Un historien revient sur le rejet enduré par les Juifs déplacés après 1945

Bien loin de l’aide offerte aux réfugiés ukrainiens, David Nasaw évoque la paranoïa, les querelles de loyauté et l’utilisation des Juifs comme pions pendant la guerre froide

L’historien David Nasaw n’est pas surpris par la réaction du monde au sort des millions de réfugiés ukrainiens qui fuient leur pays.

« L’afflux d’aide et les propositions d’accueil ont beaucoup à voir avec le fait que les réfugiés ukrainiens sont dans l’ensemble européens, blancs et chrétiens, à l’exception de quelques Juifs », assure Nasaw, auteur du livre récemment publié The Last Million: Europe’s Displaced Persons from World War to Cold War.

« Les réfugiés qui ne sont ni blancs, ni chrétiens, ni européens vont continuer à être mal traités », déclaré Nasaw au Times of Israel. « En fait, il est même possible que leur traitement se détériore en raison de l’attention et des ressources concentrées sur les Ukrainiens. »

Dans son livre, Nasaw rappelle le sort des « personnes déplacées » dans les années qui ont suivi la libération de l’Europe du joug nazi, dont le quart de million de survivants juifs de la Shoah qui sont littéralement devenus des « pions » dans la guerre froide entre Moscou et l’Occident.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs représentaient 2 % de la population allemande des « personnes déplacées ». En 1947, cependant, au moins 20 % des personnes déplacées étaient juives, indique Nasaw. Le monde a délivré des permis de travail et un statut de résident aux réfugiés européens, mais pas aux survivants de la Shoah.

Presque toutes les personnes déplacées juives entrées par le sud-est de l’Allemagne en 1946 ont survécu à la Shoah sous la « protection » de Staline en terres soviétiques, précise Nasaw. Lorsqu’ils sont retournés en Pologne après la guerre pour récupérer leurs maisons, la plupart des survivants ont été chassés de chez eux une deuxième fois par des groupes d’autodéfense et des pogroms.

Des enfants juifs, dans un camp de personnes déplacées aidé par le Joint Distribution Committee.

Aux yeux des pays occidentaux, les Juifs qui avaient survécu à la guerre en territoire soviétique n’étaient pas des immigrants souhaitables, éclaire Nasaw.

« [Ces Juifs polonais] devaient leur survie à l’Armée rouge et leurs familles étaient encore sous le joug communiste, ce qui les rendait suspects aux yeux des États-Unis et d’autres pays », explique Nasaw. « Je pense que la guerre froide a vraiment commencé autour de ces personnes déplacées. »

La résurgence de vieux mythes antisémites

Selon Nasaw, la « peur rouge » et les stéréotypes négatifs à propos des Juifs ont fusionné dans l’esprit des dirigeants antisémites désireux d’interdire l’entrée aux États-Unis des réfugiés juifs.

« Pendant cette période aux États-Unis, un certain nombre de politiciens du Sud et du Midwest ont fait en sorte de raviver de vieux mythes antisémites », assure Nasaw, pour que les Juifs soient perçus comme déloyaux et incapables de s’assimiler.

« Aux États-Unis, on pensait que les réfugiés juifs étaient susceptibles d’être des communistes ou des sympathisants soviétiques, et dans tous les cas, pas en mesure de se préparer à une guerre froide susceptible de se transformer en troisième guerre mondiale », assure Nasaw.

Du point de vue de Moscou, les camps de personnes déplacées étaient des terrains d’entraînement potentiels pour une insurrection antisoviétique. En fait, confie Nasaw, les Alliés ont caressé l’idée de parachuter des personnes déplacées armées en Lituanie et en Ukraine, par exemple, où des réfugiés vengeurs iraient se battre contre les autorités russes.

Pourim avec des survivants de la Shoah, au camp de personnes déplacées de Landsberg en Allemagne, avec une pierre tombale simulée pour Haman et Hitler.

