L’univers obscur de l’Antisémitisme

 

Par Manfred Gerstenfeld

Dans la bataille mondiale contre les très nombreux antisémites, il est essentiel de détenir une claire définition de ce qu’est cette haine. C’est pourquoi un certain nombre de pays, de villes, d’universités et d’autres institutions, en Europe ont accepté, à usage interne, la définition de travail non-juridique de l’Antisémitisme selon l’Alliance Internationale pour la Mémoire de la Shoah (IHRA)[1]

Ce texte a été approuvé en 2016 par le Conseil d’Administration de l’IHRA, qui est constitué de représentants de 34 pays[2]. La plupart sont membres de l’U.E, d’autres sont les Etats-Unis, le Canada et l’Australie. L’approbation de tous les pays membres était indispensable à l’acceptation de cette définition.

Le rapport sur la définition de l’IHRA comporte onze exemples d’antisémitisme. Un certain nombre d’entre eux concernent Israël. Quoi qu’il en soit une définition toute spéciale de ce qu’est l’antisionisme en vaudrait la peine. Aucune définition, y compris celle de l’IHRA – même si ses initiateurs ont voulu ajouter beaucoup d’exemples – ne s’approche suffisamment de la couverture de la multitude de thèmes, qui contiennent des éléments d’antisémitisme ou permettent de l’aborder. C’est le résultat partiel de la période dans laquelle nous vivons, mieux connue sous le générique de « post-modernité ». Beaucoup de domaines se sont fragmentés et l’antisémitisme en fait partie.

Il existe un univers sombre et gigantesque, plein de questions, qui touchent à l’antisémitisme qui vont au-delà de la définition établie par l’IHRA. Beaucoup d’entre elles n’existaient pas dans les formules religieuses ou ethno-nationalistes classiques de l’antisémitisme d’avant la Seconde Guerre Mondiale. Une série d’exemples choisis illustrera ce phénomène.

L’antisémitisme institutionnel du parti travailliste britaninque s’est attiré une énorme publicité négative. C’est devenu évident à partir de l’élection de Jeremy Corbyn, en tant que Président de parti, en septembre 2015. Il a affiché des attitudes antisémites en de nombreuses occasions. Pourtant, la définition promue par l’IHRA n’est pas très utile pour les identifier. Elle ne couvre, par exemple, pas l’accueil à bras ouverts des représentants du Hamas génocidaire et du Hezbollah, par Corbyn, à la Chambre des Communes[3]. Pas plus que ceux qui ont conçue cette définition n’avait prévu d’y intégrer les remarques de Corbyn disant que ces représentants d’organisations terroristes antisionistes extrêmement meurtrières sont ses « amis » et ses « frères »[4]. La définition de l’IHRA ne couvre pas  non plus le parti-pris de Corbyn -également sur le plan financier – d’une organisation de négation de la Shoah[5]  ou le fait d’apparaître à une tribune en se joignant à un autre adepte de la distorsion de la réalité de la Shoah[6].

Un exemple moins transparent dans le petit monde des antisémites concerne Bernie Sanders, un candidat Juif dominant, dans le cadre des primaires démocrates aux USA. Lorsqu’il s’exprime à propos des Palestiniens, il fait référence à leur dignité[7]. On se demande bien de quelle « dignité » il s’agit, concernant ceux qui, lors des seules élections parlementaires démocratiques de 2006, ont offert une majorité au Hamas qui déclare ouvertement que sa principale mission sur terre et d’assassiner massivement les Juifs. De l’autre côté, Sanders ne mentionne que le « gouvernement raciste » d’Israël et son « Premier Ministre raciste »[8]. La conjugaison de ces déclarations fait la démonstration des affinités de Sanders avec l’antisémitisme extrémiste palestinien.

Avant la Seconde Guerre Mondiale, les antisémites n’avaient aucune raison de cacher leur antisémitisme. Cette expression de la haine était considérée comme pleinement acceptable en Europe. De nos jours, l’antisémitisme explicite n’est plus politiquement correct au sein des courants majeurs des sociétés occidentales. Ainsi, se dissimuler derrière un écran de fumée – être antisémite, tout en prétendant ne pas en être un – est devenu plus prolifique. Un antisémite peut même proclamer mensongèrement qu’il est un « grand ami d’Israël ». Une analyse détaillée  des déclarations sur Israël faite par l’ancien Ministre allemand des Affaires étrangères et dirigeant du parti socialiste Sigmar Gabriel l’illustre bien[9].

