés par Zinedine Zidane, et même Barack Obama.

A part quelques signaux de Donald Trump et les encouragements de Vladimir Poutine, la candidate du FN n’avait aucun appui de prestige. C’est heureux, d’ailleurs. On ne saurait reprocher quoi que ce soit à tous ceux qui ont appelé à lui barrer la route de l’Elysée, même si les admonestations morales sont souvent contre productives. Il n’empêche. A l’arrivée, malgré des appels parfois pathétiques à se rendre à l’école de son quartier en rangs serrés pour « bien » voter, Marine Le Pen enregistre le plus haut score jamais réalisé dans l’histoire par une représentante de l’extrême droite. Ce n’est pas (encore) Waterloo, mais ce n’est plus Austerlitz.

On a rarement vu pays plus coupé en deux entre le haut et le bas, entre la France qui donne de la voix et celle qui a le sentiment de ne plus en avoir.

Sauf à se boucher les yeux, à s’enfoncer la tête dans le sable et à se mettre des bouchons dans les oreilles, on a rarement vu pays plus coupé en deux entre le haut et le bas, entre la France qui donne de la voix et celle qui a le sentiment de ne plus en avoir. Sauf à avoir l’esprit embrumé par l’arrivée de l’été, il est difficile de ne pas réaliser que l’opposition de classe, au sens littéral du terme, s’exprime à l’état brut, surtout si l’on tient compte des abstentionnistes et de ceux qui ont voté blanc. Ce n’est pas une fracture, c’est un gouffre.

Cette situation est explosive, car l’un des partis qui expriment majoritairement la colère populaire apporte les pires des réponses. Par son effet repoussoir, le FN est devenu l’épouvantail idéal des puissants. Au premier tour, cette mécanique diabolique a été partiellement endiguée par le succès de Jean-Luc Mélenchon. S’il a raté le coche du second tour de peu, le candidat des Insoumis s’est installé comme l’autre pôle de représentation de la France d’en bas. Quoi que l’on pense de son message, il faut verser dans le procès d’intention le plus caricatural pour lui demander de rendre des comptes démocratiques, comme l’ont fait certains.

Si Marine Le Pen n’est pas arrivée en tête à l’issue du premier tour, si elle a commencé à laisser des plumes dans les quartiers populaires, c’est à Jean-Luc Mélenchon qu’on le doit. Force est de reconnaître que la France Insoumise a su redonner dignité et confiance à des salariés écrasés par l’angoisse, à des gens humbles et inquiets qui forment d’ordinaire le gros des troupes électorales du FN, sans oublier des jeunes qui ont adhéré au dynamisme de sa campagne.

Cette élection a ainsi vu s’affirmer un courant qui refuse la mondialisation néolibérale, le libre-échangisme béat, le monde merveilleux de l’euro, sans pour autant proposer le repli nationaliste et ethnique

Le tournant est historique tant le courant se revendiquant de la gauche de rupture semblait vouer à la marginalisation. Cette élection a ainsi vu s’affirmer un courant qui refuse la mondialisation néolibérale, le libre-échangisme béat, le monde merveilleux de l’euro, sans pour autant proposer le repli nationaliste et ethnique derrière une ligne Maginot, comme on le rêve au FN. En attendant de savoir ce qui va se passer lors des élections législatives, exercice qui tient de la lecture dans le marc de café, tout reste donc à faire pour enrayer le fossé entre les deux France.

Jamais, depuis les débuts de la Vème République, un Président aura été élu avec une aussi faible assise populaire. Emmanuel Macron se retrouve ainsi tel Sisyphe face à son rocher. S’il a réussi une performance politique incontestable, le candidat du mouvement En marche ! va entrer à l’Elysée par défaut, par rejet des autres candidats, et notamment de Marine Le Pen. Plébiscité par les élites, il apparaît comme le digne représentant du « cercle de la raison » cher à Alain Minc. Il a surfé sur le mythe des start-up, l’uberisation généralisée, et la flexibilité (sans la sécurité). Il est resté droit dans des bottes confectionnées dans le cuir des entreprises délocalisées, fidèle au carcan idéologique conçu et breveté par les grands clercs d’une Union Européenne qui craque de partout.

Dans ces conditions, l’avenir s’annonce des plus incertains tant la France aurait besoin de neuf, dans tous les domaines, ne serait-ce que pour empêcher la résurgence des réflexes de peur et de repli. On ne pourra pas rejouer 2017 en 2022 et compter à nouveau sur le rejet de l’extrême droite pour sauver des meubles qui auront été hypothéqués par la crise. Autant dire que l’heure n’est pas à l’autoglorification et à l’extase collective.

Sans vouloir établir la moindre comparaison historique, on serait tenté de renvoyer à ceux qui font la fête, en s’imaginant un futur bordé de fleurs épanouies, la formule attribuée à Daladier au retour du voyage de la capitulation à Munich, avec Chamberlain, face à la foule qui les acclamait : « Ah, les cons. S’ils savaient ! ».

Jack Dion

Source : Marianne

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GUIBORAT

Ceux qui ont voté pour Madame Le Pen n’appartiennent pas seulement à « la France des oubliés » mais ils appartiennent aussi au « refus de l’ islamisme à tout crin et de l’immigration galopante ». Les journalistes qui énoncent  » leur vérité » feraient bien de vivre avec 1.000€/mensuels ou moins (pour les retraités) dans des villes ou des quartiers où l’on n’osent plus sortir à partir d’une certaine heure.
C’est la peur devant la détérioration grandissante des valeurs de la France qui fait voter F.N. et surtout pas l’antisémitisme et le fascisme. Cela c’est les insultes que l’on ressort, chaque fois, pour dévaluer ceux qui ne votent pas Mr Macron.
Avez-vous regardé le nombre d’antisémites faisant parti de l’entourage très proche de Mr Macron ? Pour tous les Juifs qui ont voté pour lui je peux dire :  » Ah , les cons. S’ils savaient !! «