Le fantasme d’une milice de personnes déplacées d’Europe de l’Est ne s’est jamais matérialisé, mais la paranoïa russe n’était pas sans fondements, explique Nasaw.

« Des plans existaient, certains d’entre eux assez fantasmagoriques, qui prévoyaient d’utiliser des personnes déplacées contre les Russes », indique Nasaw.
« Radio Free Europe a été créée avec des personnes déplacées, et la CIA a financé toutes sortes d’organisations antisoviétiques et anticommunistes. »

Des immigrants juifs tenus en horreur

Se qualifiant eux-mêmes de « dernier vestige » de l’après-Shoah, de nombreuses personnes déplacées juives ont pu penser que la meilleure façon de pleurer la perte de leurs proches dans la Shoah était de créer de nouvelles familles, avance Nasaw.

Deux ans après la fin de la guerre, les taux de natalité les plus élevés au monde étaient ainsi enregistrés parmi les personnes déplacées juives en Allemagne. Contrairement à ce que l’on pouvait penser, précise Nasaw, seule une minorité de réfugiés a souhaité s’installer en Palestine.

Le camp de personnes déplacées de Bad Reichenhall , aux alentours de 1947.

« Les historiens évoquent des enquêtes selon lesquelles 95 % des Juifs étaient en faveur de la partition ou d’un État juif, mais cela ne signifie pas que ces réfugiés eux-mêmes voulaient aller en Palestine », explique Nasaw. « Ces gens venaient de connaître une guerre et la dernière chose qu’ils voulaient, c’était s’installer dans un territoire en guerre ou sur le point de l’être. »

Tandis que les Britanniques bloquaient l’accès aux côtes palestiniennes aux navires chargés de réfugiés juifs, le gouvernement américain préparait son propre blocus pour empêcher les survivants de la Shoah d’entrer en Amérique, comme le décrit l’ouvrage de Nasaw.

En 1948, le président américain Harry Truman et le Congrès ont ainsi adopté la loi sur les personnes déplacées. Les réfugiés européens pouvaient entrer aux États-Unis en tant que résidents permanents, sauf s’ils provenaient d’un camp de personnes déplacées après décembre 1945.

Cette loi a effectivement interdit à presque tous les survivants de la Shoah de venir aux États-Unis.

« Les nations du monde étaient unies dans [l’] horreur que leur renvoyaient les immigrants juifs », confesse Nasaw, un fait qui a conduit la plupart des réfugiés juifs à devenir des « sionistes réticents ».

Des enfants du camp de personnes déplacées de Foehrenwald se rassemblent autour d’un soldat américain.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles la « saga » des personnes déplacées juives a été grandement oubliée, Nasaw rappelle la tendance des Américains à se tenir à l’écart des conséquences des guerres.

« C’est trop dur pour les Américains de faire face à ce que nous avons fait subir aux survivants [de la Shoah] pendant des années », explique Nasaw. « C’est une image trop terrifiante. »

« Nous refusons de voir que les guerres se poursuivent dans l’après-guerre, et que ce sont les civils qui souffrent », éclaire Nasaw. « Dans certaines parties de l’Afrique et du Moyen-Orient, on a permis aux camps de personnes déplacées de devenir une fin en soi, les camps abritant des générations de réfugiés. »

Selon Nasaw, l’histoire des personnes déplacées juives remplit un « vide » entre la Shoah et la fondation d’Israël en 1948, un espace habituellement « ponctué uniquement par l’histoire de l’Exode [en 1947] ».

L’un des principaux enseignements de ses recherches, explique Nasaw, est que les préoccupations humanitaires devraient guider le traitement des réfugiés, par opposition aux principes « darwiniens durs » appliqués après la Seconde Guerre mondiale.

« Avec l'[histoire] des personnes déplacées juives à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, nous avons vu comment mensonges et contre-vérités pouvaient façonner la politique d’immigration », conclut Nasaw.