Une question cruciale qui complique la compréhension de l’antisémitisme contemporain est la mutation du principal type d’antisémites dans le monde occidental. Durant la montée et le règne des Nazis, la plupart des gens haïssant les Juifs étaient des antisémites à plein temps. Ce n’était pas le cas uniquement chez les Allemands. Le Premier Ministre norvégien de la période de la guerre, Vidkun Quisling, par exemple, appartenait aussi à cette catégorie. Alors qu’à notre époque, la majorité des antisémites  ne le sont qu’à temps partiel.

Un tel genre d’antisémite à temps partiel peut même ne faire qu’une grosse remarque antisémite isolée, sans pour autant la répéter. Un exemple-type de cet antisémitisme au coup par coup nous est fourni par l’ambassadeur allemand aux Nations Unies, Conrad Heusgen. Pour y expliquer l’un des très nombreux votes antisionistes de son pays, Heusgen a produit une déclaration particulièrement vile à l’ONU, en mars 2019 : « Nous pensons que la loi internationale est la meilleure façon de protéger les civils et de leur permettre de vivre en paix et en sécurité et sans crainte des bulldozers israéliens ou des roquettes du Hamas[10]« .

Le quotidien le plus important d’Allemagne, le Bild, a écrit une réponse aux propos d’Heusgen dans lesquels il compare les roquettes palestiniennes et les bulldozers israéliens. Il fait ainsi remarquer que : « Cette équivalence artificiellement établie est une pure perversion. Cela au cours d’une semaine où la population israélienne a fréquemment dû courir sous les salves de roquettes des terroristes du Hamas. La référence aux bulldozers, cependant, correspond à une mesure que prend le gouvernement israélien contre les constructions illégales, qui concernent principalement des Palestiniens, mais qui s’appliquent aussi au besoin aux implantations israéliennes[11] (celles définies administrativement comme « illégales »). Le Centre Simon Wiesenthal a inclus les déclarations de Heusgen dans sa liste 2019 des principaux incidents antisémites dans le monde[12].

Alors que l’antisémitisme n’est pas politiquement correct, son déni, son blanchiment ou la banalisation de l’antisémitisme ont augmenté de façon exponentielle. Le parti travailliste britannique en constitue une illustration de tout premier choix. Il est composé de pleins de blanchisseurs de l’antisémitisme. Un sondage de membres rémunérés du parti Travailliste, réalisé en mars 2018, démontrait que 47% des sondés disaient que l’antisémitisme constituait bien un problème, mais que l’étendue de ce problème était exagérée pour « porter atteinte à l’image du parti travailliste et à Jeremy Corbyn  ou pour étouffer toute critique d’Israël ». 31% supplémentaires des sondés ajoutaient que l’antisémitisme n’était pas un problème grave. 61% pensaient alors que Corbyn s’y prenait bien pour traiter les plaintes pour antisémitisme[13]« .

Beaucoup de techniques de camouflage de ce genre se sont développées. On trouve même des blanchisseurs de cas extrêmes d’antisémitisme. Les chars de style nazi au carnaval dans la ville belge d’Alost, en février 2O20, autant que l’année précédente en sont un exemple frappant[14].

Louis Farrakhan est un antisémite de premier plan. Beaucoup de ses argumentaires sur les Juifs correspondent bien à la définition de l’IHRA. Il a désigné les Juifs comme des « termites » et des « empoisonneurs[15]« . Cela dit, comment doit-on qualifier les gens qui veulent se trouver ou être vus en sa compagnie? Est-ce que simple fait de se faire intentionnellement photographier avec un tel antisémite prédominant est, en soi, un acte antisémite? Probablement pas, mais c’est un nouveau point noir dans l’univers de l’antisémitisme. C’est pourtant ce que Barack Obama s’est permis en 2005, avant d’annoncer, plus tard, qu’il se présentait à la présidence des Etats-Unis d’Amérique.

Plus tard, Obama a réussi à faire supprimer cette photo pendant un certain nombre d’années[16]. Divers membres démocrates du Congrès et des fondatrices de la Marche des Femmes se sont aussi avérés être de proches admirateurs de Farrakhan[17] [18].

 Prétendre que les Juifs eux-mêmes sont la cause de l’antisémitisme a été un facteur central dans les origines historiques de cette haine. Lorsque les Chrétiens brutalisaient les Juifs, ils proclamaient que la souffrance des Juifs en résultant n’était qu’une légitime punition divine pour ne pas avoir reconnu Jésus. Ce mobile de la culpabilité intrinsèque des Juifs revient sous diverses formules. Sawsan Chebli, la Secrétaire d’Etat socialiste des Affaires Fédérales à Berlin (d’origine palestinienne), a tweeté au lendemain du jour commémoratif de l’ouverture du camp d’Auschwitz : « C’est sûr, ce qui s’est passé alors est triste. Mais lorsqu’il s’agit du retour de la haine, les Juifs ne sont pas tout-à-fait innocents; Il n’y a qu’à voir la politique d’implantation, l’annexion… J’ai entendu cela très souvent, pas seulement dans la bouche de Musulmans, d’Arabes ou de Réfugiés, mais aussi d’Allemands ordinaires, sans ajout d’influence supplémentaire[19]« .

