Marc Luyckx, Le chemin de l’être. Au-delà des religions. Plon, 2023.

Ce genre de titre, ce genre d’ouvrage, suscite généralement chez les gens sérieux et les vrais chercheurs une première réaction de méfiance, pour ne pas dire de rejet. Car ils font de la recherche du bonheur sur terre une sorte de fonds de commerce. En d’autres termes ils exploitent la misère humaine, très répandue de nos jours, chez des individus seuls ou involontairement isolés. Abandonnés de tous, errant d’une société à l’autre, dans l’attente du remède miracle ou du médecin providentiel…

Quand on regarde ce que cherchent toutes ces catégories d’êtres humains en gésine d’un bonheur presque inaccessible, on aboutit à un seul mot : l’équilibre, l’apaisement, en un mot, le bien-être Comment vivre enfin heureux dans ce monde et dans le cadre de nos sociétés contemporaines ?

Je conserve cette méfiance après la lecture un peu rapide du présent ouvrage. Mais j’ai aussi appris certaines choses, notamment cette légende hindoue qui ouvre le livre et dont je résume le contenu en quelques mots : tous les hommes sont nés avec la dignité de la divinité, sorte de paraphrase de l’idée biblique que Dieu a créé des êtres qui lui ressemblent… Mais voila, ils mésusent de cette dignité et la divinité suprême décide alors de leur ôter ce privilège et s’interroge sur la meilleure façon de soustraite cette prérogative à l’ingéniosité humaine : au fond de la terre, au fond des océans, au ciel ou partout ailleurs, mais aucune solution ne fut retenue en raison de la capacité des hommes à découvrir le lieu de la cachette. C’est alors que la divinité suprême eut une idée : il faut cacher ce privilège divin au fond de l’homme, là où nul n’aurait l’idée de le chercher.

C’est tout l’enjeu du livre. Et c’est ainsi que l’on aboutit à la fameuse marxisme delphique : Connais toi toi-même et t rien ne te sera caché de l’univers et des cieux… C’est ce principe qui a irrigué toute la pensée occidentale de Platon à Heidegger… Et c’est aussi cette recherche concernant l’être…

La clé du bonheur humain gît au cœur même de l’être humain. C’est de là que s’origine l’être, ce mystère que chacun de nous s’ingénie à retrouver sans savoir qu’il lui suffit de sculpter sa statue intérieure pour parvenir enfin à l’équilibre. Et cet état là l’auteur le nomme, Le chemin de l’être.

J’inscris ici une simple remarque : tous les philosophes qui ont marqué notre culture judéo-chrétienne et sur l’héritage desquels nous vidons, ont subi une crise dite spirituelle. Je pense spécialement à Hegel qui en fut affecté en 1796/7. Comment définir cette crise spirituelle ? C’est le moment, plus ou moins long, où l’on voit le cours du monde qui nous entoure s’éloigner, diverger de ce que nous appelons de nos vœux et de nos feux Un autre exemple, plus littéraire que philosophique, les Souffrances du jeune Werth( (1774). Vivant une passion interdite, et les lois morales qui condamnent tel amour ou tel autre. En l’occurrence, une femme mariée, la mère de l’enfant dont il est le précepteur… Arrive alors le sommet de la peine d’amour, le recours au suicide.

Le martyr philosophique que fut Socrate, le prince des philosophes, est aussi un cas d’école. Socrate fut condamné à boire la ciguë pour avoir tenté de corrompre la jeunesse et d’avoir critiqué les divinités de la cité grecque. Et puis on peut parler du mythe platonicien de la caverne, selon lequel les êtres humains sont presque privés essentiellement de la possibilité d’échapper à leur sort : tourner le dos à l’essence véritable des choses et n’en percevoir que le reflet sur les parois de la caverne. Comment s’en sortir ? Par l’éducation. L’auteur ne pouvait pas s’en remettre à la Révélation puisque cette idée est inconnue de la sagesse ou de la spiritualité helléniques.

Portant, l’antiquité juive telle que conservée dans la littérature talmudique, se pose la question, sur la nature du bonheur : à l’instar de la philosophie stoïcienne. Quelle est, où est la voie droite que l’homme doit choisir (pour être heureux) ? Évidemment, la réponse est empreinte de philosophie religieuse. Même au Moyen Age, on s’est posé la question, et pas seulement chez les juifs ; on a aussi étendu cette recherche à la sphère arabe : dans cette pensée la maxime delphique est devenue : connais ton âme Ô homme et tu connaîtras ton Dieu (a’raf nassaka ya insane wa ta’raf rabbaka).

Mais le présent ouvrage parle, et c’est son droit, du dépassement des religions. Après tout, c’est un point de vue raisonnable et légitime.

Le titre, Le chemin de l’être peut être interprété de différentes manières Souvent, dans nos sociétés industrielles ou post industrielle, on oppose l’être à l’avoir. On perd sa vie à tenter de la gagner. Et là l’être s’oppose à l’avoir. L’apparence du bonheur s’oppose à la réalité du bonheur, axé cette fois non plus sur ce qu’on est mais à ce que l’on a. Et pour parvenir à ses fins, on soumet son corps et même son âme à des contorsions qui nous rendent malheureux. On est soi-même l’artisan de son propre malheur.

Il faut savoir lâcher prise lorsque cela est nécessaire. L’accès à l’être en dépend souvent.. La paix intérieure, aussi. Les idées de l’auteur sur le rôle joué par Jésus, la vérité de son enseignement authentique et sa volonté de ne pas créer de nouvelle religion sont originales. Qu’ie Jésus n’ait jamais voulu dire tout ce que l’Évangile lui fait dire est chose admise depuis belle lurette par les tenants de la critique biblique. Mais l’auteur étend son intérêt pour cette question à de très nombreux secteurs allant de l’Évangile à Aldous Huxley en passant par Bergson et Teilhard de Chardin. En outre, il évoque même de possibles réincarnations de sa personne…

J’ai tout de même appris certaines choses en lisant ce livre qui a abordé un thème universel : comment être enfin heureux sur cette terre ?

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

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