Source : fr.timesofisrael.com

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6 Commentaires
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Merci

As. Cohen tu racontes n’importe quoi! les juifs français d’Algérie et du Maghreb savaient parfaitement lire et écrire le français des qu’ils eurent le privilège d’être citoyens français, au contraire ils sont sorti de la misère et su prospérer, qu’il n’avaient pas durant un temps avec les régimes turcs et arabes , je te conseille de lire des livres appropriés à cette période au lieu de débiter des inepties inutiles…

Asher Cohen

@Merci
Merci pour votre attention à mon post.
Le problème est que seule la vérité blesse, aussi on crache toute la propagande possible pour faire croire à des mythes. C’est vieux comme le Monde. L’ Homme est né menteur. Les français ayant crée trop de mythes pour justifier leur exploitation impérialiste du Maghreb, sont incapables de vivre dans la Réalité. C’est dans leur nature.

Je n’ai pas besoin de lire des livres pour décrire la Réalité sur j’ai vécue dans l’ enfance. J’ai été un témoin vivant de l’ impérialisme colonial français au Maghreb, et je peux le décrire sous nombre de ses facettes et ses crimes. Les lecteurs du site se feront une opinion.

Même dans les années 1950, un grand nombre de Juifs du Maghreb, même dans les grandes villes comme Oran ou Alger, et encore plus au Maroc et en Tunisie, ne savaient ni lire, ni écrire en langue française. Leurs déclarations d’ état civil en mairie sont signées, soit avec des lettres hébraïques, soit d’une simple croix, l’ officier d’ état civil mentionnant sur l’acte que le déclarant ne sait ni lire, ni écrire. Même dans les grandes villes, j’ai croisé bien des Juifs du Maghreb ne parlant même pas la langue française. Mes propres parents n’avaient même pas le certificat d’ études primaires. Le régime vichyste n’en avait-t-il pas rajouté avec ses lois raciales excluant les Juifs de l’ accès à l’enseignement public? De plus, la France n’avait crée qu’une seule université pour tout le Maghreb, celle d’ Alger, où les Juifs n’ étaient généralement pas admis, aussi une de mes tantes avait à peine le bac.

Je n’insiste pas sur les conditions de logement et la misère de ces populations. Les historiens démontrent que dans la Casablanca du  » protectorat  » français, plus de la moitié de la population juive vivait de mendicité. Il faut voir dans quel état sont arrivés les Juifs du Maroc en Israël.

Pour la période de la Régence Ottomane, les Juifs d’ Algérie étaient tellement illettrés que, par exemple :
-dans les années 1790, le gouverneur américain de Virginie, Patrick Henry, avait fait incarcérer à la prison de Richmond, 3 espions Juifs du Dey d’ Alger, parlant parfaitement l’ Anglais et détenant des documents en Hébreu, quel illettrisme et quelle inculture!
– les archives du banquier Juif d’ Alger, Bacri-Cohen, qui en 1793 avait livré à la France menacée de famine, des milliers de tonnes de blé, sont rédigées en Hébreu et en français, quel illettrisme et quelle inculture chez ce Juif qui négociait avec Bonaparte, qu’il appelait le petit, et Talleyrand, qu’il appelait le boiteux!
-en 1815, le Juif Isaac Bensimon a rédigé d’abord en Hébreu les traités de paix entre la Régence d’ Alger et les États-Unis. Quel illettrisme et quelle inculture chez ce fondé de pouvoir du Dey d’ Alger, qui décidait des guerres américano-barbaresques et négociait les traités internationaux, dans plusieurs langues telles le turc ou l’ anglais.

Tous ces exemples vous montrent combien la France a sorti les Juifs d’ Algérie de l’illettrisme et l’ inculture où ils se trouvaient durant la période ottomane, n’est-ce-pas? Et combien la France impérialiste s’est démenée pour qu’en 1950, bien des Juifs du Maghreb ne sachent ni lire, ni écrire, d’autant que Vichy en avait rajouté une dose avec ses lois raciales appliquées dans tout le Maghreb. Informez-vous un peu avant de vous avancer sur ces questions.

Schlemihl

Expliquez vous plus clairement je vous prie.

