LE DÉSENCHANTEMENT TUNISIEN

N° 243: Le désenchantement tunisien

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Il y a dix ans, le 17 décembre 2010, l’immolation d’un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes dans le Centre-Est tunisien a mis le feu aux poudres ; 28 jours plus tard, le Président Zine El-Abdine Ben ALI a fui son pays. S’est alors ouverte une période révolutionnaire.
La qualifier avec la formule de « révolution de jasmin » n’est pas adéquat, car cela renvoie au coup d’État médical du 7 novembre 1987 conduisant à la destitution de Habib BOURGUIBA, et à la déclaration de Ben ALI selon laquelle il flottait un air de jasmin sur la Tunisie.
Ces événements vont déclencher une onde de choc qui va se propager, telle une traînée de poudre, jusque dans la péninsule arabique et à huit pays arabes sur la vingtaine que compte le monde arabe. Ce fut le mouvement des « printemps arabes ». Dix ans après, quel bilan peut-on dresser ?
Quelques jours après le départ de Ben ALI, des manifestations monstres dans toute l’Égypte, et plus particulièrement sur la Place Tahrir dans la capitale ont conduit à la démission du Président Hosni MOUBARAK le 11 février. Après une transition de 15 mois, le frère musulman Mohamed MORSI est élu le 30 juin 2012, mais ne dirigera le pays que 12 mois jusqu’au 3 juillet 2013. La parenthèse est refermée avec la reprise en mains par l’armée et le maréchal Abdel Fatah Al-SISSI.
Le mouvement touche en même temps la Syrie, mais le scénario syrien débouche sur une tragique guerre civile. En dix ans, le pays a connu 500 000 morts, l’utilisation d’armes chimiques, des destructions de nombreuses villes dont Alep, des exactions, pendaisons, décapitations, viols… Bachar El ASSAD est toujours en place !
À Bahreïn, les nombreuses manifestations de la majorité chiite de la population ne sont pas parvenues à renverser le pouvoir sunnite. Une brutale répression a rétabli l’ordre.
Au Maroc, ce fût le mouvement du 20 février qui a mobilisé plus de 120 000 personnes dans 53 villes. Mais, les choses sont rapidement rentrées dans l’ordre avec une modification constitutionnelle adoptée par référendum le 1er juillet 2011.
Malgré des manifestations en 2011, l’Algérie semblait à l’écart du mouvement. L’annonce de la nouvelle candidature d’Abdelaziz BOUTEFLIKA le 12 novembre 2019 a été l’étincelle de la rébellion ; la pression de la rue a entraîné son départ. Mais, deux ans après, la « familiocratie » en place depuis l’indépendance a repris la situation en main et se cherche un Président pour masquer la réalité.
La Libye, elle, est aujourd’hui écartelée entre plusieurs pouvoirs territoriaux et n’arrive pas à trouver une sortie à la guerre civile.
Quant au Yémen, s’inspirant des précédents tunisien et égyptien, les manifestants yéménites ont réclamé le départ du Président Ali Abdallah SALEH. Dix ans après la guerre civile fait rage !
Dix ans après, sur les huit pays touchés par « les printemps arabes » qui devaient être une lame de fond censée faire émerger liberté et démocratie, trois sont tombés dans la guerre civile et quatre sont quasiment revenus à la situation antérieure. Dix ans après, on ne peut que se remémorer la célèbre réplique du Prince de SALINAS dans le film le Guépard « il faut que tout bouge pour que rien ne change ».
Comment l’administration BUSH Jr a-t-elle pu croire qu’en installant, imposant la démocratie à l’Irak, la greffe allait prendre et qu’elle allait se propager à l’ensemble de la nation arabe ? Mais, prenons un peu de recul historique. Combien de pays peuvent prétendre que leur révolution a conduit à la liberté et à la démocratie. Ils se comptent sur les doigts d’une main. L’Angleterre, la France, le Portugal avec « la révolution des œillets », la Pologne, la Hongrie … ? Et cela ne s’est pas fait en dix ans !
Rien que pour l’Angleterre entre la « magna carta » de 1215, la « Petition of right » de 1628, l’« habeas corpus » de 1679 et le « Bill of rights » (1689), près de cinq siècles se sont écoulés. En France, après la prise de la Bastille, 80 ans ont été nécessaires pour que la République s’impose, ce qui n’a pas empêché le régime de Vichy.
