Une étude américaine établit irrévocablement l’impact négatif des réseaux sociaux sur la santé mentale des adolescents et jeunes adultes

S’il existait encore un doute, il a été levé par l’étude réalisée par des chercheurs et des économistes du MIT et de l’université Bocconi.

Atlantico : Dans votre étude « Social Media and Mental Health », vous analysez les conséquences de l’utilisation de Facebook suite à sa mise en place dans les universités américaines. Quelles sont vos principales conclusions ?

Luca Braghieri : Avant d’aborder les conclusions de l’étude, il convient de rappeler quelques éléments de contexte. Depuis une dizaine d’années, les résultats en matière de santé mentale des adolescents et des jeunes adultes se sont considérablement détériorés dans plusieurs pays, dont les États-Unis, où notre étude a été menée. Ce déclin a coïncidé avec la popularité croissante des médias sociaux, ce qui a donné lieu à des spéculations sur une relation potentielle entre ces deux phénomènes. L’examen de cette question est donc devenu la principale motivation de notre étude. 

Cependant, l’examen de tendances qui évoluent dans la même direction pose un problème. Le simple fait d’observer des tendances parallèles ne nous permet pas de déterminer la causalité. Il devient difficile de déterminer si l’utilisation des médias sociaux influence directement la santé mentale ou vice versa. Pour résoudre ce problème, nous avons dû identifier des contextes spécifiques qui nous permettraient d’établir des liens de causalité. 

Dans notre étude, nous avons cherché à créer un tel contexte qui nous permettrait de faire ces affirmations. Nous nous sommes concentrés sur l’introduction de Facebook sur différents campus universitaires aux États-Unis. En tirant parti de cette introduction échelonnée comme moyen d’identification, nous avons pu analyser les effets de Facebook sur les résultats en matière de santé mentale. 

Nos résultats révèlent une association significative entre l’introduction de Facebook à l’université et la détérioration de la santé mentale des étudiants. Plus précisément, les troubles tels que la dépression et l’anxiété généralisée ont été plus gravement touchés. Ces résultats fournissent des indications précieuses sur l’impact des médias sociaux sur le bien-être mental. 

Comment avez-vous réussi à obtenir de bons résultats ?

Comme je l’ai mentionné précédemment, le principal défi dans ce type de recherche est d’identifier un contexte qui permette de faire des affirmations causales. Dans un scénario idéal, une expérience entièrement randomisée serait menée, dans laquelle un groupe de personnes créerait un compte Facebook tandis qu’un autre groupe sélectionné au hasard n’en créerait pas. De cette manière, la santé mentale de ces deux groupes peut être comparée afin de déterminer si Facebook a un effet causal. Cependant, une telle expérience contrôlée n’est souvent pas réalisable. 

La meilleure approche consiste alors à trouver des contextes historiques dans lesquels, par hasard, certains individus se retrouvent sur Facebook et d’autres non. Dans le cas du déploiement échelonné de Facebook dans les universités américaines, nous disposons d’un cadre approprié. Facebook a été initialement introduit à Harvard en 2004 et s’est progressivement étendu à d’autres universités sur une période de deux ans et demi. Enfin, il a été mis à la disposition du grand public. 

En comparant l’évolution des résultats en matière de santé mentale sur deux périodes consécutives, nous pouvons examiner l’impact de Facebook sur les étudiants fréquentant les établissements d’enseignement supérieur qui ont reçu la plateforme. Ces étudiants peuvent être considérés comme le groupe traité au cours de la deuxième période. Nous comparons ensuite l’évolution de leur santé mentale à celle des étudiants des établissements où Facebook n’a pas encore été introduit, qui constituent le groupe de contrôle. Cette différence stratégique nous permet d’analyser si l’écart entre ces deux groupes de collèges se creuse lorsque Facebook est introduit dans l’un d’entre eux. 

Qu’est-ce qui, selon vous, nuit à la santé mentale dans l’utilisation de Facebook ?

Le premier résultat clé de notre étude est que l’introduction de Facebook sur les campus universitaires conduit les étudiants à faire état d’une moins bonne santé mentale sur différents plans. Plus précisément, nous avons observé un impact significatif sur des troubles tels que la dépression et l’anxiété généralisée. Ces résultats sont bien établis, compte tenu de nos hypothèses, et soutiennent la notion de relation de cause à effet entre l’utilisation de Facebook et la détérioration de la santé mentale. 