Asher Cohen

@Schlemihl
Merci pour votre attention à mon post. Je pense être suffisamment clair tout en maniant un peu d’ironie, mais n’hésitez-pas à préciser les points que vous souhaitez me voir développer sur ce sujet.

Je veux montrer ici qu’ après 1945, la situation des Juifs d’ Europe Centrale et de l’ Est dans les camps de personnes déplacées, refuzniks, n’ était pas pire que celle de la majorité des Juifs vivant au Maghreb sous administration française.

On nous montre facilement des photographies et vidéos d’ enfants juifs, en guenilles, dansant dans les rues de Varsovie, ou vendant des papirosen, pour obtenir de quoi manger et survivre. On nous montre les rues de Varsovie jonchées de cadavres d’ enfants juifs, les bidonvilles de Roumanie et d ‘Ukraine, remplis de Juifs clochardisés, dans des abris de tôle, vivants dans l’exclusion des sociétés locales, et l’on peut comprendre qu’ après 1945, ces Juifs ne voulaient plus retourner vivre dans leurs pays d’ Europe d’ origine, à fortiori les survivants de l’ holocauste, qui demandaient à partir vers les États-Unis ou la Palestine.

Mais à la même époque, la situation des Juifs du Maghreb, vivants sous administration française, était pire sous de nombreux aspects. A la différence des pays d’ Europe de l’ Est, les pays maghrébins étaient complètement soumis à l’impérialisme colonial français, dont j’ai déjà décrit les mécanismes de domination et d’ asservissement sur ce forum. En 1947, la France investissait l’ argent du Plan Marshall dans l’industrie en Métropole, mais bloquait totalement l’industrialisation des pays maghrébins qu’elle exploitait sans vergogne. Bien sûr, le contrôle de l’ instruction était une arme permettant de maintenir les populations locales, dites indigènes, dans l’ ignorance et la misère, afin de pouvoir leur refuser les droits naturels et les exploiter par le travail forcé. Au Maghreb, la France avait crée une société de perversité et de corruption, pour mieux la dominer et la manipuler. On avait ainsi des milliers de Juifs ne sachant ni lire, ni écrire, et vivant s dans une misère intellectuelle et économique incroyable, au point que Ben Gourion n’en voulait pas en Israël et a ainsi, par exemple, donné 120.000 juifs d’ Algérie à De Gaulle, en 1961.

L’exclusion des Juifs des sociétés civiles était une pratique courante, en Europe, comme au Maghreb dominé par la France.

Asher Cohen

Ces Juifs d’ Europe avaient des avantages sur les Juifs du Maghreb. D’ abord, ils avaient généralement reçu un peu d’ éducation et d’ instruction, même-si beaucoup avaient vécu dans l’exclusion et la clochardisation dans les pays d’ Europe de l’ Est des années 1930. Ensuite, ils avaient parfaitement compris ce qu’ était l’ Europe chrétienne antisémite, et ils n’en voulaient pas. Comme ils étaient un peu instruits et souvent communistes, parfaitement conscients des mécanismes d’ exploitation sociale, on pouvait difficilement les manipuler pour les exploiter.

A l’opposé, un grand nombre de Juifs du Maghreb étaient écrasés et exploités depuis plusieurs générations par l’ impérialisme colonial des français. En 1946, des Juifs fuyaient le Maroc à pieds, et la France post-vichy, pour rejoindre Oran où ils embarquaient pour la Palestine, et se retrouvaient ensuite internés à Chypre par les Anglais, jusqu’en 1948.

Il serait intéressant de mettre en parallèle les Juifs vivant dans les camps de personnes déplacées d’ Europe et ceux du Maghreb fuyant l’impérialisme colonial français pour la Palestine Mandataire et aussi internés dans des camps anglais.

Asher Cohen

Ajoutons à cela qu’un grand nombre de Juifs du Maghreb, sous tutelle française depuis un siècle, ne savaient ni lire, ni écrire, bravo la France !