Pourquoi le Hezbollah est obligé de donner son feu vert à un accord avec Israël

Il ne s’agit pas d’une normalisation. Mais le parti chiite accepte de changer les règles du jeu et de rendre la possibilité d’un conflit avec l’État hébreu plus improbable.

Hassan Nasrallah aurait pu demander au Liban officiel de revendiquer la ligne 29 en tant que frontière maritime avec Israël. Il ne l’a pas fait. Il aurait pu torpiller les négociations en exigeant des choses impossibles à accepter pour l’Etat hébreu. Il ne l’a pas fait. Il aurait pu cibler militairement des infrastructures israéliennes pour prouver que sa menace est sérieuse et le pousser à faire davantage de concessions. Là encore, il ne l’a pas fait.

Dans le dossier de la délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, le secrétaire général du Hezbollah a joué avec le feu. Mais cette stratégie n’avait pas pour objectif d’empêcher la conclusion du deal – qui aurait de toute façon été possible sans son feu vert. Elle avait plutôt pour but de préparer son public à l’impensable et l’interdit : un accord avec “l’ennemi” avalisé par la formation pro-iranienne. Après plus de dix ans de litige, le Liban et Israël semblent enfin parvenus à un accord sur la délimitation de leur frontière maritime. Mardi soir, Hassan Nasrallah a toutefois voulu atténuer la portée de l’évènement. « Nous attendons le moment où les délégations (des deux pays) entreront à Naqoura pour signer, afin de pouvoir dire qu’un accord a été conclu », a-t-il dit.

Dans sa position, le chef du parti chiite ne peut ouvertement se féliciter de la conclusion d’un deal avec “l’ennemi sioniste”. Il lui est plus commode de se “cacher” derrière l’État – dont il reconnaît nominalement pour une fois la souveraineté – en assurant que c’est à lui que revient finalement la décision finale. D’un côté, le Hezbollah ne veut pas donner le sentiment d’être en première ligne dans ce dossier qui le contraint à un terrible exercice de contorsions. De l’autre, il commence à diffuser l’idée, via ses canaux de communication, que l’accord, et plus précisément les concessions israéliennes, sont le résultat de son implication dans le dossier et le présente même comme une “victoire” à mettre à son actif. Le parti a menacé à plusieurs reprises de cibler le site de Karish si le Liban n’obtenait pas “ses droits économiques”.

A t-il ainsi réussi à faire plier Israël ? Est-ce que les menaces du parti chiite ont joué en faveur du Liban ?

Difficile de répondre. L’ultimatum de la milice a peut-être encouragé Israël à céder plus et plus vite qu’il ne l’aurait voulu afin d’entamer l’extraction du gaz dans le champ Karish. Il lui était plus difficile de tenter de gagner du temps dans ces conditions. Mais l’État hébreu semblait déjà enclin, avant les menaces du Hezbollah, à accepter que la ligne 23 délimite sa frontière avec le Liban, à condition que celui-ci reconnaisse la souveraineté israélienne sur le champ de Karish. La surenchère du Hezbollah, qui aurait pu coûter au Liban une guerre dévastatrice, visait surtout à préparer l’opinion publique, et en particulier sa base populaire, à un accord basé sur la ligne 23, sachant que le Liban pouvait revendiquer la ligne 29 en vertu du droit international.

Un calcul économique

Pourquoi le Hezbollah a-t-il donné son feu vert à un tel deal ? La situation économique et financière dans laquelle se trouve le Liban a certainement été un élément décisif. Même sous perfusion iranienne et malgré les services qu’il offre à ses partisans, le Hezbollah ne peut répondre à lui seul à une crise de cette envergure. Sa base populaire souffre, à l’instar du reste de la population. Le parti chiite fait peut-être le calcul que l’argent du gaz et du pétrole – évalué par Israël à trois milliards de dollars – lui permettra de stabiliser le pays et de remplacer la rente financière par la rente pétrolière. Le fait que la conclusion de l’accord cadre, qui a relancé les négociations, ait été annoncée par le principal allié du Hezbollah, Nabih Berry, un an après le début de la crise, est loin d’être anodin. Le Liban n’a toutefois aucune certitude sur ce que “contient” le champ de Cana en matières d’hydrocarbures. Il est possible que l’accord ne lui apporte aucun bénéfice économique. Dans le meilleur des cas, il faudra de toute façon plusieurs années pour en récolter les premiers fruits.

Pourquoi le Hezbollah a-t-il alors pris ce risque ?