Le Berlin Spectator a rapporté que Burkard Dregger, le dirigeant de la CDU à la Maison des Représentants de Berlin, a accusé Chebli de répandre l’antisémitisme classique et d’accuser les Juifs d’être la seule cause de leurs souffrances passées[20]. D’un autre côté, Chebli s’est activement exprimée contre l’antisémitisme et a même reçu des distinctions pour l’avoir fait. Elle est la représentante d’une forme ambivalente d’antisémitisme. On peut aussi dire qu’elle adopte une attitude bipolaire envers cette haine.

Il y aurait bien d’autres exemples à relever comme émanant du côté obscur de la force antisémite. De nouvelles métamorphoses émergent de temps à autre de ce qui est un univers en (perpétuelle) expansion.

 

Par Manfred Gerstenfeld

 

Ce texte est d’abord paru en anglais sur : besacenter.org

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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[1] www.holocaustremembrance.com/working-definition-antisemitism

[2] www.holocaustremembrance.com/about-us/our-partners

[3] www.theguardian.com/commentisfree/2015/aug/13/jeremy-corbyn-labour-leadership-foreign-policy-antisemitism

[4] ibid

[5] www.telegraph.co.uk/news/2017/05/20/jeremy-corbyns-10-year-association-group-denies-holocaust/

[6] www.theguardian.com/politics/2018/aug/01/jeremy-corbyn-issues-apology-in-labour-antisemitism-row

[7] www.jpost.com/American-Politics/Bernie-Sanders-Im-pro-Israel-but-we-must-treat-Palestinians-with-dignity-608540

[8] www.newsweek.com/bernie-sanders-calls-israels-netanyahu-reactionary-racist-says-hed-consider-moving-embassy-1489109 www.timesofisrael.com/sanders-netanyahu-is-racist-us-must-also-be-pro-palestinian/ www.timesofisrael.com/netanyahu-gives-restrained-response-after-sanders-calls-him-a-racist/ www.israelnationalnews.com/News/News.aspx/276245

[9] www.inss.org.il/sigmar-gabriel-german-foreign-minister/

[10] www.jpost.com/Diaspora/Antisemitism/German-UN-ambassador-makes-list-of-worst-antisemiticanti-Israel-incidents-610660

[11] www.bild.de/politik/ausland/politik-ausland/deutscher-uno-botschafter-provoziert-hitzige-debatte-um-gaza-konflikt-60895806.bild.html

[12] www.wiesenthal.com/about/news/top-ten-worst-anti-semitic.htm

[13] www.thetimes.co.uk/article/labour-poll-says-antisemitism-row-is-exaggerated-8tdj7wffh

[14] www.ad.nl/binnenland/beledigende-carnavalsoptocht-in-vlaamse-aalst-zonder-problemen-verlopen~a387fa03/

[15] www.jewishvirtuallibrary.org/minister-louis-farrakhan-in-his-own-words

[16] www.ajc.com/news/local/could-this-long-lost-photo-have-derailed-obama-2008-campaign/jC8NKhQr6a72VjRYY9o0EM/

[17] https://abcnews.go.com/Politics/republican-jewish-coalition-calls-resignation-democrats-ties-farrakhan/story?id=53601481

[18] www.harpersbazaar.com/culture/politics/a25920871/womens-march-controversy-explained-louis-farrakhan/

[19] https://berlinspectator.com/2020/01/29/berlin-state-secretary-stirs-outrage-with-tweet-1/

[20] ibid

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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[…] Dans la bataille mondiale contre les très nombreux antisémites, il est essentiel de détenir une claire définition de ce qu’est cette haine. C’est pourquoi un certain nombre de pays, de villes, d’universités et d’autres institutions, en Europe ont accepté, à usage interne, la définition de travail non-juridique de l’Antisémitisme selon l’Alliance Internationale pour la Mémoire de la Shoah (IHRA)[1] […]

LACHKAR Norbert

BRAVO A VOUS D’AVOIR REUNI TOUS CES MALFAITEURS ET SURTOUT LE JUIF SENILE,ANTISEMITE ET DEMOCRATE AMERICAIN.ENCORE UN QUI A VENDU SON AME AU DIABLE.