La révolution russe de 1917 a débouché sur la dictature et le goulag. Le sort de la Chine n’a pas été plus favorable avec la révolution maoïste. Il en fût de même avec la révolution castriste à Cuba.
Dans ce naufrage des « printemps arabes », la Tunisie fait exception. Dix ans après, que reste-t-il du « dégagisme » à la tunisienne ? Le pays connait régulièrement des élections libres qui ont permis l’arrivée au Palais de Carthage de trois présidents, la mise en place de quatre assemblées dont une constituante. Durant cette décennie huit présidents du gouvernement ont occupé Dar El Bey à la Kasbah. Malgré une mainmise du parti islamique Ennahdha, cela dénote une instabilité politique et a entraîné une détérioration de la situation économique.
Pourtant, malgré de faibles ressources naturelles, la Tunisie a connu « quarante laborieuses » grâce au Président Habib BOURGUIBA qui a consacré toutes les capacités d’investissement du pays sur le capital humain, les infrastructures d’éducation et de santé, refusant les dépenses militaires et somptuaires. Un vrai modèle économique !
Parallèlement à ces orientations systémiques, le Combattant suprême a été pragmatique en matière de gestion macroéconomique. Après les années 1962-1968 de socialisation accélérée sous la férule d’Ahmed Ben Salah, les résultats économiques catastrophiques l’ont conduit à mettre fin à l’expérience. En 1970, il a choisi M. Hédi Nouira qui en dix ans va révolutionner le pays en acclimatant l’économie de marché et l’ouverture au commerce mondial.
Cette stratégie économique a entraîné croissance, amélioration constante du niveau de vie, et la constitution d’une classe moyenne confortée par la libération de la femme et un début de sécularisation de la société. Rappelons que BOURGUIBA n’a pas hésité à apparaître à la télévision en train de manger en plein ramadan, ou à convoquer les caméras de télévision pour filmer des femmes abandonnant le safshari, le voile blanc à la tunisienne. C’est cette société civile qui s’est retournée contre le régime et a constitué le fer de lance de la révolution.
Mais depuis 2011, la situation économique n’a cessé de se détériorer :
– Avec un PIB d’environ 40 Md$ inchangé depuis dix ans en dollars courantsle PIB par habitant a baissé de 4 140 $ en 2010 à 3 295 $ en 2020, sans tenir compte d’une inflation annuelle qui, sur la décennie, est passée d’une tendance autour de 4 % à 5-6 %
– Avec une population de 12 millions d’habitants, le taux de chômage est officiellement au-dessus de 15 %, mais plus inquiétant, le taux d’emploi (nombre de personnes qui ont un emploi rapporté à la population des 15-65 ans) est estimé par les instances internationales à moins de 40 %
– Le maintien des déficits publics a porté en 2020 la dette publique à 85 % du PIB contre 40 % en 2010
La persistance du déficit des comptes extérieurs autour de 10 % du PIB a entrainé un triplement de la dette extérieure de 31 milliards de dinars tunisiens (TND) en 2010 à 109 MdTND en 2020, soit plus de 100 % du PIB,
– L’indicateur le plus caractéristique de cette dégradation de la situation économique tunisienne, le taux de change est passé de 1,92 TND pour un euro à fin 2010, 3,30 aujourd’hui. Une lente dégringolade qui caractérise l’appauvrissement collectif.
Le sous-investissement tant public que privé, les interminables grèves, la fuite des capitaux, la contrebande, le développement des exportations illégales, la diffusion de la corruption à tous les échelons de la société, le développement du secteur informel, les attentats terroristes …, ce sont les maux qui rongent une Tunisie qui en est arrivée à importer des phosphates, sa principale richesse naturelle. La pandémie avec une croissance, selon le FMI, négative de 9,1 % ne va pas améliorer les choses et va accentuer les nombreuses fractures qui fragilisent la société tunisienne. Il est grand temps que les responsables tunisiens se souviennent des leçons de BOURGUIBA.
Dov ZERAH

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