Pierre Savy, Les princes et les juifs dans l’Italie de la Renaissance. PUF, 2023

Voici un thème qui n’avait pas encore été traité de manière systématique par un historien. Certes, la question comme tant d’autres fut effleurée par le grand Cecil Roth, connu aussi pour son étude du judaïsme en Italie.

Dans une longue et très érudite introduction, l’auteur du présent ouvrage s’attache à définir de son mieux les cadres du pouvoir princier et l’étendue de ce qu’il nomme l’Italie renaissante. De nombreuses questions se posent: quelles étaient les dimensions approximatives de ces communauté juives vivant dans le duché de Milan et celui de Savoie, mais aussi dans des républiques comme celles de Venise, de Ferrare, etc… ? Dans cette dernière principauté se trouvait un grand centre culturel juif ainsi que de grandes presses hébraïques. Sans oublier les états pontificaux, le pape siégeant à Rome et pouvant être considéré comme un prince à part entière.

Malgré les rivalités économiques avec des entrepreneurs locaux et les haines religieuses, on distingue, par endroits, un engagement incontestable en faveur des juifs dans quelques principautés, de la part des princes. On croit comprendre que les juifs étaient mieux traités et mieux accueillis dans les régimes républicains que dans des espaces politiques monarchistes. C’est du moins ce qu’on peut lire concernant le célèbre exilé d’Espagne, le grand philosophe-herméneute Isaac Abrabanel lequel expliquait tous les malheurs qui s’abattent sur les juifs par l’abandon de la Tora de Dieu par Israël et leur engouement pour la philosophie grecque… Je peux aussi citer le cas du médecin-philosophe Eliua Delmédigo, (mort en 1493) le protégé du futur cardinal Frederico Grimani, éditeur d’œuvres sur l’intellect de Jean de Jandun, et dont j’ai traduit en français L’examen de la religion ; Behinat ha-dat.

Il ne faut pas oublier de signaler que nombre d’exégètes et de penseurs juifs, contemporains de l’expulsion d’Espagne, trouvèrent refuge dans la Péninsule, et notamment dans le ghetto de Venise.

J’ai relevé que les juifs avaient essayé de complaire à leurs hôtes italiens en découvrant au nom de leur pays d’adoption une signification hébraïque : ainsi Italie devenait I’ Tal Yah, ce qui veut dire : une île de la rosée de Dieu, même si l’Italie est une péninsule et non pas une île. Les juifs du Moyen Âge en avaient fait de même pour mettre en valeur la pratique de l’alchimie (KI mi Yah) : elle (cette science) provient de Dieu…
Dans ses conclusions, l’auteur use d’une expression que je n’arrive pas à bien m’expliquer, à savoir la «marginalité intégratrice des juifs»... Autant je peux comprendre le processus d’intégration verticale qui consiste à s’assurer le soutien des puissants et des autorités en général, autant l’autre expression ne me parait pas très claire. Peut-être pensons-nous que les juifs considérés comme des parias à cause de l’influence de l’église catholique, développaient-ils une plus forte capacité à s’intégrer dans le corpus et à s’y adapter politiquement en raison des circonstances. Si les princes en question favorisaient les juifs dans leurs principautés, c’est en raison du renforcement de leur pouvoir et de l’obéissance de ces sujets là précisément.

Et il ne faut pas oublier l’aspect économique et financier qui demeure primordial. En raison de l’interdit biblique du prêt à intérêt, les chrétiens avaient besoin des financiers juifs qui étaient contraints de recourir à cette pratique, tout en veillant à ne pas sombrer dans l’usure qui suscitait presque toujours des pogroms meurtriers ; il ne faut pas sous estimer cet aspect des choses. Donc, tant que les juifs respectaient les lois et les coutumes des pays-hôtes, ils bénéficiaient naturellement des bienfaits des autorités locales. Mais cela ne les mettait pas à l’abri de soudaines expulsions ou persécutions imprévisibles. La faveur princière dans cette Italie de la Renaissance était changeante et très évolutive…
Mais on appréciera à sa juste valeur cette déclaration de Pascal Paoli (1725-1817), faite en 1760 : Si les juifs voulaient s’établir parmi nous, on leur accordera la naturalisation et de pouvoir jouir des privilèges leur permettant de se gouverner avec leurs propres lois. Parlez en avec quelque rabbin accrédité. Bel exemple de générosité et d’ouverture à l’Autre.
L’auteur entreprend une vaste revue des relations entre juifs et chrétiens depuis le Moyen Âge. Cela m’a rappelé le grand maître de l’histoire juive au Moyen Âge dont j’ai été jadis l’élève, Bernhard Blumenkranz. Même lorsque la présence juive s’avérait nécessaire et bénéfique à l’ensemble de l’agglomération sans discrimination, les ennemis des juifs brandissaient des décrets anciens comme celui de la fin du XVe siècle, interdisant aux juifs de passer plus de trois nuits dans le duché de Milan… Ce qui tranchait considérablement avec l’attitude plus ouverte et plus accueillante des autorités plus respectueuses du droit des gens. Mais les juifs n’en continuaient pas moins d’arriver dans les localités italiennes où ils pouvaient s’établir moyennant certaines taxes dont ils promettaient de s’acquitter régulièrement. Au fond, les choses se passaient assez bien lorsque l’élément religieux était tenu à distance, les intérêts du pouvoir politique ne coïncidant presque jamais avec l’intérêt économique et financier. Le pouvoir princier avait lui aussi des demandes, voire des exigences à faire valoir…
Un livre d’une grande érudition avec des images superbes.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

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