Est-ce une volonté iranienne de donner des gages aux États-Unis ? Aucun élément ne permet de confirmer cette hypothèse ou tout simplement de saisir quel est le rôle exact de l’Iran dans ce dossier. Il paraît très improbable que le Hezbollah ait pu prendre une décision aussi stratégique sans le feu vert de son parrain iranien. Il paraît également clair que le deal sur la frontière maritime ne pouvait pas être conclu dans un moment de grandes tensions entre l’Iran et le couple américano-israélien. Autrement dit, il y avait une fenêtre pour y parvenir avant que les dernières chances de raviver l’accord nucléaire entre l’Iran et les 5+1 ne s’estompent. La République islamique a-t-elle fait un calcul régional ou simplement libanais, prenant en compte le contexte délicat dans lequel se trouve le Hezbollah, de plus en plus contesté sur la scène interne ? Ce n’est pas clair, pour le moment.

Ce qui est clair, c’est que ni l’Iran ni le parrain de l’Iran, à savoir la Russie, ne sont en mesure de soutenir un conflit avec l’Occident pour la Russie, et le couple israélo-américain pour l’Iran, qui vacille sous les manifestations actuelles. La Russie fait feu de tout bois, et utilise des armes certes destructrices, mais vieillottes et inefficaces en Ukraine, qui tombent n’importe où sans aucune précision. Toutes les menaces du Hezbollah ne sont que gesticulations, et fanfaronnades, servant à lui donner de la contenance. Les Libanais vomissent le Hezbollah et regrettent amèrement de lui avoir permis de s’installer au Liban. Tout cela, les Israéliens le savent bien. Mais une négociation avec le Liban et une certaine entente avec ce pays pourrait permettre de le sortir des griffes iraniennes.

D’autre part,  l’accord confirme la mutation du Hezbollah entamée depuis le retrait des troupes syriennes en 2005 et par la guerre contre l’État hébreu, un an plus tard, à l’été 2006. Il confirme que sa priorité est de conforter sa position au Liban et de consolider l’axe iranien au Moyen-Orient. La rhétorique anti-israélienne, qui lui permet de séduire au-delà de sa base confessionnelle, va rester centrale dans la communication du parti. Il va continuer par ailleurs de revendiquer les fermes de Chebaa (aux confins de la Syrie et d’Israël) pour pouvoir justifier le maintien de son arsenal militaire. Officiellement, la “Résistance” aura toujours pour objectif de “libérer la Palestine” et ne tolérera aucune compromission avec “l’ennemi”. Hassan Nasrallah a même dit mardi soir que “notre frontière maritime atteint Gaza”. Dans les faits, les deux parties ne se sont toutefois plus affrontés depuis seize ans, à l’exception de quelques échauffourées. Le Hezbollah pouvait créer un “Chebaa sur mer” en revendiquant la ligne 29. Il a, au contraire, choisi la voie d’un accord qui rend la possibilité d’une nouvelle guerre plus improbable, d’autant plus si le Liban devient un pays exportateur d’hydrocarbures.

D’une certaine manière, le deal change les règles du jeu, puisqu’il implique un minimum de coopération, même indirecte, entre Israël et le Liban. Il ne s’agit pas d’une normalisation. Officiellement, même pas d’un début de processus en ce sens. Mais l’accord pose tout de même les premiers jalons de la paix entre les deux pays, même si celle-ci pourrait ne jamais se concrétiser. Le Hezbollah imite en ce sens l’attitude du régime Assad vis-à-vis de l’État hébreu, après l’armistice de 1973 négocié par Kissinger. La frontière syro-israélienne est stable depuis des décennies et seul le déclenchement de la guerre civile en Syrie a remis en question cette donnée. Hafez el-Assad, puis son fils Bachar, ont toutefois toujours usé et abusé d’une rhétorique très hostile à Israël, instrumentalisant la cause palestinienne pour faire oublier leur politique en Syrie et au Liban, y compris à l’égard des Palestiniens. Hafez el-Assad avait théorisé ce conflit gelé en affirmant qu’il passerait à l’action une fois l’équilibre stratégique rétabli entre les deux Etats, autrement dit jamais. Le Hezbollah semble être dans une logique similaire. Il a besoin de l’ennemi israélien pour “couvrir” ses autres actions mais n’est plus intéressé, à court et moyen terme, par le fait de mener une nouvelle guerre contre lui. La frontière libano-israélienne pourrait être stabilisée dans la durée. C’est ce qui donnerait sa portée historique à la conclusion de l’accord sur la délimitation de la frontière maritime. Le gaz et le pétrole, les champs de Karish et de Cana, ou encore les lignes 1, 23 et 29, sont ici secondaires. L’essentiel, c’est la dimension géopolitique du deal qui vient consolider une équation chère au régime Assad : ni guerre ni paix.

AFP – Corrigé

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