Il est plus difficile de comprendre pourquoi ces effets se produisent. Toutefois, nous disposons de quelques éléments à cet égard. L’un des inconvénients des médias sociaux est la tendance aux comparaisons sociales défavorables. Lorsque les utilisateurs s’engagent sur des plateformes de médias sociaux comme Facebook, ils se comparent souvent aux autres. Si ces comparaisons sont défavorables, elles peuvent avoir un effet négatif sur l’estime de soi et le bien-être mental. Par exemple, le fait de voir d’autres personnes prendre des vacances somptueuses ou mener un style de vie apparemment parfait alors que vous êtes coincé au bureau peut contribuer à un sentiment de misère et d’insatisfaction. 

L’idée de base est que le fait de parcourir Facebook expose les individus à la vie et aux activités des autres, ce qui peut créer un contraste frappant avec leur propre situation. Ces comparaisons défavorables peuvent avoir un impact sur la perception de soi et la santé mentale en général.

Dans quelle mesure les conséquences de Facebook sur la santé mentale ont-elles, par extension, des répercussions sur les études ?

Nous n’avions pas d’accès direct aux notes des étudiants, nous n’avons donc pas pu évaluer directement si l’introduction de Facebook a eu un effet sur leurs résultats scolaires. Cependant, nous avons eu accès aux informations fournies par les étudiants concernant l’impact de leurs problèmes de santé mentale sur leurs résultats scolaires. Nous leur avons notamment demandé s’ils éprouvaient des difficultés scolaires en raison de problèmes liés à la dépression, par exemple. 

Nos résultats ont révélé qu’à la suite de l’introduction de Facebook sur les campus universitaires, les étudiants ont non seulement déclaré avoir davantage de problèmes de santé mentale, mais aussi que leurs problèmes de santé mentale ont une incidence négative sur leurs résultats scolaires. Ces informations sont basées sur les déclarations des étudiants eux-mêmes. Bien que nous n’ayons pas pu mesurer directement les résultats scolaires, ces résultats suggèrent un lien entre l’introduction de Facebook, la mauvaise santé mentale et l’impact négatif sur les résultats scolaires, tel que rapporté par les étudiants. 

Pouvons-nous étendre vos conclusions sur la santé mentale à tous les utilisateurs de Facebook, et pas seulement aux étudiants ?

C’est une excellente question. Ma réponse devra être quelque peu spéculative, car les données recueillies dans le cadre de notre étude ne me permettent pas d’y répondre avec le même degré de confiance que pour la question précédente que nous avons abordée. Permettez-moi néanmoins d’apporter quelques éclaircissements. 

Tout d’abord, j’ai coécrit un autre document de recherche qui porte sur les effets de Facebook. Dans cette étude, nous avons mené une expérience similaire à celle que j’ai mentionnée précédemment. Nous avons recruté des participants et les avons répartis au hasard en deux groupes. Un groupe a été payé pour désactiver son compte Facebook pendant un mois, tandis que l’autre groupe n’a reçu aucun paiement et a continué à utiliser Facebook comme d’habitude. Cette configuration nous a permis d’établir une comparaison claire entre les deux groupes en termes de résultats. Nous avons constaté que les personnes qui ont désactivé leur compte Facebook ont fait état d’une amélioration de leur bien-être, évalué à l’aide de questions standard relatives au bonheur et à la santé mentale. Bien que l’étude porte sur une population différente de celle des étudiants, elle fournit un point de comparaison supplémentaire. 

Deuxièmement, si nos résultats s’appuient sur le mécanisme des comparaisons sociales défavorables, ils suggèrent que ce phénomène s’étend au-delà des étudiants. Si ces derniers sont particulièrement sensibles à l’impact des comparaisons sociales défavorables, il est raisonnable de supposer que cet effet s’applique à un plus grand nombre de personnes. Si les effets opèrent par ce biais, ils affecteront probablement diverses catégories démographiques. 

En résumé, bien que notre étude n’ait pas directement abordé les effets de Facebook sur les populations non étudiantes, les résultats des recherches connexes et le mécanisme sous-jacent des comparaisons sociales suggèrent que les effets pourraient s’étendre au-delà des étudiants. 

