Spoliations nazies : une loi pour restituer des tableaux de Chagall, Klimt et Utrillo aux héritiers de familles juives

Un texte de loi prévoit la restitution d’œuvres spoliées à des « victimes de persécutions antisémites », notamment pendant la seconde guerre mondiale. Cette méthode juridique inédite soulève des questions sur la pérennisation d’un dispositif permettant de restituer plus facilement des œuvres spoliées.

15 œuvres d’art vont être rendues aux ayants droit de propriétaires « victimes de persécution antisémites pendant le nazisme. » On parle ici de grandes toiles de Chagall (Le Père) ou de Gustav Klimt (Rosier sous les arbres) qui appartenaient à des collections publiques et dont l’Etat, ou les collectivités locales concernés, ont décidé de se séparer pour les restituer à leur propriétaire légal. Bien souvent, ces œuvres ont été achetées et mises à disposition des collections nationales sans connaître leur origine, comme pour Carrefour à Sannois, tableau de Maurice Utrillo acheté par le maire de la ville, qui a déclaré à France Info que la toile « ne [lui] appartenait pas » et que c’était simplement « rendre la justice. » De même pour le Klimt, actuellement conservé au Musée d’Orsay et acquis par l’Etat en 1980 chez un marchand, alors qu’il avait été cédé par l’Autrichienne Eléonore Stiasny à Vienne – avant que celle-ci soit déportée et assassinée – lors d’une vente forcée en 1938. Ce sont ainsi 15 œuvres conservées au Louvre, au Musée d’Orsay, au Musée du château de Compiègne, au Centre Pompidou ou au Musée Utrillo-Valadon qui vont être sorties des collections publiques pour être restituées aux ayants droit des personnes spoliées sous le régime nazi.

Seul le Parlement pouvait restituer ces œuvres

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Si la commission de la Culture salue une loi « au caractère inédit » et « à la portée majeure », c’est parce que le dossier est un peu plus complexe. En effet, une fois que des œuvres ont été achetées par l’Etat et intégrées aux collections publiques, elles sont « inaliénables » et ne peuvent pas être « déclassées » de ces collections, dans la mesure où ces œuvres de grands peintres n’ont pas « perdu leur intérêt public. » Une fois ces tableaux achetés et intégrés aux collections nationales, l’Etat ne peut plus – de lui-même – les restituer aux propriétaires. Ceux-ci pourraient entamer une procédure judiciaire, sur la base de l’ordonnance du 21 avril 1945 qui frappe de nullité tout acte de spoliation commis en France par l’occupant ou par le régime de Vichy et prévoit la restitution aux propriétaires.

Sauf que les tableaux spoliés à l’étranger (en l’occurrence en Autriche et en Pologne) n’auraient pas pu être concernés et « qu’en termes d’image », il est « préférable », pour la rapporteure au Sénat Béatrice Gosselin (LR), « que l’initiative de la restitution résulte de l’Etat français. » En clair, vu la portée majeure et historique du dossier, l’Etat a préféré éviter d’obliger les ayants droit à entamer des actions judiciaires et de devoir restituer les œuvres de façon contrainte par la justice. Il ne restait donc qu’une seule solution pour restituer ces œuvres spoliées: la loi. L’inaliénabilité des collections ayant une valeur législative, seul le législateur – en l’occurrence le Parlement – pouvait décider de faire sortir ces œuvres des collections publiques.

Comment améliorer la procédure de restitution des œuvres spoliées ?

La ministre de la Culture se félicite d’une loi « historique », par laquelle pour la première fois depuis soixante-dix ans, « un gouvernement engage une démarche permettant la restitution d’œuvres des collections publiques spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation, en raison des persécutions antisémites. »

La progression des connaissances historiques et l’évolution du rapport à la mémoire de la Shoah depuis les années 1990, expliquent en effet que pour la première fois, le Parlement s’empare du dossier et facilite la restitution d’œuvres spoliés appartenant à des collections publiques. Selon le rapport de Béatrice Gosselin (LR), tant le gouvernement – qui est l’auteur du texte – que le Parlement – qui s’apprête à le voter sans modifications pour aller le plus vite possible – souhaitent envoyer un « signal politique fort » pour « combler le retard » de la France en la matière. Pour continuer cette démarche, un travail de recherche historique est d’abord primordial pour identifier les œuvres concernées.

Au niveau législatif, la commission de la Culture propose l’adoption d’une loi-cadre « pour éviter le recours systématique à une autorisation au cas par cas du Parlement », comme cela va être fait pour les 15 œuvres concernées aujourd’hui. En l’espèce, le gouvernement a refusé pour le moment, afin de conserver la portée symbolique de la loi et de s’assurer qu’elle soit adoptée dans les meilleurs délais. Roselyne Bachelot a tout de même affirmé devant l’Assemblée nationale que le gouvernement était favorable « au principe » et que cette solution « finirait par s’imposer. » Sur le fond, soit le Parlement pourrait définir par la loi les critères qui permettraient à une administration de restituer directement des œuvres spoliées, soit le législateur pourrait imaginer une procédure judiciaire spécifique, peut-être symboliquement moins conflictuelle entre l’Etat et les ayants droit.

En attendant, le texte n’a pas été modifié par la commission de la Culture, il devrait être adopté « conforme » sans aucune difficulté en séance ce soir. Il n’y aura par conséquent pas de deuxième lecture nécessaire pour que le texte entre en vigueur. Le tout devant certains membres ou représentants des familles des ayants droit, qui devraient être présents en tribune pour assister à ce « signal politique fort » envoyé par le gouvernement, l’Assemblée nationale et ce soir, le Sénat.

Par Louis Mollier-Sabet  www.publicsenat.fr
Crédits photo principale : UPI/Newscom/SIPA

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