Pourrait-on étendre votre analyse à d’autres médias sociaux ?

Une autre excellente question, et une fois de plus, ma réponse impliquera des spéculations puisque nous ne disposons pas de données concrètes de l’étude pour y répondre directement. 

En ce qui concerne l’extension de nos résultats, si nous considérons que les effets opèrent à travers le mécanisme des comparaisons sociales défavorables, il est plausible de penser que des effets similaires pourraient être présents dans d’autres plateformes de médias sociaux comme Instagram ou d’autres plateformes qui ne diffèrent pas significativement de Facebook. Toutefois, il est important de noter que chaque plateforme a ses propres caractéristiques et sa propre dynamique d’utilisation, de sorte que les effets spécifiques peuvent varier. 

L’étude des effets des plateformes de médias sociaux autres que Facebook est en effet un bon domaine d’investigation. Comprendre comment les différentes plateformes influencent la santé mentale des individus par le biais de comparaisons sociales peut fournir des indications précieuses sur l’impact plus large des médias sociaux sur le bien-être. Bien que je ne dispose pas de données spécifiques sur les effets d’autres plateformes, le mécanisme sous-jacent et les effets potentiels méritent d’être explorés et étudiés. 

Quelles sont les implications politiques de vos conclusions ? Pensez-vous qu’il faille encourager les gens à cesser d’utiliser Facebook ?

Je pense qu’il est essentiel de diffuser ce type d’informations. Avant la publication de cet article, il existait peu de preuves concrètes des effets causaux des médias sociaux sur la santé mentale. Il était difficile de déterminer l’impact direct de plateformes comme Facebook sur le bonheur ou le bien-être d’une personne en raison des nombreux autres facteurs qui interviennent dans sa vie. 

En fournissant des paramètres bien identifiés et en menant des recherches comme les nôtres, nous pouvons offrir des informations précieuses sur les effets causaux des médias sociaux sur la santé mentale. Ces informations peuvent permettre aux utilisateurs de prendre des décisions plus éclairées concernant leur utilisation des médias sociaux. Même si elles n’ont pas d’implications politiques directes, elles favorisent l’autonomie individuelle et la capacité à prendre en compte les effets potentiels des médias sociaux sur leur bien-être. 

En fin de compte, en augmentant la sensibilisation et la compréhension de l’impact potentiel des médias sociaux sur la santé mentale, les utilisateurs peuvent faire des choix qui correspondent à leurs préférences personnelles et à leur bien-être. Cela contribue à une base d’utilisateurs mieux informés et plus autonomes, ce qui est généralement bénéfique. 

Dans quelle mesure pensez-vous que les médias sociaux ont un impact sur notre santé sociale ? Dans quelle mesure s’agit-il d’un facteur important ?

C’est une excellente question, et il est sans aucun doute difficile d’y apporter une réponse définitive. La dégradation de la santé mentale chez les adolescents et les jeunes adultes dans de nombreux pays est un problème complexe influencé par de multiples facteurs agissant simultanément. Bien qu’il soit difficile de quantifier avec précision la mesure dans laquelle les médias sociaux contribuent à cette dégradation, nous avons tenté une estimation approximative. 

Sur la base d’un calcul à rebours, qui doit être pris avec prudence et considéré comme une approximation, nous suggérons provisoirement qu’environ 25 % de la crise de la santé mentale pourrait être attribuée aux médias sociaux. Il est important de souligner que cette estimation repose sur des hypothèses fortes et doit être interprétée comme une estimation prudente. En réalité, la contribution réelle des médias sociaux pourrait être inférieure à cette approximation. Ainsi, pour être plus prudent, je dirais qu’au moins une partie, peut-être autour de 10-15%, pourrait être attribuée aux médias sociaux, sur la base de ces scénarios et hypothèses hypothétiques. 

Il est essentiel de noter que je ne prétends pas que les médias sociaux sont les seuls responsables de la majorité des problèmes de santé mentale. Il y a sans aucun doute de nombreux autres facteurs en jeu, et les médias sociaux ne sont qu’une pièce du puzzle complexe qui contribue à la situation globale.

Atlantico

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